Francis Bacon par Tom Lubbock

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En marge de l’article de Tom Lubbock dans The Observer (voir le précédent article de « transhumances », Quand les mots m’ont lâché), Laura Cumming rend hommage à son ami Tom, une source d’inspiration pour elle. Elle cite un article écrit par lui sur l’exposition Francis Bacon à la Tate Britain en septembre 2008 pour The Independant.

« Sa théâtralité est évidente. Les peintures de Bacon sont des scènes, faites de zones distinctes, de toiles de fond, de portes et d’accessoires et d’acteurs assortis. Ses gens sont présentés en plein cadre, généralement au centre. Je ne nie pas que ces personnes sont parfois dans un terrible désarroi. Tout le monde a, au premier contact avec l’art de Bacon, une impression de voitures accidentées, d’impact de bombes, de brûlures, d’effondrement, d’abattoir. La peinture rouge et les bouches ouvertes encouragent bien sûr cette réaction. Mais elles ne devraient pas nous distraire de la surprenante pièce qui se joue devant nos propres yeux. Bacon est un magicien, un artiste de la métamorphose. Il réussit les actes de disparition et de réapparition les plus soudains, les fusions et les transformations. La chair glisse, boit à grand bruit, se souille, éclate, s’estompe, s’efface, s’évapore, se dématérialise brutalement. Prestidigitation : il est tout simplement impossible de voir comment c’est fait, comment ça bouge du solide à la pellicule au fantôme au reflet et en sens inverse.

Tout ce dégât met en fait de l’animation. Il n’y a pas un cadavre partout dans le travail de Bacon. Son traitement sauvage est en  fait une extension, une exagération, des propres mouvements, sensations et expressions du corps. Et bien que son utilisation de la peinture à l’huile lui donne un langage plus liquide, on aurait tort de le voir dans la ligne de la caricature graphique anglaise, et la manière dont il utilise la distorsion ne se contente pas de jouer avec la vraisemblance, mais elle injecte de l’énergie et met les nerfs à nu. »

Photo de l’exposition de 2008 à la Tate Britain : Francis Bacon, triptyque, 1972.

Les joueurs de cartes

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La Collection Courtauld de Londres présente jusqu’au 16 janvier 2011 une exposition consacrée au tableau de Cézanne, les joueurs de cartes.

La Collection Courtauld est l’un des musées les plus chaleureux et intéressants de Londres. Il est installé dans Somerset House, un palais du dix-huitième siècle en aplomb de la Tamise, sur la terrasse duquel il fait bon déguster un thé au soleil d’automne. Il rassemble des toiles et des sculptures de diverses époques, mais avec une forte prédominance de la peinture française du dix-neuvième siècle. On y admire en particulier des œuvres de Manet (en particulier le magnifique Bar aux Folies Bergères), Degas, Gauguin, Van Gogh ou Cézanne.

Les expositions temporaires ne sont pas séparées de la collection permanente. Elles occupent l’une des salles, et on y accède avec le même ticket. Le musée possède l’une des trois toiles « Les joueurs de cartes » peintes par Cézanne vers 1890. Il a obtenu de plusieurs musées internationaux le prêt de tableaux ou d’esquisses préparatoires. La table des joueurs ainsi que le miroir derrière eux laissent une impression de flottement et d’irréalité. Les personnages pourtant sont si concentrés que le tableau frappe par sa force. Hommes de la terre, ils semblent enracinés pour toujours.

Illustration : les joueurs de cartes de Paul Cézanne, Courtauld Collection.

L’herbe poussera sur vos villes

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Le documentaire de Sophie Fiennes « over your cities grass will grow » a été présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes. Son objectif est de faire entrer le spectateur dans la compréhension de l’œuvre du sculpteur et peintre Anselm Kiefer.

Né en 1945, Anselm Kiefer a quitté l’Allemagne en 1993 pour s’installer dans une usine de soie désaffectée de Barjac dans le sud de la France.

Le film commence par une lente errance dans les souterrains de la ville absurde que l’artiste a créée comme matrice de sa propre production artistique. Il s’agit d’une véritable méditation, sans parole, accompagnée seulement par des œuvres du compositeur Gyorgi Ligeti. Puis, imperceptiblement, on passe de la matière inerte à la matière excavée, broyée, incendiée, fondue, brisée, hissée, exhibée dans ses meurtrissures par le travail de l’artiste et de ses assistants. Au centre du film, Anselm Kiefer explique sa conception de l’art comme une tentative pour mettre un ordre provisoire, toujours menacé de subversion par la vie qui monte : l’herbe poussera sur vos villes.

Curieusement, j’ai l’occasion de voir ce film le jour où les journaux annoncent la disparition du mathématicien Benoît Mandelbrot qui, avec sa théorie des fractales, tentait de trouver une cohérence dans des figures géométriques brisées telles que les côtes de la Bretagne ou un graphique de cours de bourse. C’est à une tâche semblable que s’attache Kiefer dans le domaine de l’art. La mer et la forêt, ses thèmes de prédilection, sont des univers de discontinuité. Le sculpteur y associe des livres. Soudain un sens est donné, mais toujours fragile et menacé.

Illustration : http://www.overyourcities.com/

Anish Kapoor à Londres

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La galerie Serpentine présente quatre sculptures d’Anish Kapoor, sculpteur né à Mumbai en 1954, dans le parc de Kensington Gardens.

Le point commun de ces sculptures est qu’il s’agit de miroirs. Sky Mirror (2006) est la plus grande d’entre elles. Elle est située au bord de la rivière Serpentine qui court dans Hyde Park et Kensington Gardens. Elle se reflète dans la rivière, mais reflète elle-même les nuages. Non-Object (2007) est un cône sur le côté duquel se réfléchissent les arbres.  C-Curve (2007) offre aux passants leur propre image, tête en bas dans l’une des faces. Enfin, Sky Mirror Red (2007) est installée dans le bassin circulaire en face du palais de Kensington où évoluent des canards, des cygnes et des maquettes télécommandées de voiliers de la Coupe de l’America.

Photo « transhumances » : Sky Mirror. http://www.serpentinegallery.org/