Tony Judt

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« Transhumances » a publié le 12 janvier 2010 le témoignage de l’historien Tony Judt sur la maladie dégénérative dont il souffrait. Elle vient de l’emporter, le 6 août. Il avait 62 ans.

Geoffrey Weatcroft a rédigé dans le numéro du 9 août du Guardian la nécrologie de cet homme qui cita Camus comme épigraphe de deux de ses livres : « s’il y avait un parti de ceux qui ne sont pas sûrs d’avoir raison, j’en ferais partie », et encore « toutes les idées fausses se terminent en bain de sang, mais c’est toujours le sang des autres ».

Né d’une famille juive à Londres, Tony Judt était un spécialiste de l’histoire de la gauche française. Profondément social démocrate, il considéra Louis Althusser, coqueluche des milieux parisiens progressistes dans l’après soixante-huit comme un charlatan. Il consacra en 1999 un livre à ses trois héros français, Raymond Aron, Léon Blum et Albert Camus.

Adolescent, il s’engagea dans un petit parti sioniste et travailla pendant les vacances d’été dans des kibboutz. Après la guerre des 6 jours (1967), « il s’engagea comme interprète pour des volontaires sur les hauteurs du Golan, bien qu’il commençât à perdre sa foi. « J’étais venu avec l’illusion idéaliste de créer un pays socialiste communautaire », dit-il plus tard, mais il vit peu à peu que les sionistes de gauche, au moins autant que ceux de droite, étaient « remarquablement inconscients des gens qui avaient été éjectés du pays et qui avaient depuis lors souffert pour rendre possible cette illusion ». Son expérience du travaillisme sioniste eut pour effet de lui inoculer une suspicion pour toute forme de politique fondée sur l’idéologie ou l’identité. Il méprisait l’opportunisme politique, mais abhorrait l’idéalisme et le fanatisme. »

En 2003, dans un essai intitulé « Israël, l’alternative », il prononça la fin du processus de paix au Proche Orient et il affirma que l’idée même d’un état juif ethnique était devenue un anachronisme et qu’il serait remplacé par un état binational. Quelques années plus tard, il souhaita que s’établisse un jour « une distinction naturelle entre les gens qui se trouvent être juifs mais sont citoyens d’autres pays, et des gens qui sont Israéliens et se trouvent être juifs. »

Dans le même numéro du Guardian, Peter Kellner écrit : « pour ceux qui ne le connaissaient pas bien, Tony Judt était un paquet de contradictions : un idéaliste qui pouvait critiquer de manière cinglante ceux qui partageaient ses idéaux ; un Juif, immensément riche de son héritage, qui en vint à être haï par beaucoup de Sionistes ; un véritable social-démocrate européen qui préférait vivre en Amérique. »

Photo The Guardian : Tony Judt à Manhattan en 2008

Le système de santé britannique s’exporte

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Le National Health Service (NHS) est encouragé à vendre ses services à de riches malades étrangers et à se développer hors des frontières britanniques.

Depuis le gouvernement travailliste Attlee au lendemain de la seconde guerre mondiale, le système de santé britannique est public et gratuit. Le personnel de santé est salarié de l’Etat. L’attachement des britanniques à ce système étonne les français. Il tient certainement au miracle que représenta à ses débuts l’accès de tous à la santé ; il s’explique peut-être aussi par le fait que, dans la société si hiérarchisée du Royaume Uni, c’est sans doute le seul système qui grarantisse un accès égal pour tous ; son image a aussi profité des investissements importants réalisés lorsque le parti travailliste était au pouvoir. Toujours est-il que le NHS a été écarté par le Parti Conservateur du champ des coupes budgétaires massives, signe qu’il serait politiquement dommageable de toucher à ce symbole.

Toutefois, le Secrétaire à la Santé Andrew Lansley vient d’annoncer une mesure qui changera significativement le profil du NHS. Les « trusts » du NHS ne seront désormais plus limités dans les sommes qu’ils pourront facturer à des clients privés, ainsi que l’écrivent Randeep Ramesh et Rachel Williams dans The Guardian le 2 août.

Le mouvement a commencé. L’hôpital Christie de Manchester, le plus grand centre anticancéreux en Europe, vient de signer un accord avec le plus grand groupe hospitalier du monde, l’Américain HCA. La clientèle recherchée est celle des riches de Russie ou du Moyen Orient. Un nouvel hôpital, privé, va être construit à Christie, ce qui entrainera le triplement des recettes privées. L’hôpital ophtalmologique de Moorfield à Londres a créé un hôpital à Dubaï et envisage d’en ouvrir un autre à Abu Dhabi. Il réalise 13 millions de sterlings de chiffre d’affaires avec des clients étrangers.

Ce mouvement est loin de faire l’unanimité. On craint que des ressources soient dérivées vers la satisfaction des clients privés et que recommencent les files d’attente pour bénéficier d’une opération. On craint aussi que les Trusts se fassent concurrence les uns aux autres, sans compter la concurrence croissante des hôpitaux indiens. D’autres toutefois se demandent si l’internationalisation des hôpitaux britanniques ne se produit pas trop tard, alors que les Etats-Unis, l’Allemagne, la Malaisie ou l’Inde ont pris de l’avance.

Photo : équipe de soignants dédiée aux clients privés à l’hôpital Christie de Manchester, tirée du site Internet de l’hôpital.

Boris Bike

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Le maire de Londres Boris Johnson vient d’inaugurer l’émule londonien du « Vélib ».

Le nom officiel du système est « Barclays Cycle Hire », mais les londoniens l’ont immédiatement rebaptisé « Boris Bike », du prénom de leur maire charismatique. 5000 bicyclettes sont en location, réparties entre 315 stations.

Depuis 10 ans, le nombre de déplacements à bicyclette à Londres s’est accru de 117%. La crise aidant, les achats de bicyclettes ont augmenté de 25% au Royaume Uni au cours des trois dernières années ; les achats d’automobile ont diminué de 13%.

Dans The Independant du 1er août, la journaliste Susie Mesure indique qu’il faudra investir massivement dans les pistes cyclables et limiter la place des voitures si l’on veut vraiment atteindre l’objectif officiel, décupler la part du vélo dans les déplacements urbains.

Dans la première moitié du vingtième siècle, le vélo était le moyen de transport de la classe ouvrière. Susie Measure révèle que la bicyclette est maintenant l’apanage des classes aisées. Les ménages se situant dans le premier quintile de revenu parcourent 77 miles par an ; ceux qui se situent dans le dernier quintile parcourent seulement 32 miles.

Photo : Boris Johnson inaugure le Barclays Cycle Hire devant le London Eye.

L’Affaire Venables divise les Britanniques

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Le cas d’un criminel récidiviste, Jon Venables, divise l’opinion publique britannique. Le cas n’est pas banal : le criminel en question avait 10 ans lorsqu’avec un complice de son âge il assassina un petit garçon après lui avoir fait subir des sévices.

Jon Venables vient d’être condamné à au moins 2 ans d’emprisonnement pour avoir recélé et diffusé du matériel pornographique enfantin. Il peut rester indéfiniment en prison si le juge d’application des peines en décide ainsi, une particularité du droit pénal britannique qui fait l’envie de la droite française.

En 1993, âgé de 10 ans, il avait un complice assassiné un petit garçon, James Bugler, après l’avoir torturé. Il avait été libéré en 2002. On lui avait donné une nouvelle identité. Il vient d’être condamné pour l’usage et la diffusion de pornographie enfantine.

Pour les « tabloïds » britanniques, la cause est entendue : Venables est un monstre (freak, monster), un dépravé, une bête. Aucun espoir de rédemption n’est possible dans son cas. Il est depuis son crime et pour toujours du côté de l’enfer. Le « politiquement correct » empêche les tabloïds de réclamer la peine de mort, mais la meute lâchée dans Facebook s’en charge.

Il y a là une question de société fondamentale : y a-t-il d’un côté les braves gens et de l’autre des voyous irrécupérables ? Ou bien faut-il reconnaître le versant sombre des gens biens et la capacité des délinquants à se repentir ?

Son avocat fit une déclaration dont voici des extraits. «  (…) Jon Venables commença une vie indépendante en mars 2002, à l’âge de 19 ans, après avoir passé la moitié de sa vie en prison. La décision de le libérer était fondée sur la compréhension de ce qu’il avait fait, sur l’acceptation de sa responsabilité et de ce que cette responsabilité l’accompagnerait pour le reste de sa vie. Il avait dit que chaque jour qui s’était écoulé depuis 1993, il avait pensé à combien la vie aurait été différente pour tous ceux qui avaient été affectés, et il comprend qu’ils aient aussi leurs propres motifs de réflexion.

Sa libération impliquait un défi, un défi qui a pesé sur lui chaque jour depuis lors. Selon les mots des attendus de la sentence, il avait une « vie léguée » – un changement complet d’identité – il fut formé par la police à la contre-surveillance et il lui a fallu vivre en permanence dans le mensonge pour le reste de la vie. Il y avait peu de doute que si son identité était révélée, sa vie aurait été en danger. (…) L’une des majeures conséquences sur sa vie fut l’incapacité à partager un énorme secret… il craignait d’être toujours seul.

Il s’excuse auprès des amis qu’il s’est faits au cours de ces huit années, qui au mieux vont être perplexes et troublés, et plus probablement blessés et en colère en réalisant que leur ami n’était pas ce qu’il disait qu’il était.

(…) Ce n’est nullement une excuse, mais Jon Venables dit maintenant qu’à la réflexion, ne connaissant pas tout à fait à quoi ressemblait le monde dans lequel on le libérait et comment il fonctionnait, il n’a peut-être pas totalement compris à quel point le passage du temps en lui-même n’atténuerait pas par lui-même ses frustrations et son malheur. Il dit qu’il comprend qu’il n’y avait pas de modèle à sa disposition ou  à celle de ceux qui le soutenaient – il se sentait comme un canari au fond d’une mine. Le retour en prison représenta une sorte de soulagement lorsqu’il se produisit. Il a l’intention d’apprendre des leçons qui l’aident à affronter ce défi de nouveau.

(…) Il est décidé, maintenant et une fois pour toutes, à devenir la personne qu’il désire être de manière qu’une fois sorti de prison il n’y revienne plus jamais. »

Illustration de The Guardian : couvertures de tabloïds sur l’affaire Venables.