Taxis londoniens à Paris ?

101109_taxi_londonien.1289752980.JPG

Le constructeur britannique London Taxis International importe désormais en France des « London Cabs » fabriqués en Chine avec conduite à gauche, au prix de €33.900 pour la version standard diesel.

Dans un article du Guardian du 9 novembre, la journaliste Kim Willsher rapporte que le taxi londonien a sans doute un marché en France. Elle rapporte les propos de Matthew Cheyne, le directeur international du constructeur : « Si vous sortez d’une gare ou d’un aéroport, vous savez instantanément ce que c’est, ce qu’il fait et comment il le fait ».

Les premiers paragraphes de son article sont intéressants pour les préjugés qu’il dénote chez les Français. « Ils peuvent penser que les Britanniques sont perfides, gloser sur ce que nous avons fait subir à Jeanne d’Arc et bouillir de colère au sujet de Waterloo et Trafalgar, mais il y a un symbole britannique qui a depuis longtemps une place dans leur cœur.

Le fameux taxi londonien noir tient une place élevée dans les affections françaises : sérieux, maladroit, et peut-être inélégant, mais aussi solide et fiable, – une métaphore, peut-être, de la manière dont beaucoup voient les Britanniques eux-mêmes. »

Posséder un Cab londonien est depuis longtemps un snobisme en France. Bientôt peut-être sera-t-il possible de s’offrir une parenthèse dandy dans les rues de Paris pour le prix d’une course de taxi ordinaire. L’article mentionne que les chauffeurs de Cabs se verront offrir des cours de service au client. Cependant, écrit Kim Willsher, « les Parisiens, habitués à une espèce de conducteurs de taxi peu loquace, pour ne pas dire carrément impolie, ne devraient pas placer leurs espoirs trop haut ».

Photo « transhumances ».

Poetry

101107_poetry1.1289158832.jpg

Le film « Poetry », du romancier et réalisateur coréen Lee Chang-dong, est d’une qualité exceptionnelle.

Mija (magistralement interprétée par Yun Jung-hee) est une petite bonne femme de soixante six ans, toujours tirée à quatre épingles et qui semble aller dans le monde d’émerveillement en émerveillement. Pourtant, elle mène une vie difficile. Elle travaille comme auxiliaire de vie chez un homme âgé qu’elle traite de « monsieur le président » et qu’une attaque cérébrale a laissé handicapé et dépendant. Surtout, elle a la charge de son petit fils, suite au divorce de sa fille partie travailler et vivre à Pusan. C’est un adolescent insupportable, tyran vautré à la maison, membre d’un groupe de loubards au lycée et dans les salles de jeux électroniques, sans un sou de reconnaissance ou de sens moral.

Victime de trous de mémoire, Mija apprend qu’elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Avant de sombrer, elle entend réaliser la prophétie de son institutrice lorsqu’elle était enfant : tu deviendras poétesse. Elle s’inscrit dans un cours de poésie donné par un maître qui enseigne comment regarder : combien de fois avez-vous vu une pomme ? Des milliers de fois ? Non, pas même une seule fois : il faut apprendre à l’observer dans tous les sens, sous des lumières différentes, à la caresser… L’objectif du cours, qui dure un mois, est de parvenir à écrire un poème.

La vie de Mija est bouleversée. Le cadavre d’une lycéenne est retrouvé dans la rivière. La jeune fille s’est suicidée en se jetant d’un pont car elle était violée par un groupe de lycéens. Le petit fils de Mija en était. Les parents des enfants de la bande s’organisent pour verser l’équivalent de vingt mille euros qui dédommageront la maman de la victime et achèteront son silence. Mija participe aux réunions des conspirateurs, mais elle est comme dans un autre monde. Envoyée en délégation négocier avec la maman d’Agnès, la lycéenne, qui est agricultrice, elle parle de la maturation des abricots et oublie sa mission.

Mija n’a pas le premier sou de sa part dans le dédommagement. Elle consent à faire l’amour avec le président, sous viagra, puis le fait chanter un jour de réunion de famille. A l’horreur du viol collectif, à la corruption de l’achat du silence de la mère de la famille, s’ajoute un autre scandale sexuel où se mêle l’argent.

Peu à peu, Mija est entrée dans la peau d’Agnès. Son poème sera en quelque sorte le message lancé par Agnès au monde avant de se suicider. Mija elle aussi va sauter du pont dans la rivière. Il lui reste à remettre les choses d’aplomb. Elle annonce à son petit-fils que sa maman va lui rendre visite, et le convainc de faire une grande toilette. En réalité, elle a combiné avec le commissaire de police, rencontré dans un club de poésie, qu’il l’arrêterait en douceur pendant que tous les deux, grand-mère et petit-fils, jouent au badminton au bas de leur immeuble.

Au final, le crime ne restera pas impuni. La mémoire d’Agnès est immortalisée. Lorsque la fille de Mija arrive de Pusan, le lendemain, elle trouve l’appartement vide. Le rideau est tombé sur le drame. Le mal a été charrié au loin par les flots de la rivière et les mots de la poésie.

Le film de Lee Chang-dong est éblouissant. Il y a une vraie intrigue, qui se développe dans un mois de la vie des personnages et dans les 2h20 de projection. Dans cet intervalle de temps étroit, un poème doit prendre forme, à partir de l’émerveillement d’un abricot tombé à terre mais aussi du désespoir d’une vie perdue et de la honte d’un crime commis sans remords.

On est frappé par le fait que le décor urbain est très semblable à celui d’une ville européenne de moyenne montagne, Saint-Etienne par exemple. Le film est totalement dénué de musique. C’est qu’il est tout entier porté par la musicalité poétique de la langue coréenne.

Photo du film « Poetry ».

Absurde martyre

101106_roshonara_choudhry.1289152031.jpg

Le quotidien britannique The Guardian a publié le 4 novembre les minutes de l’interrogatoire de Roshonara Choudhry au poste de police de Forest Gate, dans l’est londonien, après qu’elle eut poignardé le député travailliste Stephen Timms, le 14 mai 2010.

Il y a un an, Roshonara était une brillante étudiante en anglais et communication, en fin de cursus au King’s College de Londres. Elle vient d’être condamnée à un minimum de 15 ans de prison pour avoir tenté d’assassiner à coups de poignard le député Stephen Timms dans sa permanence. Le motif du crime : le député avait voté de manière constante en faveur de l’intervention britannique en Irak.

Que s’est-il passé entre temps ? Roshorana cherchait à s’informer sur sa religion, l’Islam, et fut captivée par les prêches d’Anwar Al-Awlaki, le leader spirituel d’El Qaida dans la péninsule arabique.  Elle téléchargea d’Internet plus de cent heures de sermons. Elle abandonna ses études par loyauté pour ses frères et sœurs musulmans de Palestine. Elle acheta trois poignards. Elle demanda un rendez-vous personnel au député Timms. Elle s’avança vers lui en souriant et lui asséna deux coups de couteau.

Elle dit : « comme Musulmans nous sommes tous frères et sœurs et nous devrions tous nous préoccuper les uns des autres ; nous ne devrions pas tourner le dos et rester les bras croisés pendant que d’autres souffrent. Nous ne devrions pas permettre que les gens qui nous oppressent s’en tirent à bon compte et pensent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent avec nous et que nous allons gober cela sans rien dire ». Elle évoque une vidéo par Sheikh Abdullah Azzam. « Il disait que quand une terre musulmane est attaquée, il devient obligatoire pour chaque homme, femme et enfant et même esclave de sortir combattre pour défendre la terre et les Musulmans ; et s’ils ne peuvent contenir les forces adverses, alors cela devient obligatoire pour les gens qui vivent plus près de ce pays ; et si ces gens refusent d’accomplir leur devoir, alors c’est au tour du peuple le plus proche, et du suivant le plus proche, jusqu’à ce que cela fasse le tour de la terre ; et il est obligatoire pour tout le monde de défendre cette terre ».

L’interrogateur demande comment elle se sent après ce qu’elle a fait aujourd’hui. « Je sens que j’ai fait ce que j’avais décidé de faire. Je sens que j’ai détruit le reste de ma vie. Je sens que ça vaut la peine parce que des millions d’Irakiens souffrent et que je devais faire ce que je pouvais pour les aider et ne pas seulement rester inactive et ne rien faire pendant qu’ils souffraient ». Elle dit qu’elle savait que, qu’elle soit arrêtée ou tuée, elle ne rentrerait pas à la maison. Elle voulait mourir, être un martyr.

Ce qui donne le plus froid dans le dos, c’est le côté solitaire de la démarche : Roshonara a absorbé seule devant son ordinateur des centaines d’heures de propagande sur Internet, puis a décidé de passer à l’acte toute seule. L’interrogateur lui demande pourquoi elle n’en a pas parlé à d’autres : « parce que personne n’aurait compris ; et de toute manière je ne voulais pas le dire à quiconque parce que je savais que si quelqu’un savait, il serait dans le pétrin car il se trouverait impliqué dans tout ce que je pourrais faire, c’est pourquoi j’ai gardé le secret. »

Pour Roshonara, la seule manière de s’engager au côté des Irakiens et des Palestiniens était de commettre un meurtre.  Qu’elle n’ait pas rencontré sur Internet des propositions d’action qui lui auraient permis de mettre en œuvre ses capacités intellectuelles et sa personnalité de manière positive et de trouver le bonheur dans une action militante constructive est navrant et absurde.

Photo de Roshonara Choudhry, The Guardian

L’art de la caricature

101102_steve_bell_camedron_jan10.1288910551.jpg

Le caricaturiste Steve Bell s’explique dans The Guardian du 2 novembre sur les raisons qui l’ont poussé à transformer le Premier Ministre David Cameron en préservatif, ballon de baudruche, méduse ou saucisse.

Lors d’un marathon électoral, pendant la campagne législative de 2010, David Cameron s’adresse à Steve Bell, l’un des caricaturistes du Guardian : « pourquoi le préservatif ? ». Il est vrai qu’il est le plus souvent représenté la tête entièrement revêtue d’un préservatif.

En caricature, dit Steve Bell, la première impression est la bonne, et c’est pourquoi il faut s’empresser de la fixer. Ce qui l’a frappé d’emblée chez David Cameron, c’est le caractère lisse du personnage ; c’est aussi sa plausibilité, un trait rare chez les hommes politiques, mais qui s’efface derrière ce mot qui s’impose : lisse !

« Sa rondeur bien rembourrée de classe aisée et ses grands yeux larmoyants ramenaient de plus en plus à son teint de fesse de bébé. Son aspect lisse sembla bientôt prendre une qualité d’un autre monde, une sorte d’onctuosité androgyne qui accompagna la transformation de celui qu’on désignait autrefois comme le « Parti Méchant » en Parti du Soleil Levant, du Printemps et du Nuage Moutonneux.

(…) Je savais, après l’avoir observé de près, qu’il était vraiment lisse. Il allait réduire le déficit, pas le Service National de Santé. Un opportunisme moral complet combiné avec un sens complet, assimilé et érectile de sa propre responsabilité. D’où le préservatif déroulé sur sa tête lisse. Cela ne sembla si parfait et si judicieux, pour moi du moins, qu’après quelque hésitation au départ, je décidai de l’adopter. »

Illustration Steve Bell, The Guardian en janvier 2010 : « ça ne peut pas continuer comme ça, dit Cameron, la tête revêtue de son préservatif, je punirai l’irresponsabilité, pas les banquiers ». Le slogan est « pour une société forte, en caoutchouc ».