Pallant House Gallery à Chichester

Installé dans une demeure du 18ième siècle dans la petite ville de Chichester, non loin de Portsmouth, le musée de Pallant House n’abrite actuellement pas moins de trois expositions.

 J’ai déjà eu l’occasion de décrire l’étonnante cathédrale de Chichester, qui abrite plusieurs œuvres d’art remarquables du vingtième siècle : une tapisserie de John Piper, un vitrail de Marc Chagall, une peinture de Graham Sutherland (l’apparition de Jésus ressuscité à Marie Madeleine) et un tableau mural de Hans Feisbusch près du baptistère (le baptême de Jésus).

 C’est à Hans Feisbusch (1898 – 1998) que Pallant House consacre l’une des expositions. Juif allemand, Feisbusch fuit le nazisme en 1933 et émigra en Angleterre. La lithographie « mère et enfant se noyant », de 1935, exprime le désespoir de l’artiste submergé par les événements tragiques en Europe.

 Une autre exposition a pour titre « Bloomsbury and beyond », « Bloomsbury et au-delà ». C’est au groupe de Bloomsbury, auquel « transhumances » a récemment consacré plusieurs chroniques, qu’elle se réfère. Pour la première fois, la collection du Bulgare Mattei Radev est présentée au public. La relation au groupe de Bloomsbury passe par l’associé de Radev, Eddy Sackville-West (1901 – 1965), dont la femme Vita était une amie intime de Virginia Woolf. La collection inclut des œuvres de peintres britanniques du vingtième siècle, comme Duncan Grant, Winifred  Nicholson ou Graham Sutherland, mais surtout de peintres actifs en France, dont Modigliani, Picasso et Léger.

 Enfin, Pallant House présente une rétrospective d’Edward Burra en 70 tableaux. « Transhumances » y consacrera prochainement une chronique.

 Pour les amateurs de la peinture du vingtième siècle, une visite à Pallant House Gallery s’impose (Feisbusch jusqu’au 8 janvier 2012, Collection Radev jusqu’au 22 janvier, Burra jusqu’au 21 février)

 Illustration : « mère et enfant se noyant », Hans Feisbusch 1935, Pallant House Gallery.

La Cathédrale de Coventry, symbole de réconciliation

Dans la nuit du 14 au 15 novembre 1940, Coventry, ville industrielle des Midlands, fut entièrement détruite par la Luftwaffe. On releva 600 morts. De la Cathédrale, il ne restait que quelques murs et la flèche.

 Le lendemain du raid, la décision fut prise de rebâtir la Cathédrale. Le résultat est spectaculaire et émouvant. La nouvelle Cathédrale ne remplace pas la première, qui reste là, démolie, comme témoignage de la cruauté humaine.

 Dans ce qui fut le chœur de l’ancienne Cathédrale, maintenant à ciel ouvert, se trouve une croix faite de morceaux de charpente calcinés, avec ces mots : « Father, forgive », père, pardonne. La nuance est importante : non « pardonne-leur », comme dans les Evangiles, mais « pardonne », à nous comme à eux. Une sculpture de Josefina Vasconcelos célèbre la réconciliation. Une massive statue de Jacob Epstein, Ecce Homo, personnifie Jésus devant ses juges.

 La nouvelle Cathédrale communique avec l’ancienne par son portail nord. Elle a été construite dans les années cinquante et est considérée par les Britanniques comme leur édifice du vingtième siècle de prédilection. Elle contient de nombreuses œuvres d’art, en particulier la statue de Saint Michel terrassant le Diable par Jacob Epstein, la gigantesque tapisserie du Christ en Gloire de Graham Sutherland, tissée  en France à Felletin dans la Creuse, et la verrière du baptistère par John Piper.

 Le baptistère est taillé dans un bloc de pierre extraite d’une carrière proche de Bethléem. La Palestine est aussi présente dans la Chapelle de l’Unité, où sont exposées des photographies d’enfants palestiniens.

 Visiter Coventry est profondément émouvant et, finalement, source d’optimisme.

 Photo « transhumances » : Ecce Homo par Jacob Epstein dans l’ancienne Cathédrale de Coventry.

Affectueusement trompée

Angelica Garnett est maintenant une dame de 93 ans qui vit à Forcalquier environnée de livres et de tableaux. Son livre, « Deceived with Kindness » (Random House, 1984, traduit en France chez Christian Bourgeois sous le titre « trompeuse gentillesse »), raconte son enfance dans le groupe de Bloomsbury et son difficile chemin vers la maturité.

 Angelica naquit le jour de Noël 1918 de Vanessa Bell, l’un des membres du Groupe de Bloomsbury et l’épouse de Clive Bell. Ce n’est qu’à l’âge de 17 ans que sa mère lui apprit qu’elle était fille de Duncan Grant et non de son mari.

 Dans son livre, Angelica s’attaque à la tâche de comprendre comment cette tromperie initiale a pollué son enfance et sa vie de jeune adulte. « Vanessa n’avait peut-être pas compris qu’une fille désire être possédée par son père, et cela Clive n’était pas en situation de le faire », écrit-elle. D’un côté, Angelica eut une enfance privilégiée, au contact intime de personnalités exceptionnelles comme Virginia Woolf, sa tante, ou Maynard Keynes, un ancien amant de Duncan. Elle fut encouragée à peindre et à jouer de la musique. Elle eut la chance de voyager, en particulier en France. Mais ce fut aussi une enfance « gâtée », au sens fort du terme. A l’école, la relation particulière de sa mère avec la directrice l’exemptait de passer des examens. Il n’y avait pas vraiment à son égard d’exigence, d’étapes à franchir.

 Angelica décrit Duncan comme un homme délicieux et tout en finesse, mais totalement incapable d’assumer un conflit ; Vanessa elle-même semblait un roc de l’extérieur, mais souffrait d’une croissante minimisation de soi-même. Au seuil de ses vingt ans, Angelica n’avait pas pu se construire elle-même. Elle finit par céder aux pressantes demandes en mariage de David « Bunny » Garnett, alors âgé de 48 ans. Nul ne lui avait dit que, de 1916 à 1918, Bunny avait vécu en couple avec son père Duncan, alors qu’ils étaient objecteurs de conscience à Charleston. Vanessa ne lui avait pas révélé qu’elle-même avait refusé une demande en mariage de Bunny.

 La maternité (quatre filles dont deux jumelles) remplit la vie d’Angelica malgré la catastrophe de son mariage avec Bunny. Ses relations avec sa mère restèrent difficiles jusqu’à la mort de Vanessa en 1961 : le non-dit était trop lourd et installait entre les deux femmes gêne et silence.

 Angelica mit plusieurs années à écrire « Deceived with Kindness ». Mais cet exercice de lucidité lui permit de surmonter les souffrances accumulées. A quatre-vingt dix ans passés, épanouie dans la peinture et l’écriture, elle se disait plus jeune et heureuse que lors de ses vingt ans.

 Son livre est d’une grande profondeur psychologique. Il contient aussi des portraits affutés de personnalités  du groupe de Bloomsbury qui ont marqué durablement la culture en Grande Bretagne et dans le monde.

 Photo The Guardian : Angelica Garnett

William Morris à Two Temple Place

William Morris, le pic-vert, 1885

Un nouveau lieu d’exposition vient de s’ouvrir au public à Londres : Two Temple Place. Le premier artiste exposé est William Morris, proche des préraphaélites.

 Two Temple Place, situé tout près de la Fondation Courtauld en bordure de la Tamise à Londres, est l’hôtel particulier que le millionnaire William Waldorf Astor fit construire en 1895. L’édifice est aujourd’hui propriété d’une « charity » (organisation de bienfaisance), Bulldog Trust, dont la vocation est d’aider d’autres « charities » à sortir d’une mauvaise passe financière. Il est loué pour des soirées privées « posh » (chic). Pour la première fois le mois dernier il s’est ouvert au grand public pour une exposition intitulée « William Morris, Story, Memory, Myth ».

 Sévère à l’extérieur, l’édifice est d’un luxe somptueux à l’intérieur. La cage d’escalier est éclairée par une verrière dans l’esprit de l’art nouveau. Les bois rares triomphent dans les  bas reliefs, les sculptures et les frises. L’opulence est partout, qui réchauffe mais d’une certaine manière aussi, étouffe.

 

Two Temple Place

Pour sa première exposition publique, Bulldog Trust a profité de l’opportunité de la fermeture pour travaux de la William Morris Gallery de Walthamstow, au nord-est de Londres. Il y a là une certaine ironie : Waldorf Astor avait chargé un concurrent de Morris de l’aménagement de son palais ; Morris de son côté, dont les idées socialistes étaient bien arrêtées, n’aurait probablement pas accepté la commande.

 « La Carte et le Territoire » de Michel Houellebecq évoque le personnage de William Morris, artiste, fondateur d’une coopérative ouvrière qui fut un succès industriel, militant socialiste. L’exposition présente des tapisseries, des céramiques et des papiers peints inspirés de légendes médiévales que Morris avait patiemment recueillies.

 Londres est riche de musées et d’exposition. Two Temple Place vaut le déplacement.