L’Art au creux de la main

 

Premier Baiser de Frédéric Charles Victor de Vernon

Le Musée des Arts Décoratifs de Bordeaux accueille jusqu’au 18 mars une exposition intitulée « l’art au creux de main » consacrée à un art méconnu, celui de la médaille, aux dix-neuvième et vingtième siècles.

 Le Musée des Arts Décoratifs est installé dans un superbe hôtel particulier, l’Hôtel Lalande, achevé en 1779 à l’apogée  de la richesse de la ville de Bordeaux. Ses collections sont présentées sur trois étages. On est étourdi par tant de beaux objets, mobilier, céramiques, verres, tapis, du style Louis XVI à l’Art Déco des années 1920. La bourgeoise bordelaise aimait plus que tout les meubles amples aux formes galbées, souvent fabriqués en acajou : ils furent fabriqués pendant 150 ans jusqu’au début du 19ième siècle, ce qui fit rater à la ville l’aventure de l’Art Nouveau.

 J’ai découvert au musée la faïence de Bordeaux, lancée au début du dix-huitième siècle mais qui connut son heure de gloire au siècle suivant avec la fabrique de Bataclan créée par l’Irlandais David Johnston, auquel succéda en 1845 Jules Vieillard. Les faïences « Vieillard » furent popularisées par les Expositions universelles et connurent un immense succès.

 L’exposition « Au creux de la main » a été organisée par la Monnaie de Paris et mise en scène par Christian Lacroix. Des vitrines ont été mises en place dans les salles du musée, de sorte que sa visite suit un double parcours, collections permanentes et exposition. La médaille est un art méconnu, pour une bonne raison : par définition elle est hagiographique, ce qui la prive de l’irrévérence et de l’impertinence qui caractérisent l’œuvre d’art. Pourtant, nombre d’objets présentés sont d’une grande beauté. J’ai en particulier aimé « Eve et le Serpent », d’Henry Dropsy, « Premier baiser » de Frédéric Charles Victor de Vernon et « Baigneuse » de Pierre Turin.

L’hôtel de Lalande, siège du Musée des Arts Décoratifs de Bordeaux

Francisco de Holanda

A l’occasion d’une conférence au Musée d’Aquitaine de Bordeaux, j’ai découvert la personnalité et l’œuvre de Francisco de Holanda (1515 – 1585), peintre, critique d’art et architecte, acteur de la Renaissance au Portugal.

 La conférence de Fernando António Baptista Pereira, professeur à Lisbonne, avait pour titre « l’art portugais au temps des grandes découvertes (1450 – 1550), de Nuno Gonçalves à Francisco de Holanda. Pereira plaçait de Holanda à parité avec Camões pour sa contribution à la culture portugaise.

 De Holanda étudia à Rome et importa par la suite au Portugal les goûts de la Renaissance italienne. Son traité « Da Pintura Antiga » (de la peinture antique) inclut des dialogues avec Michel Ange.

 Une œuvre extraordinaire est le recueil de dessins « de aetibus mundi imagines » (images des âges du monde) que Francisco de Holanda réalisa sur trente ans, de 1543 à 1573 pour représenter l’histoire du monde selon la Bible. Si l’œuvre est de qualité inégale, les premières planches, consacrées à la création du monde, sont véritablement extraordinaires. Par leur abstraction, elles semblent annoncer William Blake (1757 – 1827) et même les surréalistes. Cette œuvre est accessible en ligne sur le site de la Bibliothèque Nationale d’Espagne.

Francisco de Holanda, la création de l’homme.

Hiroshige, l’art du voyage

La Pinacothèque de Paris présente jusqu’au 27 mars une remarquable exposition consacrée à l’artiste japonais Ando Hiroshige (1797 – 1858), dont l’œuvre a influencé de nombreux peintres occidentaux à la fin du dix-neuvième siècle.

 Visiter l’exposition requiert un effort : les estampes présentées sont de petite taille et sont peu éclairées. On ne trouve pas ici l’éblouissement ressenti en parcourant les salles lorsque les œuvres sont de grande taille. Ici l’espace est caverneux et il faut trouver une place dans la foule et se pencher sur chacune des pièces. Mais cela vaut la peine. La magie joue dès le premier moment.

 Les estampes d’Hiroshige dépeignent des paysages d’Edo (aujourd’hui Tokyo) ou des scènes observées sur les deux routes menant de Kyoto, la ville impériale, à Edo, la ville du gouvernement : Tôkaidô (1833 – 1834) et Kisokaidô (à partir de 1839). Les deux villes sont distantes d’environ 500km, et il fallait une vingtaine de jours pour effectuer le voyage. Des dizaines de relais marquaient ce parcours, où l’on trouvait des auberges, des boutiques, des temples. Les riches voyageaient à cheval et descendaient dans des hôtels de bon standing ; les pauvres marchaient à pied, s’achetaient chaque jour les sandales de paille qui leur permettraient de parcourir d’étape suivante et descendaient dans des auberges de bas niveau.

 Hiroshige tient de véritables carnets de voyage. Il décrit les voyageurs surpris par le vent ou par la pluie, les aubergistes essayant d’attirer les clients, des processions religieuses, les dîners pris à l’auberge, des voyageurs allumant leurs pipes. Le dessin est fin, précis, souvent drôle.

 Je me suis demandé ce qui rendait les estampes d’Hiroshige aussi immédiatement reconnaissables comme « japonaises ». Je crois que c’est le contraste entre le sujet du tableau, très minutieusement peint, et l’arrière plan, traité comme s’il s’agissait d’une surface plane sans aspérité, qui constitue leur marque de fabrique. Lorsqu’ils s’effacent devant un monument ou un groupe humain, mer, terre et ciel sont traités comme s’il n’existait pas de dénivelé, de vagues ou de nuages ; lorsqu’ils deviennent le sujet même de l’œuvre, ils sont décrits avec un luxe de détail.

 Hiroshige a profondément influencé les peintres européens de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, et la Pinacothèque présente en parallèle une exposition intitulée « Van Gogh, rêves de Japon ». Son œuvre reste, aujourd’hui encore, fascinante.

 A noter que le numéro hors-série de la revue Connaissance des Arts consacrée à « Hiroshige, l’art du voyage » est splendide.

Exposition La Belle & La Bête à Bordeaux

 

Affiche de l’exposition « La Belle & La Bête ». Valérie Belin, Cleome Spinosa (Spider Flower), 2010

 

L’Institut Culturel Bernard Magrez de Bordeaux présente jusqu’au 29 janvier une exposition intitulée « La Belle & La Bête, Regards croisés sur la Beauté ».

 Le thème de l’exposition est dérivé d’un tableau de Bernard Buffet, les Oiseaux, le Rapace, de 1959. Le peintre se représente sous les traits d’un oiseau prédateur se nourrissant de la chair de son modèle. Le lien des autres œuvres présentées avec ce fil directeur est ténu, et il vaut mieux ne pas chercher de cohérence dans ce parcours.

 L’Institut Culturel dont le magnat de la viticulture Bernard Magnez est le mécène, occupe un splendide hôtel particulier proche de la Barrière du Médoc à Bordeaux : le château de Labottière. Il offre, nous dit le catalogue de l’exposition, « un espace de poésie visuelle et d’émotions ». Et c’est bien cela que l’on éprouve en flânant d’une pièce à l’autre des deux étages du château.

Bernard Buffet, les Oiseaux, le Rapace, 1959

 Les techniques employées par les artistes vont de la sculpture à la peinture, à la photographie, aux installations mobiles et à la vidéo. Quelques-uns ont marqué le 20ième siècle comme Bernard Buffet, René Magritte ou André Masson dont on admire un splendide tableau de 1942, « Nue aux papillons ». La plupart des œuvres toutefois datent de ces dernières années et sont l’œuvre de créateurs et créatrices opérant dans une grande variété de pays.

André Masson, Nue aux papillons, 1942

 Puisqu’il faut choisir parmi les œuvres présentées dans l’exposition ou la collection permanente, j’en retiendrai trois.

 « Better Places »  est une installation réalisée par Pae White, née en 1963 à Pasadena en Californie. Il s’agit de dizaines de petits miroirs colorés en suspension. Selon l’angle de vue, et selon aussi que des souffles d’air agitent les miroirs, c’est une multitude de visions qui s’offrent au spectateur. Le catalogue parle de surréalisme, de capacité hallucinatoire, d’appel à la rêverie et à l’imagination. L’œuvre est en effet très forte.

 J’ai aimé « Révolte » de Laurent Valera, artiste de Pessac né en 1972. Il s’agit d’une œuvre « composée d’aluminium et de miroirs, qui propose un jeu d’ombres et de lumières laissant apparaître les mots « Révolte » et « Espoirs ». L’artiste, nous dit le catalogue, se sert de la lumière afin de jouer avec notre perception. C’est en éclairant cette structure que la magie opère, deux termes opposés et pourtant indissociables, apparaissent grâce à la lumière.

 Enfin, j’ai été séduit par une photographie de l’artiste anglaise Sam Taylor Wood, née à Croydon en 1967 : « Self Portrait suspended », de 2004. L’artiste semble en lévitation dans son atelier. Pour créer cette scène impossible, « Sam Taylor-Wood s’est suspendue à des bandages qu’elle a ensuite fait disparaître à l’aide de logiciels photographiques. En flottant ainsi dans les airs, sans l’aide de quelques supports visibles, l’artiste tente de figer et de transmettre au public un moment de liberté et d’abandon total ».

 L’art contemporain est parfois ressenti comme rébarbatif, parce qu’il emprunte des chemins nouveaux. La flânerie dans les belles salles du Château Labottière nous le rend accessible, dans sa diversité et dans sa recherche du beau.

Sam Taylor Wood, Sel Portrait suspended I, 2004