The Artist

“The Artist”, film de Michel Hazanavicius, est en compétition pour les Oscars, après que Jean Dujardin eut décroché la palme du meilleur acteur à Cannes pour son interprétation.

 Jean Dujardin interprète George Valentin, une star du cinéma muet que la révolution du cinéma parlant vers 1930 va marginaliser et même clochardiser. L’histoire est simple : George, au faite de sa gloire, tombe amoureux d’une figurante, Peppy Miller (Bérénice Bejo), et cet amour est réciproque. Mais Peppy se lance dans une carrière d’actrice du parlant, alors que George s’obstine dans le muet. Peppy sauvera George de la ruine, de la déchéance et du suicide en lui proposant de jouer avec elle dans un film dans le style de Fred Astaire.

 The Artist est en noir et blanc, dans l’esthétique des films muets des années 20. De fait, il est majoritairement muet, sauf à deux moments clé. George est seul dans une pièce ; il s’efforce de parler, mais aucun son ne sort de sa bouche ; en revanche, des objets banaux – un verre que l’on pose, une goutte d’eau tombant sur le sol – font un vacarme assourdissant ; c’est la fin du cinéma muet. Plus tard, Peppy et George interprètent une chorégraphie de claquettes ; le martèlement des pieds sur le sol est partie intégrante du spectacle ; George exprime son talent dans l’ère du cinéma parlant.

 Les acteurs secondaires jouent un rôle dans le film : le chauffeur Clifton, interprété par James Cromwell, est une parfaite réplique du Jeeves de Wodehouse. Le petit chien savant de George Valentine fait irrésistiblement penser à celui qui accompagne Charlot. Et c’est à Charlie Chaplin aussi que l’on pense dans l’une des scènes les plus magiques du film : Peppy s’est introduite dans la loge de George et, à moitié engagée dans son manteau pendu à une patère, mime une étreinte.

 Il fallait du culot pour réaliser un film quasiment muet en 2011, même sous l’excuse du pastiche. On passe un excellent moment, épicé de grands moments de cinéma.

 Photo du film « The Artist ».

Mystères de Lisbonne

Le film du réalisateur chilien Raúl Ruiz décédé il y a quelques mois, Les Mystères de Lisbonne, est une méditation sur le labyrinthe du temps. Le spectateur est invité à s’abstraire du stress environnant et à se perdre longuement dans ce labyrinthe : réalisé pour la télévision en six épisodes de 6 heures, la version cinématographique dure près de quatre heures et demie.

 Le film est adapté d’un roman de Camilo Castelo Branco (1826 – 1890) par Carlos Saboga. Qui est le père de ce petit João sans patronyme qu’une mystérieuse comtesse vient visiter dans son pensionnat alors qu’il lutte contre la mort ? Quelle est l’histoire du Père Dinis (Adriano Luz), le protecteur du petit garçon et dépositaire du secret de sa naissance ? Comment est-il lié à l’homme qui se fait appeler Alberto de Magalhães (Ricardo Pereira), qui a fait fortune dans le trafic d’esclaves avec le Brésil et dont une aristocrate française prétend se venger ? Quel lourd secret va confesser au père Dinis ce moine âgé proche de la mort ?

 Dans le film de Ruiz, les conventions sociales de l’aristocratie portugaise craquent sous la pression du désir sexuel. Les enfants bâtards sont cachés sous une chape de silence. Les souffrances et les humiliations nourrissent des désirs de vengeance inexpiable. Le temps passe, glisse inexorablement et semble se développer en spirale avec sans cesse la même histoire d’amour contrarié, de paternité inassumée, de souffrance et de mort, vécue par des personnages qu’une toile d’araignée relie les uns aux autres, invisible d’abord, puis révélée dans de douloureux aveux.

 Dans le labyrinthe du temps, le spectateur est lui-même étourdi, enivré par la beauté de la langue portugaise et d’autres langues qui traversent le film, français, italien, anglais. Plusieurs narrateurs se succèdent pour témoigner de leur histoire qui embrasse trois générations. Le temps passe, rendu présent et fuyant par de longs plans où domine la couleur sépia avec l’esthétique de cartes postales anciennes.

 L’enfant João reçoit de sa mère un petit théâtre en carton, qui sert de lien entre les époques du film. Les personnages parlent de manière théâtrale, comme si leurs passions, leurs souffrances et leur destin n’étaient qu’un jeu dans la comédie humaine.

 Photo du film « Mystères de Lisbonne », Maria João Bastos (Angela de Lima) et Adriano Luz (Père Dinis).

Intouchables

« Intouchables », film d’Olivier Nakache et Eric Tolédano, est devenu un succès du box-office par la magie du bouche à oreille. Il est vrai que dans un environnement morose, il fait passer un salutaire vent d’optimisme.

 Un ami de Philippe (François Cluzet), grand bourgeois collectionneur d’art devenu infirme à la suite d’un accident de parapente, vient le prévenir du passé judiciaire de Driss, l’homme qu’il a choisi comme aide de vie : « ce qui l’intéresse, c’est ton argent, ces gens-là n’ont aucune pitié ». « C’est justement ce que je cherche, répond Philippe : pas de pitié ! ».

 Driss (Omar Sy) est un grand gaillard sénégalais qui vit ou survit dans une banlieue sordide nommée Berlioz, un nom qui résonne tout autrement pour Philippe. S’il se présente dans l’hôtel particulier de Philippe à l’entretien d’embauche pour le poste d’aide de vie, c’est simplement pour ne pas perdre le bénéfice des Assedic. Mais dans le casting des candidats, Driss est le seul qui ne soit pas d’un ennui abyssal. Philippe donne sa chance à Driss. Il se laisse séduire et bousculer par l’énergie et l’impertinence de cet homme si étranger à son monde.

 Une belle scène du film est lorsque Philippe emmène Driss « prendre l’air » à bord de son jet privé. Le but du voyage est aussi de s’envoler en parapente. Philippe renoue avec sa passion d’avant l’accident ; Driss est terrorisé, mais finit par partager avec Philippe l’ivresse d’un moment de pure liberté.

 « Intouchables » est un film drôle et émouvant, porté par des acteurs formidables.

 Photo du film « Intouchables ».

Habemus Papam

Le  film de Nanni Moretti, Habemus Papam, vient de sortir en Grande Bretagne sous le titre « We have a pope » et a y a reçu un accueil mitigé.

 A la surprise générale, c’est un outsider, le cardinal Melville (Michel Piccoli) qui est élu pape par le conclave des cardinaux. Une foule immense acclame la fumée blanche, mais au moment d’apparaître au balcon, l’élu s’effondre et hurle son désespoir et sa terreur. Le balcon est vide. L’Eglise catholique entre en crise. Le désespoir pousse les cardinaux à faire appel au « pape » des psychanalystes, joué par Nanni Moretti lui-même. La première partie du film manie avec brio l’intrigue, l’humour et la critique sociale d’un monde ecclésiastique infantilisé.

 C’est à partir de là que certains critiques britanniques désapprouvent Moretti, en tant que metteur en scène. Ils s’attendaient à un face à face serré entre deux personnalités, le pape et le psychanalyste, un peu à la manière du Discours d’un Roi. Au lieu de cela, le pape disparait du Vatican en costume civil, se mêle au peuple de Rome, marmonne son égarement dans un tramway parmi des passagers étonnés de son monologue, se mêle à une troupe de théâtre qui répète une pièce de Tchekhov. Il découvre qu’il est un acteur raté. L’Eglise aurait besoin d’un leader fort capable d’imprimer les changements indispensables ; il n’est qu’un suiveur, il n’est pas fait pour le rôle. Ici aussi les critiques se font entendre : pourquoi ne pas avoir mis en scène la révolution nécessaire dans l’Eglise Catholique, réconciliation avec la sexualité et distanciation d’avec les pouvoirs ?

 En réalité, l’égarement du pape n’est pas l’égarement du scénario. Pendant que Melville maraude dans les rues de Rome en proie à la dépression, le porte–parole du Vatican emploie un garde suisse comme figurant dans son appartement et le psychanalyste vedette organise un tournoi de volleyball entre les cardinaux. Le film glisse dans l’absurde parce que son personnage central a implosé et que le collège des cardinaux n’a pas plus de consistance qu’un décor de carton plâtre.

 Je retiens du film deux scènes formidables. Les cardinaux organisent un premier face à face entre le pape élu et le psychanalyste. Il est toutefois interdit de parler de subconscient et de sexe, et le conclave au grand complet est témoin de cet entretien intime. Un peu plus tard, Melville dîne dans une trattoria avec la troupe d’acteurs qui interprètent Tchekhov. La télévision allumée dans la salle à manger a un unique sujet : la crise angoissante traversée par l’Eglise Catholique. Un expert s’exprime d’un ton ferme avant de balbutier et de confesser que, finalement, il n’a aucun avis !

 Photo du film « Habemus Papam ».