Le titre qui tue

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Le Monde a publié le 8 mai une interview de Patrick Devedjian exprimant pourquoi il pense que Nicolas Sarkozy peut remporter l’élection présidentielle l’année prochaine.

Réalisée par Béatrice Jérôme et Arnaud Leparmentier, l’interview est intéressante, car Patrick Devedjian sait prendre du recul. Interrogé sur son bilan de l’arrivée de Mitterrand au pouvoir il y a trente ans, il répond : « si je faisais de la polémique, je dirais l’extrême droite au Parlement et les communistes au gouvernement ! En réalité, ce n’est pas cela qui reste. L’acquis du 10 mai 1981, c’est le confortement des institutions, qui jusqu’alors étaient discutées du fait de l’absence de l’alternance, la décentralisation, et l’abolition de la peine de mort, même si celle-ci relève plus du symbolique. »

Il reconnait le hiatus entre l’actuel président de la république et l’opinion publique et l’explique par la distance entre les attentes des électeurs, qui croient en la baguette magique, et le bilan du président, qui est réel selon lui, mais nécessairement limité.  Il analyse aussi avec finesse le rejet du style du président et l’ambiguïté de « l’ouverture ». Patrick Devedjian croit toutefois que Nicolas Sarkozy peut être réélu car « ses chances de gagner sont en lui-même », et que l’homme n’est jamais aussi bon que dans l’adversité. Il relève que Jacques Chirac avait, en son temps, été plus profond dans l’impopularité et qu’il avait été élu.

L’article conservé par Le Monde a pour titre « Patrick Devedjian, cessons d’attendre de la magie des politiques ». Dans une précédente version, il contenait une phrase comparant la difficulté de faire accepter les réformes qu’avait éprouvée Giscard d’Estaing et la situation dans laquelle se trouve actuellement Nicolas Sarkozy.

Le titre de l’article était alors : « M. Devedjian, Sarkozy comme Giscard ». Le titre qui tue.

Photo du site www.patrickdevedjian.fr

Indignados

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Le Mouvement du 15 Mai en Espagne gagne en jour en jour plus d’écho.

Dimanche 22 mai est jour d’élections locales en Espagne. Les manifestations politiques sont interdites à la veille d’élections, et pour cette raison, l’occupation de places au cœur des villes commencée il y a une semaine est illégale. Mais, comme celle de la Place Tahrir en Egypte, aucune force ne peut y mettre fin, et le Gouvernement Zapatero a sagement décidé de ne pas réprimer.

Les manifestants de la Puerta del Sol à Madrid et dans d’autres villes se disent « indignados », indignés. Le livre de Stéphane Hessel, « Indignez-vous ! » s’est vendu en France à plus d’un million d’exemplaires. C’est en Espagne qu’il est en train de se transformer en un puissant mouvement social.

A l’origine du mouvement, en décembre dernier, un jeune avocat de 26 ans, Fabio Cántara, s’inspira de ce qui s’était passé en Islande. A partir d’octobre 2008, Hödur Torfason avait tenu un meeting chaque samedi devant le parlement de Reykjavik. Il réclamait d’inculpation des banquiers qui avaient causé la banqueroute du pays, une réforme constitutionnelle, la liberté du journalisme d’investigation et le soutien à Wikileaks. Le mouvement qu’il déclencha conduisit à la dissolution du Parlement, à un processus de réforme de la Constitution, au « non » au referendum sur le plan de paiement par les contribuables islandais des sommes dues par les banques aux déposants du Royaume Uni. Sur une base similaire, Cántara et des amis fondèrent en décembre dernier « Democracia Real Ya » (démocratie réelle maintenant). Ils demandaient pour l’Espagne une représentation politique proportionnelle, l’exclusion de la vie politique des corrompus, une vraie liberté de la presse.

Le noyau initial, relayé par Facebook et Twitter, fédère peu à peu des associations de chômeurs, de personnes concernées par les prêts hypothécaires, ainsi que des mouvements citoyens connus comme Oxfam et Attac. Il est encouragé par les mouvements démocratiques en Tunisie et en Egypte. Il organise la manifestation du 15 mai jusqu’à la Puerta del Sol à Madrid et dans plusieurs autres villes espagnoles : en tout, plus de 80.000 participants, un succès inespéré ! Deux jours plus tard, le 17 mai, c’est une foule immense qui occupe la Puerta del Sol et, sous la statue équestre de Carlos III, installe des bivouacs. La police les déloge une nuit, mais le mouvement ne cesse de grossir et devient indélogeable.

Dimanche 22 mai, il se passe quelque chose d’étrange en Espagne : les élections régionales et locales se déroulent dans la normalité, alors que, selon le caricaturiste El Roto, « les jeunes descendirent dans la rue et tout à coup les partis vieillirent ». La classe politique semble déconnectée des « millions de sans-emploi, chômeurs de longue durée, endettés en prêts immobiliers au bord de la faillite, ceux qui craignent l’arrivée d’une facture, personnes touchées par les coupes budgétaires, citoyens indignés par le marketing électoral », selon les mots d’un bel article de Joseba Elola le 21 mai.

Ce qui se passe Puerta del Sol est une magnifique illustration du dynamisme de l’Espagne aujourd’hui. « #spanishrevolution », la « révolution espagnole » sur Twitter, est menée par des jeunes qui développent des formes d’organisation horizontales appuyées sur les réseaux sociaux et des agoras non virtuelles au cœur des villes. Un manifeste, l’équivalent des cahiers de doléance de 1789, est en cours d’élaboration. On parle de changer la loi électorale, d’abroger la loi sur le déchargement de fichiers sur Internet, de donner un répit aux endettés hypothécaires, d’obliger les administrations publiques à payer leurs fournisseurs PME en temps et en heure, de changer la façon dont l’université s’adapte aux normes européennes de Bologne.

Pour l’heure, la Republica del Sol est porteuse de formidables sensations de solidarité, d’invention, de libération de la fatalité. Constituera-t-elle seulement une soupape de sécurité momentanée face aux frustrations provoquées par l’absence de perspectives dans une société où le chômage des jeunes dépasse 40% ? Maintiendra-t-elle le cap de la non-violence ? La « réflexion » que les manifestants sont fiers d’exhiber se transformera-t-elle en action ? Sera-t-elle capable d’entraîner des changements profonds au Parlement et dans les entreprises ? Les prochains jours et les prochains mois s’annoncent passionnants.

Les informations synthétisées dans cet article sont de El País, ainsi que la photo (manifestation d’indignés à Bilbao).

DSK, 365 jours

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En 2006, Dominique Strauss Kahn publiait « 365 jours » (Grasset), sa chronique de l’actualité française, européenne et mondiale de mars 2005 à mars 2006, afin que les électeurs sachent comment il y aurait réagi aux événements s’il avait été le Président de la République qu’il avait alors l’ambition de devenir. Voici la note de lecture que j’ai rédigée en août 2006.

« Son livre m’agace. Je suis trop d’accord avec lui, si je retranche ses jugements flatteurs sur  Jean-Paul II et sur Ariel Sharon. Nous sommes du même âge. Nous partageons un prénom rare (Gaston !). Nous sommes passionnés de langues, et il apprend l’arabe. Je suis jaloux : sa  vie est incomparablement plus intense que la mienne, et comble d’agacement, je sais qu’il a mérité sa vie intense. Je ne suis pas dupe des vices des hommes politiques, vanité, magouille, trahison, parfois complaisance ou corruption. Mais ils acceptent de prendre et de donner beaucoup plus de coups que je n’en supporterais personnellement. Strauss-Kahn porte à un haut niveau la résilience, cette capacité à rebondir que j’admire chez les politiques. Au lendemain de la triste défaite du « oui » à la Constitution Européenne, il était déjà entièrement concentré sur la recherche de moyens pour remettre l’Europe en route.

DSK croit en la politique. Elu de Sarcelles, il rencontre ses concitoyens, console les victimes, descend manifester. Il célèbre des anniversaires aussi méconnus que l’unité socialiste de 1905. Il participe à l’étranger à des conférences et des colloques, rencontre des dirigeants.  Il brosse un portrait gentiment manichéen de la vie politique française, le courage et l’élan sous Jospin, l’enlisement et l’improvisation sous Raffarin et Villepin, quitte à omettre de se prononcer sur les trente-cinq heures.

Il croit dans la force des idées, et fait travailler toute une équipe sur la production d’un programme. Parmi les idées les plus originales, on peut citer la garantie permanente d’activité sous forme d’emploi ou de formation, le crédit de formation initiale de 20 ans utilisable tout au long de la vie, l’incitation fiscale au recrutement de salariés venus de zones défavorisées, le droit de vote des immigrés dès lors qu’ils satisfont aux critères de la naturalisation, la création de « nouvelles villes », l’institution en France et à l’ONU d’une Cour de Justice de l’environnement.

Décidément, je suis d’accord. D’accord, agacé et séduit. »

Ces notes ont été rédigées quelques mois avant que, en novembre 2006, DSK perdît la primaire socialiste pour l’élection présidentielle.

Photo The Guardian.

Du Fonds au fond

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Comme beaucoup, je suis sidéré par l’affaire Strauss Kahn.

J’ai consacré le 5 mai un article de « transhumances » au livre de Stéphanie Antoine « DSK au FMI, Enquête sur une renaissance ». L’auteure montrait comment cet homme charismatique avait profondément transformé le Fonds Monétaire International et l’avait placé au cœur des débats sur la crise financière globale, la crise de l’euro et le développement.

La « renaissance » d’un homme politique auréolé d’un immense prestige international s’est interrompue brutalement dans un commissariat de New York. La réalité dépasse la fiction, et il n’y a nul doute que des livres, des films, des pièces de théâtre et des comédies musicales s’empareront du drame ahurissant qui se déroule sous nos yeux par caméras interposées. Du Fonds monétaire aux bas-fonds.

Drame d’une jeune femme guinéenne qui, en portant plainte contre son agresseur, a déclenché une tempête qui chamboule son existence.

Face à face, dans une suite luxueuse, d’un homme puissant et riche et d’une femme de chambre. Il est blanc. Elle est noire. Elle est jeune. Il est vieillissant.

Mains menottées dans le dos sous le flash des caméras. Humiliation d’un banc de commissariat. Promiscuité avec des dealers et des petits délinquants.

Immense gâchis d’un homme qui va pendant des mois tenter de se disculper d’un viol au lieu de conquérir l’Elysée. Talent gaspillé.

Incrédulité de l’opinion publique. Théorie du complot. Antiaméricanisme. Préjugés, rancœurs, dessous de la ceinture.

Une grande tristesse a pris possession de moi et ne se dissipe pas. Je me sens au fond.

Photo : DSK avec son avocat lors de sa comparution à New York.