Maubuisson, Etang de Cousseau

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L’Etang de Cousseau est une réserve naturelle à 6 kilomètres de bicyclette de Maubuisson sur la piste qui mène à Lacanau Océan. Je reproduis ici des textes écrits ces dernières années.

Depuis quelques années, des travaux importants ont été entrepris pour rendre au marais l’aspect qu’il avait avant son assèchement aux dix-huitième et dix-neuvième siècles. Des bénévoles accueillent les touristes sur une plateforme d’observation où ils ont installé des longues-vues. Des quantités d’oiseaux vivent désormais sur le site, aigrettes, buses, cigognes, canards, etc. Il souffle sur l’étang un vent du nord qui fait lever des vaguelettes. Le clapotis sur le rivage et la lumière diffractée du soleil impriment leur rythme dans un silence enchanteur.

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Je reste immobile sur la rive de l’étang et laisse le silence s’installer en moi. Il a plu cette nuit, et l’atmosphère est chargée de senteurs de fougères. Les nuages forment un plafond gris et bas. La surface de l’eau semble un miroir presque parfait, percé ici et là de minuscules cercles concentriques. Quelques arbres se reflètent, comme écrasés par le ciel lourd. Au loin, l’océan bourdonne. Quelques oiseaux piaillent. On entend parfois un clapotis, un croassement, un battement d’aile. Dans la léthargie ambiante, l’activité frénétique d’un écureuil prend la dimension d’un vacarme.

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Je me promène au bord de l’étang. L’observatoire de la réserve naturelle est inutile aujourd’hui : aucun échassier ne survole les flots, aucun mammifère ne construit son nid au milieu des roseaux. Il n’y a rien à admirer, si ce n’est le reflet du soleil que les vaguelettes fragmentent en mille éclats. Tout est dans le toucher : la caresse du soleil sur ma peau, la brise qui l’effleure. Tout est dans l’ouïe : un clapotis, des oiseaux qui se répondent, le craquement de l’herbe froissée par le passage furtif d’un lézard, l’océan au loin, une tronçonneuse.

Photo « transhumances » : l’étang de Cousseau

Château de La Brède

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Le château de La Brède, à 20 km au sud de Bordeaux, est un lieu de promenade ravissant et émouvant.

Le château est le lieu où naquit en 1689 Charles-Louis de Secondat baron de la Brède et de Montesquieu, connu sous le nom de Montesquieu, qui y séjourna souvent jusqu’à sa mort en 1755. Les descendants de Montesquieu y ont vécu jusqu’à ce que, dans les années quatre-vingt dix, la dernière descendante en fît don à une fondation qui gère aujourd’hui le domaine.

Construit au quatorzième siècle comme une forteresse octogonale entourée de douves, le château a subi une profonde restauration pendant la Renaissance. Une partie du mur d’enceinte a été abattue et de grandes fenêtres ont été percées. Tout un symbole : Montesquieu ouvrira lui-même grand les fenêtres de la monarchie française, parcourant l’Europe à la recherche d’idées et de références et inventant ce qu’on appellera plus tard la séparation des pouvoirs, à la base des systèmes démocratiques.

Le site du château et son architecture diffusent un sentiment d’harmonie et de sérénité. La visite confirme ce sentiment. Tant par sa taille humaine que par le fait qu’il a été habité par des dizaines de générations, il donne l’impression d’un vrai lieu de vie. L’usage de boiseries dans presque toutes les pièces renforce cette impression chaleureuse.  La bibliothèque, une grande salle recouverte d’une voûte réalisée par un charpentier de marine, est pleine de la présence de Montesquieu.

Montesquieu était propriétaire de vignes. Aujourd’hui encore, celles-ci structurent le paysage. Près de La Brède, le château de Smith Haut Lafitte est d’un grand intérêt pour son architecture, par les rangées de vignes gorgées de raisin en cette fin d’été et par les sculptures qui parsèment le domaine.

Photo « www.chateaulabrede.com »

Maubuisson, le Pôle

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Le Pôle de Maubuisson est le centre de l’activité de la station.

Autour de cette place vaguement elliptique, on trouve le débit de tabac, quelques commerces, la boite de nuit le Coyote, le syndicat d’initiative et le bureau de poste, une série de restaurants en plein air et une air de jeux pour les tout petits.

Le centre de la place est parfois occupé par les étals d’un marché artisanal. Certains soirs, une estrade est montée pour une animation. Ce soir, on diffuse de la musique dansante, avec une prédominance de morceaux des années soixante à quatre-vingt.

Mon attention est attirée par un groupe de quatre handicapés moteur sur leurs fauteuils électriques. Une jeune monitrice danse pour eux et tente de les entraîner dans le rythme par tout le mouvement dont leurs visages et leurs bras sont capables. Les fauteuils avancent, reculent, tournent dans un curieux sentiment d’irréalité qui contraste avec l’intense sensualité du corps en mouvement de la jeune femme.  La scène est cruelle : la pesanteur contre la grâce. Elle est aussi emprunte de fraternité. Ses acteurs partagent la joie de la musique et de la danse, malgré les chaînes qui les emprisonnent. 

Photo du film « Le Refuge »

Alex au Pays des Nombres

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Prendre par la main les gens qui souffrent depuis l’enfance d’allergie aux mathématiques et les emmener aux pays des merveilles numériques, telle est l’ambition d’Alex Bellos dans son livre « Alex’s adventures in Numberland, Dispatches from the Wonderful World of Mathematics » (Bloomsbury 2010).

« Les nombres n’ont probablement pas plus de 10.000 ans, au sens d’un système de mots et de symboles qui fonctionne ». Le chapitre zéro du livre (tout un symbole !) nous emmène dans la tribu des Munduruku en Amazonie, qui ne dispose des nombres que jusqu’à cinq. Au-delà, ils utilisent des approximations et des ratios : cet arbre a plus de fruit que celui-là. Ils ont un « instinct logarithmique » qui aplatit les différences entre les petites et les grandes quantités, le même qui nous fait minimiser la différence entre un millionnaire (riche) et un milliardaire (très riche) alors qu’un facteur mille les sépare.

Alex Bellos s’intéresse ensuite à la manière de désigner les chiffres et les nombres. Il remarque qu’alors que le chinois, le japonais et le coréen désignent les nombres au-delà de dix de manière régulière (ils disent dix-un pour onze et dix-deux pour douze), les appellations occidentales sont irrégulières, ce qui présente un extrême intérêt pour les historiens mathématiques. « Le mot français pour 80 est « quatre-vingt », indiquant que les ancêtres des français utilisaient autrefois un système à base vingt. On a aussi suggéré que la raison pour laquelle les mots pour « 9 » et « neuf » sont identiques ou similaires dans de nombreuses langues indo-européennes, y compris le français (neuf, neuf) l’espagnol (nueve, nuevo), l’allemand (neun, neu) et le norvégien (ni, ny) est l’héritage d’un système à base huit oublié depuis longtemps, dans lequel la neuvième unité serait la première d’une nouvelle série de huit. »

L’invention du zéro

Les mathématiques ont commencé en Grèce avec la géométrie de Pythagore et Euclide, ce dernier révélant une beauté profonde dans un système indiscutable de vérités invariables dans l’espace et le temps. Les origamis (pliages) japonais continuent la tradition de l’émerveillement devant les harmonies simples de la géométrie.

Le passage à l’algèbre a été rendu possible par l’invention en Inde du zéro. Alex Bellos montre comment les symboles utilisés par les Romains étaient à la fois contraires au sens commun (VIII est plus petit que IX, qui comporte moins de signes) et inadéquats pour le calcul. Les Indiens inventèrent un système dans lequel les unités, dizaines, centaines avaient leur place marquée par la succession des chiffres. Lorsqu’il n’y avait rien, ils laissaient un espace vide ; puis ils inventèrent un symbole pour le vide. Les arabes l’appelèrent « zéphyr », ce qui donna zéro, mais aussi chifre (chiffre) en Portugais et cipher en anglais (code).

« Les Grecs, dit Bellos, firent de fantastiques découvertes mathématiques sans le zéro, sans nombres négatifs ou fractions décimales. C’est parce qu’ils avaient une compréhension par-dessus tout spatiale des mathématiques. Pour eux, il était aberrant que rien puisse être « quelque chose ». Pythagore n’était pas plus capable d’imaginer un nombre négatif qu’un triangle négatif ».

« La philosophie indienne avait embrassé le concept de néant exactement comme les mathématiques indiennes avaient embrassé le concept de zéro. Le saut conceptuel qui conduisit à l’invention du zéro se produisit dans une culture qui acceptait le vide comme l’essence de l’univers ».

La beauté des mathématiques

Le livre d’Alex Bellos est un hymne à la mathématique. Il s’émerveille des propriétés de la série de nombres découverte par Leonardo Fibonacci dans son Liber Abaci, publié en 1202, où chaque nombre est la somme des deux qui le précèdent. Il célèbre le Pi (π), dont les ordinateurs calculent maintenant mille milliards de décimales, offrant à l’industrie et aux sondeurs une inépuisable réserve de chiffres au hasard. Il décrit les propriétés étonnantes du « nombre magique », 1,618, qui définit une proportion respectée par un grand nombre d’objets d’arts et de produits industriels. Il évoque les grands jeux mathématiques d’aujourd’hui, du Rubiks Cube au Sudoku.

Il s’attarde longuement sur les probabilités et leur application aux casinos et à l’assurance. « Acheter une police d’assurance est un jeu à espérance négative, et comme tel c’est un mauvais pari. Alors pourquoi est-ce que les gens prennent de l’assurance si c’est une si mauvaise transaction ? La différence entre l’assurance et le jeu dans un casino est que dans un casino vous jouez (ou vous devriez jouer) avec de l’argent que vous pouvez vous permettre de perdre. Avec l’assurance, cependant, vous jouez pour protéger quelque chose que vous ne vous pouvez pas vous permettre de perdre. »

La beauté des mathématiques, c’est leur capacité à créer, dans leur dynamique propre, des mondes à l’opposé de nos intuitions. Un exemple est le logarithme, inventé au dix-septième siècle. « Comment peut-on multiplier 10 par lui-même une fraction de fois ? Bien sûr le concept est non intuitif lorsqu’on imagine ce qu’il pourrait signifier dans le monde réel ; mais le pouvoir et la beauté des mathématiques est qu’on n’a pas besoin de se préoccuper de la signification au-delà de la définition algébrique. Le logarithme de 6 est 0,778 à la troisième décimale. En d’autres termes, quand nous multiplions 10 par lui-même 0,778 fois, nous obtenons 6. »

Il en va de même du concept de courbure de l’espace, inventé par Bernhardt Riemann et qui ouvrira la voie à la théorie de la relativité, et à la découverte par Georg Cantor qu’il y a des infinis plus grands que d’autres. « Après Riemann et Cantor, les maths ont perdu leur connexion avec quelque appréciation intuitive du monde que ce soit (…). Cantor nous a emmené au-delà de l’imaginable, et c’est un assez bel endroit ».

Illustration : couverture du livre d’Alex Bellos.