Pressentiments

100326_pressentiments_clara_sanchez.1269640265.jpg

« Jamais tu ne t’es réveillé avec la sensation de continuer à l’intérieur d’un rêve ? » Le roman de Clara Sánchez, Presentimientos (Alfaguara, 2008) nous emmène aux frontières du sommeil et du monde éveillé.

Julia et son mari Félix font route vers la côte du Levant (Espagne) pour passer une semaine de vacances avec leur fils Tito, six mois. Arrivés tard le soir, ils se rendent compte qu’ils ont oublié à Madrid le lait du petit garçon. Julia se propose pour aller en acheter à la pharmacie de garde.

Les vies de Julia et de Félix se séparent. Julia ne se souvient plus où était leur appartement, semblable à des milliers d’autres. Elle n’a de cesse de retrouver son mari et son fils. Elle tente d’appeler Félix, mais sans réponse. Elle se rend au commissariat de police, mais nul ne s’est inquiété de sa disparition. A l’hôpital, elle laisse un mot sur le tableau d’affichage, mais personne n’y donne suite. A court de ressources, elle tente d’obtenir de l’argent de la banque, mais elle se heurte à un mur d’hostilité. Elle vole de quoi manger et boire au supermarché, mais elle est repérée par les caméras de surveillance.

Félix partage son temps entre l’appartement et l’hôpital. Julia a eu un accident et est plongée dans un sommeil profond dont les médecins ne peuvent prévoir si et quand elle sortira. Il cherche le moyen de rejoindre son épouse, de la ramener au monde réel. Lui, expert en assurances habitué à une observation froide et objective du monde, comprend qu’il doit apprendre à laisser son esprit, comme celui de Julia, dériver dans les rêves.

Dans son rêve, Julia ne se laisse pas aller au désespoir. Elle n’a qu’une obsession, retrouver l’appartement qu’elle a quitté il y a maintenant plusieurs jours, c’est-à-dire sortir de l’impasse. Félix de son côté ne baisse pas les bras. Il passe toutes ses nuits au chevet de sa femme, lui parle des bons moments de son passé, tente d’aider son cerveau à contourner les circuits endommagés par l’accident et à trouver une issue.

Dans sa quête, Félix découvre que Julia a eu un amant, avant et après son mariage. Sa double vie l’a épuisée et a finalement provoqué son accident. Qu’importe, il veut la ramener à la vie, quitte à divorcer lorsqu’il lui aura donné cette preuve d’amour. Dans son rêve, Julia découvre que son amant était un malandrin et elle le tue. Elle sent l’odeur d’une merveilleuse tarte que sa mère préparait lorsqu’elle était enfant. Le parfum du gâteau sera finalement le pont entre les deux mondes.

Le livre est construit sur une alternance de chapitres, les uns écrits du point de vue de Julia, les autres du point de vue de Félix. Il nous parle de la réalité du monde rêvé, des chemins que le cerveau doit inventer pour sortir de l’inconscient, et finalement de la force de l’amour malgré tout.

Photo : couverture de « Presentimientos »

Quadrature du cercle

100325_hubble_saturne.1269550677.jpg

Le consultant espagnol en ressources humaines Grupo BLC publie sur son site Internet http://www.grupoblc.net/ des articles souvent stimulants. L’éditorial de son président en mars s’intitule « pourquoi le talent est rond et les postes de travail sont carrés » ?

Javier Cantera s’attaque donc à la quadrature du cercle. « Dans l’entreprise d’aujourd’hui, nous devons chercher des personnes avec talent, pas nécessairement des personnes qui cadrent avec un poste… Telle est précisément la définition du talent entrepreneurial : quelqu’un capable de transcender les frontières organisationnelles et d’apporter de la valeur ajoutée où qu’il soit et quoi qu’il fasse. »

Grupo BLC a voulu définir le talent entrepreneurial et, paraphrasant Einstein, propose E = IC², formule dans laquelle E est le caractère entrepreneurial, qui a beaucoup à voir avec l’énergie. I est l’enthousiasme (ilusión en espagnol) et C² se réfère au binôme « connaissance » et « compétence » sans lesquelles le talent se réduit au potentiel, c’est-à-dire un concept vague avec lequel il serait difficile de travailler.

En réalité, de qui l’intéresse, ce n’est pas la quadrature du cercle, mais la « sphérisation » du carré !

Photo du satellite Hubble : Saturne

Benoît XIII & III

100325_13_et_3.1269508956.jpg

 Les chats vont-ils sauver le Pontificat de Joseph Ratzinger ? Un article du supplément G 2 du quotidien britannique « The Guardian » daté du 23 mars le laisse espérer.

Des matheux facétieux ont renommé Benoît XVI « Benoît XIII et III ». Ce pape très étroit peut-il encore changer ? Dans un article intitulé « le pape le plus controversé de l’histoire », John Hooper ouvre une fenêtre d’espoir.

« Outre la théologie et la philosophie, les principaux enthousiasmes connus du pape sont pour la musique classique (c’est un pianiste accompli, avec un amour particulier pour Mozart et Bach) et pour les chats – et ils semblent aussi avoir de l’affection pour lui. Le Cardinal Tarcisio Bertone, son secrétaire d’Etat, a raconté comment, quand Ratzinger était un haut responsable du Vatican « chaque fois qu’il rencontrait un chat, il lui parlait, parfois un long moment. Le chat le suivait ». Une fois, dit Bertone, Ratzinger avait introduit un entourage d’environ 10 chats dans le Vatican et un Garde Suisse avait protesté qu’ils « envahissaient le Saint Siège ».

On se plait à imaginer que le pape « 13 et 3 » se mette à écouter les chats après leur avoir parlé. Ceux-ci lui ronronneraient à l’oreille le plaisir de découvrir le jardin du voisin au lieu de rester frileusement tapi dans le sien, le plaisir de bondir d’un territoire à un autre, le plaisir de la tendresse reçue et donnée. Grâce aux félins, la vraie vie envahirait le Saint Siège.

(Photo The Guardian)

Le syndrome du panda géant

100324_panda_geant.1269463226.jpg

Dans le supplément G2 du quotidien The Guardian du 23 mars, Aditya Chalcabortty compare l’économie britannique à un panda géant, égaré dans un cul de sac de l’évolution.

Le panda géant, par son extrême difficulté à se nourrir et à se reproduire, est un exemple d’un phénomène nommé « path dependance », l’emprisonnement dans un chemin sans issue. Cet animal se trouve pris dans un cul de sac de l’évolution et il est trop tard pour qu’il puisse faire marche arrière.

Un autre exemple est le clavier d’ordinateur. « La disposition QWERTY (en français AZERTY) n’a pas été conçue pour rendre la dactylographie plus rapide, mais exactement le contraire. Comme l’indique Paul David, le parrain de la théorie du « path dependance », les touches des machines à écrire du milieu du 19ième siècle s’emmêlaient si on les frappait trop vite, de sorte que l’on espaça les touches les plus fréquemment utilisées afin de ralentir les dactylos. Les mécaniciens de Remington promurent ensuite la lettre R au sommet, ce qui fit que se retrouvèrent sur le premier rang toutes les touches nécessaires pour que les vendeurs désireux d’impressionner les clients puissent rapidement « picorer » la marque « TYPE WRITER ». Même après que le problème mécanique fut résolu, le clavier QWERTY devint le standard pour les producteurs et les clients. Un bouquet de facteurs hasardeux se combina ainsi pour faire d’un clavier inconfortable et inefficace la norme de l’industrie. »

Quel est le rapport entre le panda géant et l’économie britannique ? Comme le panda, celle-ci se retrouve dans une situation de « path dependance » : la domination par la Cité de Londres. La City a fait pression pendant des années sur le pouvoir politique pour qu’il défende une livre forte, ce qui était bon pour l’industrie financière mais provoqua pendant les années Blair la disparition de plus d’un million d’emplois industriels.

Contrairement au panda, l’économie peut remonter le cours d’un chemin évolutionniste sans issue. Mais, dit Aditya Chalcabortty, cela prendra beaucoup de temps et beaucoup d’effort.

(Photo http://photos.last-video.com)