L’Espagne entre deux siècles

Le Musée de l’Orangerie de Paris propose jusqu’au 9 janvier une magnifique exposition intitulée « L’Espagne entre deux siècles, de Zuloaga à Picasso (1890 – 1920).

Selon le catalogue, « cette exposition propose une vision panoramique des principaux artistes et des tendances dans l’art espagnol de la fin du XIXème siècle au début du XXème.

Elle présente une soixantaine d’œuvres des artistes fondamentaux de cette période tels que Joaquin Sorolla y Bastida, Ignacio Zuloaga y Zabaleta, Dario de Regoyos, Salvador Dali, Joaquín Mir, Ramón Casas, Santiago Rusiñol, Joaquim Sunyer, Pablo Picasso et Joan Miró.

Ces artistes ont en effet illustré la richesse et la diversité de l’art espagnol au tournant du XXème siècle ainsi que son évolution naturelle dans les mouvements d’avant-garde, notamment  le symbolisme et le postimpressionnisme. »

A la fin du dix-neuvième siècle, l’Espagne est un pays en crise. La perte de Cuba en 1898 à la suite d’une guerre avec les Etats-Unis est un moment crucial : la page du passé glorieux des Conquistadores est tournée. L’opinion est divisée entre le repli sur les valeurs traditionnelles et l’ouverture au grand vent du changement. Les peintres espagnols se partagent eux aussi entre ceux qui décrivent une Espagne blanche et lumineuse et ceux qui la représentent en noir. La plupart d’entre eux émigrent à Paris, ou du moins entretiennent des liens étroits avec les artistes de la capitale française.

Mon séjour de plusieurs années à Madrid m’avait fait découvrir Sorolla, Rusiñol et Sunyer. J’ai découvert dans l’exposition Hermen Anglada Camarasa (Granadina, 1914, reproduite en tête de cet article), Eliseu Meifrén y Roig (Paysage nocturne), Juan de Etcheverria y Zuricalday (la métisse nue, 1923).

Les peintres espagnols de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième s’inspirèrent des grands anciens. Un exemple impressionnant est fourni par « l’enterrement de Casamegas », tableau peint par Picasso en s’inspirant de l’enterrement du comte d’Orgaz du Greco pour célébrer à sa manière le suicide de son ami Casamegas.

La collection permanente du Musée de l’Orangerie, consacrée à des peintres du dix-neuvième et vingtième siècles, est passionnante. Elle comporte, entre autres, des tableaux de Derain, Renoir, Modigliani. J’ai découvert Marie Laurencin (1883 – 1956) dont les œuvres sont empreintes de finesse et de mystère.

Illustration : Granadina, par Hermen Anglada Camarasa (1914).

Exposition Edward Burra à Chichester

La Pallant House Gallery de Chichester présente jusqu’au 21 février 2012 une passionnante exposition des œuvres d’Edward Burra.

 Edward Burra (1905 – 1976) est peu connu en France. Il a pourtant été proche du mouvement surréaliste et sa peinture est puissamment originale. Il avait été pour moi la révélation de la récente exposition Watercolour (aquarelle) à la Tate Britain.

 La technique de Burra, c’est l’aquarelle. Il a souffert toute sa vie d’anémie et d’arthrite, ce qui lui rendait plus difficile l’accès à des peintures plus physiques. Mais il a su porter l’aquarelle au rang de grand art.

 Burra est un fils de la petite bourgeoisie d’une petite ville du Kent, Rye. Le petit bourgeois conçut une véritable passion pour la mauvaise vie : prostituées, danseuses des Folies Bergères, trafiquants, ivrognes. Lorsque, bloqué par la guerre, il dessine des paysages d’Angleterre, c’est une nature scarifiée de pylônes et de tunnels qu’il représente, avec des camions et des grues comme des objets doués d’une force surnaturelle.

 Profondément attaché à sa ville comme à un port d’attache, Burra fut un grand voyageur. Il visita et peignit le Mexique, Harlem, Toulon et Marseille. Il fut témoin de la guerre civile espagnole et y consacra des toiles remplies de violence et d’horreur. Il voyagea aussi par procuration, en regardant avec avidité des films et en s’inspirant de photographies pour peindre des spectacles de rue qu’il n’avait pas lui-même rencontrés.

 Les tableaux de Burra portent presque tous une contradiction : ils expriment une sorte de nonchalance tranquille mais sont aussi traversés de tension et d’anxiété. Qu’il s’agisse de paysages, de scènes de rue ou d’allégories, le spectateur reçoit un flot d’énergie dont la source est un profond amour pour la vie et pour l’humanité, mais aussi un sentiment de l’absurdité des choses et des êtres.

 Il y a 25 ans, la Tate Britain consacrait une rétrospective à Edward Burra. L’exposition de 70 œuvres à la Pallant House Gallery est la première en un quart de siècle. Il faut s’y précipiter, en espérant qu’un événement de ce type ait lieu en France, le plus vite possible.

 Illustration : The Straw Man, 1963, l’une des œuvres exposées à la Pallant House Gallery de Chichester

Pallant House Gallery à Chichester

Installé dans une demeure du 18ième siècle dans la petite ville de Chichester, non loin de Portsmouth, le musée de Pallant House n’abrite actuellement pas moins de trois expositions.

 J’ai déjà eu l’occasion de décrire l’étonnante cathédrale de Chichester, qui abrite plusieurs œuvres d’art remarquables du vingtième siècle : une tapisserie de John Piper, un vitrail de Marc Chagall, une peinture de Graham Sutherland (l’apparition de Jésus ressuscité à Marie Madeleine) et un tableau mural de Hans Feisbusch près du baptistère (le baptême de Jésus).

 C’est à Hans Feisbusch (1898 – 1998) que Pallant House consacre l’une des expositions. Juif allemand, Feisbusch fuit le nazisme en 1933 et émigra en Angleterre. La lithographie « mère et enfant se noyant », de 1935, exprime le désespoir de l’artiste submergé par les événements tragiques en Europe.

 Une autre exposition a pour titre « Bloomsbury and beyond », « Bloomsbury et au-delà ». C’est au groupe de Bloomsbury, auquel « transhumances » a récemment consacré plusieurs chroniques, qu’elle se réfère. Pour la première fois, la collection du Bulgare Mattei Radev est présentée au public. La relation au groupe de Bloomsbury passe par l’associé de Radev, Eddy Sackville-West (1901 – 1965), dont la femme Vita était une amie intime de Virginia Woolf. La collection inclut des œuvres de peintres britanniques du vingtième siècle, comme Duncan Grant, Winifred  Nicholson ou Graham Sutherland, mais surtout de peintres actifs en France, dont Modigliani, Picasso et Léger.

 Enfin, Pallant House présente une rétrospective d’Edward Burra en 70 tableaux. « Transhumances » y consacrera prochainement une chronique.

 Pour les amateurs de la peinture du vingtième siècle, une visite à Pallant House Gallery s’impose (Feisbusch jusqu’au 8 janvier 2012, Collection Radev jusqu’au 22 janvier, Burra jusqu’au 21 février)

 Illustration : « mère et enfant se noyant », Hans Feisbusch 1935, Pallant House Gallery.

La Cathédrale de Coventry, symbole de réconciliation

Dans la nuit du 14 au 15 novembre 1940, Coventry, ville industrielle des Midlands, fut entièrement détruite par la Luftwaffe. On releva 600 morts. De la Cathédrale, il ne restait que quelques murs et la flèche.

 Le lendemain du raid, la décision fut prise de rebâtir la Cathédrale. Le résultat est spectaculaire et émouvant. La nouvelle Cathédrale ne remplace pas la première, qui reste là, démolie, comme témoignage de la cruauté humaine.

 Dans ce qui fut le chœur de l’ancienne Cathédrale, maintenant à ciel ouvert, se trouve une croix faite de morceaux de charpente calcinés, avec ces mots : « Father, forgive », père, pardonne. La nuance est importante : non « pardonne-leur », comme dans les Evangiles, mais « pardonne », à nous comme à eux. Une sculpture de Josefina Vasconcelos célèbre la réconciliation. Une massive statue de Jacob Epstein, Ecce Homo, personnifie Jésus devant ses juges.

 La nouvelle Cathédrale communique avec l’ancienne par son portail nord. Elle a été construite dans les années cinquante et est considérée par les Britanniques comme leur édifice du vingtième siècle de prédilection. Elle contient de nombreuses œuvres d’art, en particulier la statue de Saint Michel terrassant le Diable par Jacob Epstein, la gigantesque tapisserie du Christ en Gloire de Graham Sutherland, tissée  en France à Felletin dans la Creuse, et la verrière du baptistère par John Piper.

 Le baptistère est taillé dans un bloc de pierre extraite d’une carrière proche de Bethléem. La Palestine est aussi présente dans la Chapelle de l’Unité, où sont exposées des photographies d’enfants palestiniens.

 Visiter Coventry est profondément émouvant et, finalement, source d’optimisme.

 Photo « transhumances » : Ecce Homo par Jacob Epstein dans l’ancienne Cathédrale de Coventry.