Mary Robinson, « une terrible urgence »

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Le quotidien « The Guardian » a publié le 13 mars une interview de Mary Robinson, présidente de la République d’Irlande dans les années quatre vingt dix, par la journaliste Aida Edemariam.

Agée de soixante cinq ans, Mary Robinson revient vivre dans son pays après treize années passées à New York. Elle y avait occupé le poste de présidente de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme, avant de devoir démissionner sous la pression de l’Administration Bush qui la considérait trop tiède sur la « guerre contre le terrorisme » et pro palestinienne.

Membre des Anciens, un groupe de 12 éminents leaders réuni par Nelson Mandela et présidé par Desmond Tutu, elle entend se consacrer maintenant à la « justice climatique », en particulier pour que les peuples les plus affectés par le réchauffement climatique (généralement ceux qui contribuent le moins au phénomène) reçoivent une juste compensation. Elle pense que, face à des gouvernements paralysés, c’est à la société civile qu’il faut en appeler. Elle est particulièrement préoccupée par la fragilité de la plus grande démocratie du monde, les Etats-Unis : « Obama essaie d’offrir un leadership, mais je pense que le système politique américain est en train de devenir dysfonctionnel, et cela est vraiment, vraiment préoccupant. »

Sur le thème de la justice climatique, Mary Robinson ressent un terrible sens de l’urgence.

(Photo The Guardian : Mary Robinson avec Desmond Tutu)

Jean Ferrat

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La mort de Jean Ferrat m’attriste. Sa poésie chantée a accompagné les différentes étapes de ma vie depuis l’adolescence.

Dans son livre « si c’est un homme », Primo Levi raconte l’unique moment ressemblant au bonheur qu’il vécut dans l’univers concentrationnaire. Choisi par un compagnon pour le rare privilège de chercher la soupe, il lui déclama des poèmes de Dante. C’est l’image qui me vient en apprenant la nouvelle du décès de Jean Ferrat. Le rapprochement n’est sans doute pas fortuit. Le père du chanteur disparut dans l’holocauste. L’une de ses plus belles chansons est « nuit et brouillard » : « ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers, nus et maigres tremblant dans ces wagons plombés ». Comme Dante était solidement ancré dans la mémoire de Levi, la poésie de Ferrat et celle d’Aragon magnifiée par Ferrat est pour moi indéracinable.

Un jour, un jour viendra couleur d’orange, un jour de palmes, un jour de feuillages au front, un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront…

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre, que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant, que cette heure arrêtée…

Pourtant que la montagne est belle, comment s’imaginer en voyant un vol d’hirondelles que l’automne vient d’arriver…

Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue…

Oh mon jardin d’eau fraîche et d’ombre… heureux celui qui meurt d’aimer…

Aimer à perdre la raison, à n’avoir que toi d’horizon, à n’en savoir que dire…

C’ets mon frère qu’on assassine, Potemkine !…

Camarade !

De plaines en forêts de vallons en collines / Du printemps qui va naître à tes mortes saisons / De ce que j’ai vécu à ce que j’imagine / Je n’en finirai pas d’écrire ta chanson / Ma France

Au grand soleil d’été qui courbe la Provence / des genêts de Bretagne aux bruyères d’Ardèche / Quelque chose dans l’air a cette transparence / Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche / Ma France

Cet air de liberté au-delà des frontières / Aux peuples étrangers qui donnait le vertige / Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige / Elle répond encore du nom de Robespierre / Ma France

Celle du vieil Hugo tonnant de son exil / Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines / Celle qui construisit de ses mains vos usines / Celle dont Monsieur Thiers a dit qu’on la fusille / Ma France

Picasso tient le monde au bout de sa palette / Des lèvres d’Eluard s’envolent des colombes / Ils n’en finissent pas tes artistes prophètes de dire qu’il est temps que le malheur succombe / Ma France

Leurs voix se multiplient à ne plus faire qu’une / Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs / En remplissant l’histoire de ses fosses communes / Que je chante à jamais celle des travailleurs / Ma France

Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches / Pour la lutte obstinée de ce temps quotidien / Du journal que l’on vend le matin d’un dimanche à l’affiche que l’on colle au mur du lendemain / Ma France

Qu’elle monte des mines descende des collines / Celle qui chante en moi la belle la rebelle / Celle de trente six à soixante huit chandelles / Ma France.

(Photo RFI)

Santo subito?

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La béatification de Jean-Paul II, officieusement prévue pour octobre, pourrait être retardée sine die. Le miracle attendu par les partisans de sa canonisation immédiate (« Santo Subito ») se fait attendre.

Un miracle est nécessaire pour avancer sur la voie de la béatification puis de la canonisation. Dans l’édition du 6 mars du quotidien britannique The Guardian, John Hooper indique que le miracle de la guérison de la religieuse française Sœur Marie Simon-Pierre par l’intercession du défunt pape Jean Paul II en 2007 pourrait ne pas être retenu dans le procès canonique le concernant. Citant le journal polonais Rzeczpospolita, le quotidien indique en effet que la religieuse pourrait avoir été atteinte non du Parkinson mais d’une maladie nerveuse similaire et différente, susceptible de rémissions alors que le Parkinson est incurable. De plus, âgée de 49 ans, elle aurait fait une rechute de la même maladie.

On conçoit la frustration des partisans du « Santo Subito ». Jean Paul II a fait béatifier l’auteur du Syllabus, Pie IX, en 2000, et canoniser le fondateur de l’Opus Dei José María Escriva de Balaguer en 2002. N’a-t-il pas été désigné, en 2000, comme l’objet de la troisième révélation de la Vierge à Fatima ? Défenseur intransigeant de la Doctrine, n’a-t-il pas droit à sa place au Panthéon des saints catholiques ? Il semble que les médecins, ou la Providence, fassent de la résistance.

(Photo : Vatican).

Belles filles albanaises

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Au cours d’une conférence de presse avec le Président albanais Sali Berisha le 11 février, le Président du Conseil Italien Silvio Berlusconi a demandé à l’Albanie plus de contrôle sur les passeurs clandestins, et a ajouté : « pour ceux qui amènent de belles filles, nous ferons une exception ». L’écrivaine albanaise Elvira Dones lui a écrit une lettre ouverte. Nous la publions ce 8 mars, jour des droits de la femme.

Moi, écrit Elvira, ces « belles filles » je les ai rencontrées, j’en ai rencontré des dizaines, de nuit et de jour, en cachette de leurs proxénètes, je les ais suivies de Garbagnate Milanese jusqu’en Sicile. Elles m’ont raconté des lambeaux de leurs vies violées, brisées, dévastées. A « Stella », ses patrons avaient tatoué sur son estomac un mot : pute. C’était une belle fille avec un défaut : enlevée en Albanie et transportée en Italie, elle refusait d’aller sur le trottoir. Après un mois de viols collectifs par des proxénètes albanais et leurs associés italiens, elle dut s’incliner. Elle connut les trottoirs du Piémont, du Latium, de la Ligurie et bien d’autres. Et seulement alors, trois ans plus tard, ils lui tatouèrent sa profession sur le ventre, comme çà, par jeu ou par caprice.

Autrefois, elle était une belle fille, oh oui ! Aujourd’hui c’est un déchet de la société, elle ne deviendra jamais plus amoureuse, elle ne deviendra jamais maman ou grand-mère. Cette pute sur le ventre lui a retiré toute lueur d’espoir et de confiance en l’homme, le massacre par les clients et les protecteurs lui a détruit l’utérus.

Elvira termine ainsi sa lettre ouverte à Berlusconi : « L’Albanie n’a plus de patience ni de compréhension pour les humiliations gratuites. Je crois que vous devriez arrêter de considérer les drames humains comme du matériau pour des plaisanteries de bar à heure tardive et que vous n’auriez qu’à y gagner. »

Les humiliations mentionnées par Elvira dépassent le cadre de la plaisanterie déplacée. Le Président du Conseil italien, dans la même conférence de presse, envisageait de faire de l’Albanie un producteur régional d’énergie. Il s’agirait en réalité de construire dans ce pays les centrales nucléaires dont les Italiens ne veulent pas sur leur sol. L’Albanie se prépare à recevoir les déchets de sa grande voisine.

Elvira Dones, née en Albanie en 1960, exerce aux Etats-Unis le métier d’écrivaine et de metteuse en scène. Sa lettre m’a été communiquée par le groupe « Uomini in Cammino » de Pinerolo, Piémont.  Photo de la conférence de presse commune de Berlusconi et Berisha à Rome, La Repubblica, http://www.repubblica.it/cronaca/2010/02/12/news/berlusconi_sbarchi-2272819/