Humiliation d’un puissant

La comparution du magnat de presse Rupert Murdoch devant la commission d’enquête Leveson, les 25 et 26 avril, a donné le spectacle rare d’un homme habitué à tenir le monde sous sa botte interrogé, déstabilisé et finalement humilié.

 La Commission Leveson a été mise en place à la suite de la découverte de la pratique systématique d’écoutes téléphoniques illégales par News of the World, un titre du groupe Murdoch. Elle vise à faire des recommandations pour la moralisation de la presse. Pour la seconde fois, Rupert Murdoch et son fils James ont été convoqués par la Commission pour une audition à la Royal Court of Justice.

 L’audition de Rupert Murdoch le met aux prises avec deux hommes, Robert Jay, l’avocat de la Commission, et le Juge Leveson lui-même. The Guardian donne dans son édition du 22 avril des extraits de cette confrontation, qui pourrait fournir la trame d’une pièce de théâtre. Robert Jay se montre pugnace et met plusieurs fois Murdoch dans les cordes.

 L’un des moments les plus intenses de l’audition est lorsque Murdoch est prié de s’expliquer sur l’indemnité de 700.000 livres payée à Gordon Taylor, le directeur général de l’association professionnelle du football, après que News of the World eut reconnu que son téléphone portable avait été écouté. Jay demande à Rupert Murdoch s’il a demandé à son fils James les raisons du paiement d’une somme aussi astronomique. Rupert répond que, oui, il en avait parlé à James. Quelle fut sa réponse ? « J’avais peu de temps, et on me donnait deux cases à cocher. Laquelle cocher ? Celle qui impliquait une petite somme d’argent, – relativement petite – ou une infiniment plus grande ? Et son avis était de cocher la plus petite case, et c’est ce qui s’est passé. Il avait peu d’expérience à ce moment là (…) »

 Leveson et Jay demandent alors à Murdoch s’il ne veut pas dire cocher la plus haute case, plutôt que la plus basse.  Murdoch répond alors « J’ai oublié ce qu’elles étaient, mais on a coché la case qui n’impliquait pas le risque d’un appel et des dommages et intérêt triplés, et Dieu sait quoi encore ». Jay enfonce le clou : « je vois. Est-ce qu’on ne vous a pas dit que la case la plus haute était celle qui disait « si on ne trouve pas un accord sur ce cas, il y a un risque que se présentent beaucoup d’autres cas ? » « Non, on ne m’a jamais dit cela », répond Rupert Murdoch.

 Rupert Murdoch n’est pas habitué à rendre des comptes. Face à la commission d’enquête, il se prend les pieds dans le tapis et perd sa superbe. C’est un moment de pure démocratie.

Photo The Guardian : audition de Rupert Murdoch

Pour qui les Français d’Europe du Nord votent-ils ?

L’analyse des résultats de la circonscription « Europe du Nord » à l’élection présidentielle montre un fort taux d’abstention, un rapport de forces en faveur de la gauche, une concentration des voix sur les partis modérés et une attention plus grande qu’en France pour l’écologie.

 L’organisation de onze circonscriptions regroupant les Français de l’étranger est une mesure positive du quinquennat qui s’achève. Plus d’un million de Français vivant hors des frontières sont inscrits sur les listes électorales de ces circonscriptions. Celle de l’Europe du Nord inclut le Royaume Uni et les pays nordiques. Elle compte 88.133 électeurs inscrits.

 Le premier fait remarquable est l’importance de l’abstention : près de 68% des électeurs ne se sont pas rendus aux urnes pour le premier tour de la présidentielle le 22 avril. Une partie des électeurs vit loin des villes où le Consulat tient des bureaux de vote ; pour ceux qui vivent dans l’une de ces villes, Londres par exemple, les temps d’attente sont dissuasifs. Les électeurs pourront voter par Internet aux élections législatives. Il sera intéressant d’observer si la participation s’accroit.

 Le rapport des forces est actuellement en faveur de la gauche. Si le président sortant obtient 33.3% des suffrages, l’addition des voix de Hollande, Joly et Mélenchon atteint 47%. Les expatriés se trouvent dans toutes les couches de la société qui les accueille, du serveur de restaurant au dirigeant de banque. Leurs opinions couvrent tout le spectre des positions politiques.

 Les voix se concentrent sur les partis modérés. Nicolas Sarkozy (33.3% des voix) obtient proportionnellement 23% de plus de suffrages qu’en France ; François Hollande (32.4%), 13% de plus, François Bayrou (13.9%), 52% de plus. Au contraire, Marine Le Pen n’obtient que 3.3% des voix – près de six fois moins qu’en France – et Jean-Luc Mélanchon seulement 7.6% des voix – un tiers de moins qu’en France.

 Une exception est constituée par le vote écologiste. Eva Joly obtient en Europe du Nord 7.1% des voix, trois fois plus que son score en France. Son origine norvégienne ne joue probablement qu’un rôle mineur dans ce phénomène. Plus déterminant est le fait que les Français d’Europe du Nord sont immergés dans des cultures plus sensibles aux préoccupations environnementales.

Photo « transhumances », Londres.

Fiers de voter

 

Photo "The Guardian"

Voter à Londres pour l’élection présidentielle française constitue une épreuve. Mais c’est un témoignage vivant du prix que les citoyens attachent à l’exercice de la démocratie.

 Après le fiasco de 2005 – de nombreux électeurs n’avaient pu exercer leur droit de vote à cause d’une organisation insuffisante – un second groupe de bureaux de vote a été installé au nouveau collège bilingue de Kentish Town, en plus du site habituel du Lycée Charles de Gaulle de South Kensington.

 Nous y arrivons vers midi. Une queue s’est déjà formée à l’extérieur de l’établissement. Dans la cour de récréation, un parcours a été aménagé entre des rubans fixés à des chaises de plastique. Il y a là des centaines de personnes qui avancent pas à pas, beaucoup de jeunes parents accompagnés de bébés ou de gamins, des personnes âgées, des personnes d’allure prolétarienne, d’autres plus chic. Des conversations se nouent dans la file, invariablement amorcées par l’averse qui menace et l’inconfort de l’attente, et se poursuivant ensuite par des échanges sur la condition d’expatrié à Londres ou les mérites comparés de l’enseignement dans le système français et anglais.

 Après une heure et demie, le serpent humain débouche finalement au nirvana : les salles où ont été installés les registres, les isoloirs et les urnes. On oublie le temps perdu à piétiner et on se trouve fier d’avoir mérité un droit précieux : celui de choisir son président.

Gestuelle de la campagne présidentielle

Dans The Guardian du 8 avril, Lizzy Davies déchiffre la gestuelle des candidats à l’élection présidentielle française.

 S’appuyant sur les réflexions d’un expert dans le langage corporel des politiciens français, Stephen Bunard, Lizzy Davies évoque le fossé entre ce que l’on montre et ce qui est dit pendant la campagne électorale française. Le langage corporel peut exprimer des non-dits.

 Du côté de Nicolas Sarkozy, ce qui frappe ce sont les gestes dominateurs : le sourcil droit froncé, l’index pointé et surtout le haussement d’épaule, qui signifie selon Stephen Bunard, la volonté de réussir. Mais le candidat exprime aussi des faiblesses, dénotées par le grattage du nez. Et ses gestes figuratifs sont ceux de quelqu’un qui cherche à convaincre les autres de quelque chose qui n’est pas tout à fait vrai.

 François Hollande singe, selon Bunard, le François Mitterrand de 1981 et 1988 : le doigt pointé, les mains jointes, le buste incliné sur le pupitre, le salut des deux mains, le mouvement des poings serrés… Il souligne la prédominance de la main droite aux dépens de la main gauche, celle de la spontanéité. Le candidat socialiste est quelqu’un qui se contrôle.

 Marine Le Pen joue le jeu de la séduction, présentant une image pas si lointaine de la Princesse Diana. Elle expose le profil gauche de son visage plus que le droit, elle lève les yeux au ciel. Elle lève fréquemment les bras, une indication de l’implication de la personne dans ce qu’elle dit.

 Jean-Luc Mélanchon lève, lui aussi, les bras, un peu trop selon Bunard, car lorsque le mouvement des mains dépasse les épaules, cela peut dénoter une tendance autocratique. Mais c’est la bouche de Mélanchon qui intéresse le plus le spécialiste de la gestuelle : la lèvre supérieure droite tend à se relever – ce qu’on appelle lèvre de chien – un signe de mépris, alors que sur la gauche la bouche peut se pencher, un signe d’amertume.

 Enfin, François Bayrou fait un usage plus modeste de ses mains, ce qui indique aussi la sincérité. Mais ce qui frappe le plus l’analyste est le fait qu’il ne cligne pratiquement pas des yeux, seulement deux fois dans une vidéo de deux minutes et demie, ce qui dénote un état d’hyper-contrôle, que l’on pourrait peut-être attribuer à son bégaiement dans l’enfance.

 Les analyses de Stephen Bunard portent une lumière intéressante sur la campagne présidentielle. Je ne suis pas tout à fait certain de leur caractère impartial et scientifique. Le haussement d’épaule de Sarkozy marque-t-il vraiment une volonté de réussir, ou bien est-il une forme de dérision ? Hollande « singe-t-il » Mitterrand ? Du moins le mot (« to ape ») semble particulièrement péjoratif et partisan.

 Photos du Nouvel Observateur.