Duane Hanson, le rêve américain

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Le Parc de la Villette à Paris présente une exposition consacrée au sculpteur américain Duane Hanson. Ses sculptures hyperréalistes mettent en scène des américains moyens, accablés par une vie qui ne correspond pas au rêve américain.

Duane Hanson (1925 – 1996) a principalement sculpté des personnes humaines en taille réelle, d’après des moulages qui permettaient à l’artiste de reproduire fidèlement jusqu’aux rides du visage. Mais son ambition, au contraire du Musée Grévin, n’était pas la ressemblance avec ses modèles. Il les choisissait délibérément quelconques. Son ambition était de saisir la personne humaine perdue et comme pétrifiée par son destin. Les personnages, des ouvriers, une femme de ménage, une meneuse de parade semblent épuisés, à bout de ressource. Figés comme au bord de la mort, ils expriment aussi le courage qu’il faut pour rester debout malgré tout.

Le catalogue de l’exposition, publié par Actes Sud, contient des textes magnifiques du philosophe et écrivain français Bruce Bégout. Voici un extrait du commentaire de Man with Walkman, œuvre réalisée par Duane Hanson en 1989.

« Un flot de graisse qui enfle, déborde de touts parts et enserre le corps rendu gourd et maladroit. L’obésité (…) est symbole d’une obésité sociale, spirituelle, charnelle qui s’affiche partout sans vergogne. (…) (Le corps) stocke trop de calories en prévision en prévision d’activités grandioses qui ne verront jamais le jour – c’est là l’aspect comique de l’obésité : le gaspillage d’une énergie sans usage (…) Comme si l’individu, prévoyant de futures pénuries se constituait des réserves à même la chair. Au cas où. (…) On comprend pourquoi, dès lors, les personnages de Hanson se figent sur place et donnent l’impression de ne plus pouvoir bouger. Le trop-plein d’énergie qu’ils ont emmagasinée les empêche de se mouvoir. Leur obésité, synonyme de pouvoir, d’abondance, de richesse, se convertit en fixité. Et à la fin, leur corps balourd cloué sur place perd tout lien avec le monde, les enfermant dans leur prison de graisse. »

Illustration : Man on mower, Duane Hanson 1995.

Magie d’un monde souterrain

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Ce texte a été écrit en 2002 à Madrid. Il a inspiré ma première encontre avec Corinne Dauger, dont « transhumances » a rendu compte de la récente exposition à Paris, « Oscillations ».

La correspondance entre les lignes 4 et 5 du métro de Madrid à la Station Diego de León a triste réputation. On emprunte un escalier à angle droit, on parcourt un interminable couloir lugubre. On tente ensuite de descendre sur le quai, lorsqu’on n’en est pas empêché par le flot contraire des voyageurs qu’une rame vient soudain de libérer.

La correspondance de Diego de León est blanche de céramique, sent le désinfectant, dilate  le temps, éprouve les nerfs. Elle se présente ainsi du moins pour qui ne sait la regarder, prendre son pouls, se mouvoir à son rythme.

Car ce monde souterrain est plein de couleurs. Hommes et femmes, blancs, indiens et noirs, s’y croisent vêtus de costumes de ville, de bermudas, de minijupes et de jeans. Une jeune beauté en pantalon moulant laisse admirer son ventre bronzé et se protège de l’improbable soleil par des lunettes de star. Une autre élégante en sari noir et blanc couvre ses cheveux d’un discret fichu. Des affiches polychromes annoncent la sortie d’un film et vantent des articles de mode.

Ce monde bruit des claquements aléatoires de pas sur le sol, de chuchotements échangés et d’éclats de rire partagés. Guitaristes, accordéonistes, flûtistes se disputent cet auditorium improvisé, et leur absence donne au silence une dimension irréelle.

Ce monde est en mouvement. En de rares et éternels moments, des passantes magnifiques habitent l’espace comme la passerelle d’un défilé de mode. Elles avancent d’un pas ondoyant et sûr, conscientes de leur séduction et insouciantes du regard d’autrui.

A la correspondance de Diego de León, le plomb se change en or, le silence en mélodie et le déplacement de masse s’ouvre sur un instant de grâce.

Illustration : Corinne Dauger, « Let them go », www.corinnedauger.com

Flottille

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L’arraisonnement meurtrier de la flottille humanitaire pour Gaza a inspiré à Steve Bell, du quotidien britannique The Guardian, un dessin cruel.

Dans le dessin de Steve Bell, le drapeau israélien porte la tête de mort des pirates et le barbelé du blocus de Gaza.

Au journal du soir de France 2 le 31 mai, un officiel israélien tentait de justifier l’agression. La flottille soi-disant humanitaire n’était qu’un masque du Hamas ; les soldats étaient en état de légitime défense et n’ont tué que pour se défendre. Pas un mot sur l’illégalité du blocus de Gaza, condamné par une résolution des Nations Unies. Pas un mot bien sûr sur l’illégalité d’un acte de piraterie commis dans les eaux internationales. Pour ce porte-parole, l’opération était légitime ; elle était couronnée de succès puisque les bateaux arraisonnés ont été interceptés.

L’autisme des dirigeants israéliens est dangereux pour Israël lui-même. Les voisins les mieux disposés, Egypte et Turquie, arrivent à bout de patience. Le jour, peut-être pas si lointain, où les Etats-Unis considèreront que leurs intérêts ne coïncident plus totalement avec ceux d’Israël, des craquements se produiront.

Illustration de Steve Bell, The Guardian, 1er juin 2010

Prague, capitale baroque

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Prague est restée profondément marquée par la contre-réforme catholique consécutive au Concile de Trente. Elle est l’une des capitales européennes de l’art baroque.

On respire à Prague une ambiance italienne. Cela ne nous étonne pas. Pendant notre séjour de quatre ans à Milan, nous avons souvent eu le sentiment de vivre dans une cité d’Europe orientale. Que le contraire se vérifie dans la capitale tchèque n’est qu’un juste retour des choses.

Certaines églises ont la façade bombée, comme à Raguse ou Noto, sans toutefois atteindre le degré de raffinement du baroque sicilien. Bien que l’église de Saint Marie des Neiges soit placée sous la responsabilité des Franciscains, l’exubérance des ses statues de saints extatiques ou douloureux, ses dorures et ses colonnades torsadées ne dépareraient pas à Palerme ou à Naples.

Dans le Palais Schwartzenberg, tout près du Palais Royal, un musée d’art baroque présente, au rez de chaussée, des statues contemporaines de celles du Pont Charles. Elles expriment avec force une religion sensuelle faite de mouvement, de douleur et d’exaltation.

Trois cents ans plus tard, Alfons Mucha, figure marquante de l’Art Nouveau, développa un style fleuri, épique et généreux fortement inspiré par le baroque. Un musée lui est consacré. Il présente notamment les affiches réalisées pour annoncer des pièces jouées par Sarah Bernhardt.

Photo « transhumances », le Pont Charles.