Petites lumières rouges

   

Il arrive que dans la vie professionnelle s’allument dans notre cerveau de petites lumières rouges. Leur prêter attention est difficile, mais indispensable.

Un comité examine un dossier de crédit. Il y a plusieurs centaines de milliers d’euros à gagner, l’offre des concurrents est agressive, le courtier est enthousiaste. L’entreprise à garantir est ancienne, connue pour son professionnalisme. Elle exporte dans des dizaines de pays. Malgré la crise, elle a su réduire la casse et revient doucement à la croissance. Il y a pourtant quelques détails qui gênent dans le dossier, une dépendance croissante des banques, trois directeurs financiers depuis un an…

Tout pousse à négliger les petites lumières rouges. On a peur du ridicule, de poser de mauvaises questions, de passer pour un Cassandre. On craint de gâcher la fête. On est impressionné par la solidité des arguments des avocats du dossier. On se dit que, même mauvaise, la décision en faveur du crédit sera prise collectivement et que les responsabilités individuelles seront diluées. On n’a vraiment pas envie de faire preuve de courage.

Il faut pourtant prêter attention aux petites lumières rouges. Ce sont elles qui obligent à recueillir plus d’information et à aller plus loin dans l’analyse, et qui permettent parfois d’éviter de grandes catastrophes. C’est à une véritable ascèse intellectuelle qu’il faut se livrer : il faut apprendre à les voir et à les interpréter ; il faut s’entraîner à résister à la pression qui s’exerce inéluctablement pour les basculer dans l’oubli.

Cadavre dans le placard

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  Le Sunday Times a publié le 24 janvier un dessin de Gerald Carfe intitulé « skeleton in the cupboard », un cadavre dans le placard.

Le cadavre en question, ou plus précisément le squelette pour utiliser une exacte traduction de l’anglais, est celui de Tony Blair, surmonté du mot Irak. Gordon Brown s’efforce de refermer la porte du placard qui doit rester fermée en permanence, de peur que les électeurs du parti travailliste aient la mauvaise idée de sanctionner leurs dirigeants lors des élections normalement prévues en mai.

Malgré son immense prudence, la commission Chilcot qui enquête sur la guerre d’Irak, accumule des informations de plus en plus gênantes pour l’ancien premier ministre, que plusieurs conseillers auraient prévenu de l’illégalité d’une guerre destinée à changer le régime irakien.

(Voir le site Web du Times, http://www.timesonline.co.uk/tol/comment/article6999648.ece)

Risque Pays

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 Le quatorzième Colloque Risques Pays de Coface s’est déroulé au Carrousel du Louvre le 18 janvier. Je fais part ici de mes étonnements.

J’ai participé à la création du Colloque Risques Pays de Coface en 1997 et j’ai eu la chance d’assister à cette conférence chaque année. Je l’ai vu grandir jusqu’à déborder la capacité du plus grand amphithéâtre du CNIT à La Défense. Depuis l’an dernier, c’est le Carrousel du Louvre qui accueille la manifestation. Le public est disposé le long et au bout d’une passerelle qui sert souvent aux défilés de mode. Il s’en dégage une impression de convivialité bien que, pour leur confort, les spectateurs regardent davantage les écrans géants que les intervenants sur scène. J’ai été étonné par une innovation technologique : le texte des interventions s’inscrivait en bas des écrans avec à peine quelques secondes de décalage. Je suis resté admiratif de la dextérité de la personne au clavier et de l’efficacité de son logiciel.

J’ai été étonné par le pessimisme de Dean Baker, du Centre de Recherche Economique et Politique de Washington, sur l’économie américaine. Il pense que les prix de l’immobilier vont repartir à la baisse jusqu’à atteindre leur niveau d’équilibre à long terme, que le taux d’épargne va s’accroître et que le moteur de la consommation va faire défaut.

J’ai été séduit par la démarche intellectuelle proposée par Patrick Artus, le Directeur des Etudes et de la Recherche de Natixis. Son objectif est de calculer le déficit budgétaire maximum qu’un pays donné peut se permettre. Il résulte du produit du degré d’endettement public par l’indice de croissance de long terme en valeur. Ce dernier se définit comme la somme de la croissance de la productivité observée au cours des dernières années, de la croissance estimée de la population au cours des prochaines années et du taux d’inflation. Pour la France, l’indice de croissance de long terme est de 2.91%, résultant d’une croissance de la productivité de 1,21%, d’une décroissance de la population active de -0.32%, et d’un effet prix de 2.02%. Appliqué au pourcentage de la dette publique dans le produit intérieur brut, 78%, le taux de croissance de long terme de 2.91% donne un déficit public maximum de 2.27%. Les valeurs extrêmes sont le Japon qui, avec -0.14%, ne pourrait selon le modèle se permettre aucun déficit, et l’Inde qui, avec +13,65%, dispose d’amples marges de manœuvre. Patrick Artus s’étonne de ce que le marché des Credit Default Swaps, qui couvrent le risque d’insolvabilité des Etats, ne sanctionnent pas le Japon ou la Grande Bretagne, dont le déficit public est bien supérieur au maximum théorique.

J’ai été étonné par les bonnes nouvelles en provenance de la Turquie, dont le Colloque a traité dans la partie consacrée à l’Europe Centrale. Son endettement public est passé de près de 100% en 2002 à moins de 50% en 2007 et n’a pratiquement pas bougé pendant la crise économique mondiale.

J’ai aimé la méthode de Stephen Green, économiste de la Standard Chartered Bank à Shanghai pour mesurer la marche réelle de l’économie chinoise, sachant que la statistique officielle du PNB est sujette à caution. Il prend en compte plusieurs indices, dont les mouvements de fret, les mouvements de conteneurs ou les stocks de produits finis.

Enfin, je n’ai pas aimé du tout le mot lancé par le Financial Times pour caractériser les pays européens plus touchés par la crise, les PIGS : Portugal, Ireland, Greece, Spain !

Les présentations faites au Colloque Risque Pays de Coface se trouvent à l’adresse suivante : http://www.risque-pays.coface.fr/fr/le-colloque/les-thematiques

(Photo : l’immeuble de Coface à La Défense)

Les cheveux de Ben Laden

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Le FBI a publié récemment un portrait robot de Ben Laden tel qu’il est supposé paraître à son âge actuel, 53 ans. Sa chevelure a été empruntée à un homme politique espagnol de gauche, Gaspar Llamazares Trigo.

Les experts américains du renseignement étaient confrontés à un redoutable défi : comment établir un portrait robot de Ben Laden, alors que ses dernières images connues datent de quelques années ? Un détail était spécialement ardu : la chevelure. Car même les images anciennes font défaut. L’homme ne se présente aux caméras que coiffé d’un keffieh ou d’un turban. Serait-il chauve ? Ou quelle serait sa coupe de cheveux ? Il fallait donner libre cours à l’imagination.

L’idée est semble-t-elle venue d’elle-même : chercher sur Internet la photo d’un homme du sud, né comme Ben Laden en 1957, brun et frisé comme lui, comme lui dans le camp ennemi. C’est ainsi que Gaspar Llamazares, représentant de la formation de gauche Izquierda Unida au Parlement espagnol, figure marquante de la résistance à la guerre d’Irak, fut choisi pour prêter à Ben Laden sa belle chevelure. Le succès fut tel que les as de l’Intelligence prêtèrent à un autre ténor d’El Qaida, Atiya Abd el Rahman, l’étincelante crinière de Gaspar.

L’affaire fait grand bruit outre Pyrénées où la Chambre des Députés vient de voter unanime une déclaration de soutien à Llamazares et de condamnation des manœuvres du FBI. Mais on est surtout consterné par l’amateurisme d’un service qui tient la sécurité des Etats-Unis entre ses mains. On s’imaginait ses agents utilisant un logiciel de « vieillissement » sophistiqué, et voici qu’ils se contentent de copier coller une tignasse espagnole. On croyait qu’ils appliquaient des techniques d’espionnage scientifiques, et voici que, puérils, ils jouent un tour de potache à un vieil adversaire politique.

(Photo El País. De droite à gauche photo de Gaspar Llamazares, portrait robot d’Atiya Abd el Rahman, portrait robot d’Osama Ben Laden).