Le Prénom

 

« Le Prénom », film d’Alexandre de la Patellière, est une comédie bien enlevée où l’on rit beaucoup.

 Avant d’être un film, Le Prénom a été une pièce de théâtre à succès écrite par Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière. La version cinématographique n’innove pas vraiment : la transposition au grand écran emprunte peu au langage propre du cinéma, ce qui est décevant. Toutefois, ce théâtre filmé est bien enlevé, mordant et drôle.

 Pierre (Charles Berling) et son épouse Zabou (Valérie Benguigui) sont des bobos de gauche, lui professeur à la Sorbonne, elle enseignante de collège. Ils invitent le frère de Zabou, Vincent (Patrick Bruel), sa jeune épouse Anna (Judith El Zein) et un ami d’enfance, Claude (Guillaume de Tonquédec) à une soirée tajines. L’ombre de la mère de Zabou et Vincent, Françoise (Françoise Fabian) plane sur la soirée.

 Vincent a réussi dans la vie et ne se prive pas de le faire sentir à sa sœur et son beau-frère qui peinent à masquer la jalousie derrière des convictions socialistes. Le dernier succès de Vincent : il va être père. Le roman « Adolphe » de Benjamin Constant lui donne l’idée d’une plaisanterie qui ne manquera pas de faire sortir ses hôtes de leurs gonds. Le but recherché est atteint : Pierre et Zabou s’étranglent d’indignation à l’idée que leur futur neveu puisse porter le prénom du plus grand criminel de l’histoire. Mais les sentiments se sont emballés, et rien ne peut arrêter l’ouragan qui va dévaster la routine des relations familiales. Anna confesse que les prénoms que ses hôtes ont donnés à leurs enfants l’horripilent. Vincent confesse à Claude qu’on le surnomme « la Prune » car on le suspecte d’homosexualité. Claude confesse qu’il est l’amant de Françoise, la mère de Zabou et Vincent. Zabou confesse à Pierre sa frustration d’avoir tout sacrifié à son mari…

 Après cette soirée désastreuse, la famille pourrait être détruite. Mais nous sommes en comédie, et tous se retrouvent pour la naissance de l’enfant de Vincent et Anna… qui s’avère être une fille. Du coup, les heureux parents se trouvent à court de prénoms !

 Photo du film « Le Prénom » : Patrick Bruel et Charles Berling.

Il était une fois en Anatolie

Photo du film "Il était une fois en Anatolie"

 « Il était une fois en Anatolie » du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan (2011) passe actuellement sur les écrans londoniens.

 Le point commun entre le film de Ceylan et « il était une fois dans l’Ouest » de Sergio Leone, c’est le temps qui s’écoule lentement dans d’immenses espaces.

 La photographie de « il était une fois en Anatolie » est d’une exceptionnelle qualité, qu’il s’agisse de restituer la beauté des collines plantées de céréales ou les nuances et les changements brutaux d’expression de visages.

 A la nuit tombante, un convoi de trois véhicules s’arrête en rase campagne à proximité d’une fontaine. Il y a là un procureur, un médecin, plusieurs policiers, des gendarmes, des ouvriers chargés d’une pelle et deux hommes menottés. Il s’agit de retrouver le cadavre d’un homme que les suspects ont avoué avoir assassiné. Mais – effet de l’obscurité, trou de mémoire ou mauvaise volonté – le lieu de l’ensevelissement reste introuvable. La petite troupe erre d’un endroit à l’autre jusque tard dans la nuit. Les policiers, commandés par Naci (Yilmaz Erdogan), passent à tabac le suspect, Kenan (Firat Tanis) dont ils pensent que le silence n’est que manipulation.

 On décide de s’inviter pour une pause repas chez le maire du bourg où a eu lieu le meurtre. Une panne d’électricité plonge la maison dans le noir. On s’éclaire à la bougie. La fille du maire, une adolescente splendide, brise l’armure du monstre, Kennan. Il s’effondre en larme, reconnait être le père de l’enfant de l’homme qu’il a tué et emmène la troupe au lieu de l’ensevelissement.

 Le dernier tiers de ce film de deux heures et demie se déroule au petit matin, à l’hôpital où le médecin, le docteur Cemal (Muhammat Uzuner) va pratiquer l’autopsie. Les protagonistes sont épuisés. Le procureur (Taner Birsel) est bouleversé. En parlant avec Cemal, il a découvert qu’une amie (mais qui n’est probablement autre que sa propre femme) qui avait prédit au jour près la date de sa mort, se l’était probablement donnée pour le punir de ses infidélités.

 Cemal pratique l’autopsie et dicte ses conclusions. Des traces de terre dans les poumons de la victime laissent entendre qu’il a pu être enterré vivant. Cemal décide de passer cela sous silence. Pourquoi ? Par humanité pour un assassin dont la nuit a révélé que le monstre cachait un être sensible ? Ou parce que ce médecin de la ville vient de se naturaliser dans ce bourg d’Anatolie au point de préférer l’omerta au scandale ?

 « Il était une fois en Anatolie » est l’un de ces films où en surface le temps s’étire et où aucune action ne se passe, mais où les personnages font, en accéléré, une transhumance d’un état mental à l’autre. C’est incontestablement un chef d’œuvre, récompensé par le Grand Prix du Festival de Cannes.

Cloclo

Cloclo, le film biographique de Claude François par Florent-Emilio Siri, donne une image contrasté d’un artiste qui a marqué mes années d’adolescence et de jeunesse.

 Claude François (1939 – 1978), magistralement interprété par  Jérémie Rénier, a toujours eu des comptes à régler : avec son père, Aimé François (Marc Barbé), cadre supérieur de la Compagnie du Canal de Suez, homme autoritaire décidé à obliger Claude à renoncer à la vie de saltimbanque, puis homme humilié et brisé par l’exil à Monaco après la nationalisation du Canal par Nasser ; avec sa mère Chouffa (Monica Scattini), flambeuse accroc au tapis vert et au poker. Devenu riche, Claude deviendra comme son père le rêvait un homme d’affaires au style dictatorial, patron de presse et propriétaire d’une agence de mannequins ; comme sa mère, il dépensera sans compter jusqu’au bord de la faillite. Il mènera sa vie à cent à l’heure, hanté par ces personnages formidables, attentif au moindre détail jusqu’à l’obsession comme pour se rassurer dans la perfection, et parfois pris de crises d’angoisse. Florent-Emilio Siri nous dépeint un homme grisé par le succès et capable d’en jouir, mais aussi incapable de vraiment aimer, constamment jaloux de ses partenaires, incapable d’aimer vraiment une femme.

 Il y a de belles scènes dans ce film. Claude rompt avec France Gall, coupable pour lui d’avoir remporté le grand prix de l’Eurovision et de lui faire de l’ombre. France tambourine à sa porte, mais en vain. Au petit matin, il la découvre endormie, couchée à sa porte. Il la porte dans ses bras jusque dans la chambre.

 Alors que Claude est dans une frénésie de concerts, Paul Lederman (Benoît Magimel), son imprésario, lui conseille de se réinventer pour éviter le risque de devenir démodé. Claude va avec France Gall à New York, et en ramène l’idée des Claudettes : pour la première fois, la télévision française montrera une danseuse noire.

 Claude est au bord de la piscine de son moulin avec son équipe. Sous le choc de sa séparation d’avec France et à partir de quelques notes enregistrées, contemplant les nuages, il compose « Comme d’habitude ».

 Claude est au milieu des invités lors d’une réception au moulin. Il aperçoit à une fenêtre Marc, son second petit garçon, celui qu’il a voulu cacher pour le protéger des ravages de la notoriété. Il fend la foule des invités pour le rejoindre et passer un moment d’intimité avec lui.

 Cloclo n’est pas un grand film. Mais il fait écho à des émotions communes à toute ma génération et il présente un homme hors du commun dans toute sa complexité.

 Photo du film Cloclo.

Le gamin au vélo

« Le gamin au vélo », film de Jean-Pierre et Luc Dardenne (2011) vient de sortir sur les écrans londoniens. Il raconte une magnifique histoire de désespoir et de rédemption.

 Cyril (Thomas Doret), 11 ans, a été placé « provisoirement » dans un centre d’accueil par son père qui doit refaire sa vie. Ecorché vif, il a une obsession : retrouver son père et sa bicyclette que son père n’a pas manqué de garder pour lui. Il mène la vie dure aux éducateurs et parvient enfin à fuguer. La réalité est cruelle : son père (Jérémie Rénier) a déménagé, il a vendu son vélo et est bien décidé à l’annuler totalement de sa nouvelle vie. Le môme ne demande pas grand-chose, ne serait-ce qu’une conversation téléphonique par semaine, mais il est irrévocablement exclu.

 Samantha (Cécile de France) est coiffeuse dans le quartier où habitaient Cyril et son père, dans la banlieue de Liège. Elle rachète le vélo de Cyril ; il lui demande de lui servir de famille d’accueil le week-end. La vie commune tourne à l’enfer. C’est un père que cherche Cyril, pas une maman. Il se laisse séduire par un père de substitution, le caïd du quartier, Wes (Egon di Mateo). Cyril est prêt à tout pour gagner la confiance de Wes, y compris agresser le buraliste pour lui voler sa recette.

 La petite vie de Cyril tourne au cauchemar. L’agression du buraliste ne se passe pas comme prévu et la police identifie le jeune coupable et son commanditaire. Mais Samantha ne lâche pas. Sommée par son fiancé de choisir entre lui et l’insupportable gamin, elle choisit ce dernier. Nous ne saurons rien de ses motivations. Mais elle l’accompagne dans son épreuve et négocie un accord avec le buraliste. Cyril apprend le pardon, celui que l’on demande, et aussi celui que l’on accorde.

 Le film s’achève sur une allégorie cycliste. Samantha et Cyril pédalent sur les rives de la Meuse. Dans un moment de grâce, ils échangent leurs vélos.

 Photo du film « le gamin au vélo ».