Les invités de mon père

« Les invités de mon père », film d’Annie Le Ny, est une réjouissante comédie dans laquelle s’effondre l’image que les membres d’une famille ont les uns des autres.

 Lucien Paumelle (Michel Aumont), quatre-vingts ans, est une personnalité de la gauche et de la société civile. Résistant, médecin, militant pour l’avortement et maintenant pour les droits des sans-papiers, c’est un personnage respecté. Sa fille Babette (Karin Viard) s’est efforcée de suivre ses traces, médecin dans un dispensaire, militante, vivant en couple sans être mariée ; son fils Arnaud (Fabrice Luchini) s’est construit contre son père une vie bien rangée, avocat,  époux d’une femme aimant l’argent, père de deux enfants, portant sur la vie un regard désabusé.

 Lucien accueille chez lui une Moldave sans papiers et sa fille. Mais Tatiana (Veronica Novak) est une jeune femme superbe et ambitieuse. Pour assurer l’avenir de sa fille, elle est prête à tout, même à transformer son mariage blanc avec Lucien en mise à disposition de son corps contre la disposition de ses biens. Arnaud porte un regard amusé sur la transformation de son père de militant convaincu en amoureux déjanté d’une « pute » ; pour Babette, c’est l’image idéalisée de son père, et donc celle qu’elle se faisait d’elle-même, qui s’effondre.

 L’égarement de Lucien n’a plus de borne. Il convainc ses enfants à renoncer à leur héritage. Dans son cœur et son esprit, Tatiana les a totalement évincés. Il leur reste une solution : dénoncer le mariage blanc de leur père à la Préfecture, faire déporter Tatiana et sa fille.

On rit beaucoup au film d’Annie Le Ny. Mais le film glisse, doucement, de la farce à l’humour noir. Ce faisant, elle nous montre des personnes à la recherche de leur identité une fois que la respectabilité, fût-elle celle de la générosité militante, se fissure.

 Photo du film « Les invités de mon père », Michel Aumont et Karin Viard.

Les Descendants

Le film « Les Descendants » nous montre George Clooney dans le rôle d’un homme au milieu de sa vie, dont le destin vacille.

 Matt King (George Clooney) est le descendant d’une grande famille d’Hawaï, propriétaires terriens depuis des générations. C’est de famille et de descendance qu’il s’agit. Elizabeth, la femme de Matt, est tombée dans un coma profond à la suite d’un accident de hors-bord. Le couple a deux filles, Alexandra (Shailene Woodley), 17 ans, et Scottie (Amara Miller), 10 ans. L’aînée est une adolescente révoltée qui se réfugie dans l’alcool et la drogue. Elle révèle à son père qu’Elizabeth avait un amant et était décidée à demander le divorce. Matt se sent coupable d’avoir privilégié son travail d’avocat à sa femme et ses filles, et il se rend compte du fossé qui s’est créé avec elles.

 Matt est le mandataire de la fiducie propriétaire, au nom de la famille, de la terre héritée des ancêtres. Un consensus s’est établi entre les cousins pour vendre cette terre à des promoteurs, ce qui rendra chacun d’entre eux millionnaire.

 Matt se sent intensément fragile et vulnérable. Avec ses filles, il part à la recherche de l’amant d’Elisabeth. Lorsqu’il parvient à le rencontrer, son objectif est tout sauf clair : s’agit-il de se venger de la tromperie en faisant s’effondrer le mariage de son rival, ou d’inciter ce dernier à rendre visite à Elizabeth sur son lit de mort, allant ainsi à la rencontre de ce qui aurait certainement été son désir intime ?

 Faut-il vendre le domaine ? Quand faut-il autoriser les médecins à débrancher les appareils qui maintiennent artificiellement Elizabeth en vie ? Comment renouer les fils avec Alexandra et Scottie ? Est-il possible de repartir, d’aller de l’avant malgré le deuil et les échecs d’avant le deuil ?

 Le film ne manque pas de qualités, mais je suis assez d’accord avec la critique de Peter Bradshaw dans The Guardian : « Les films précédents de Payne tournaient autour de ce qui arrive – aux hommes spécialement  – lorsque la fin de la vie est en vue, quand les buts et les aboutissements ne sont plus réalisables, et qu’il faut bien donner un sens à tout cela. Les Descendants porte en principe sur le même genre de choses, mais enveloppées dans une romantique couverture de confort ».

 La performance d’acteur de Clooney dans le rôle d’un homme déboussolé est très largement saluée, mais son image de superman rend sa crise existentielle finalement peu crédible, d’autant plus que tout autour de lui, y compris la toxicomanie de sa fille, semble fondre comme neige au soleil sous la chaleur de son amour paternel.

Un aspect intéressant du film est la découverte d’Hawaï comme un pays réel, habité par des gens qui ne sont pas en vacances. La bande sonore, composée de musiques hawaïennes, est belle.

 Photo du film « Les Descendants ».

Les Acacias

Le film « Les Acacias » de l’Argentin Pablo Giorgelli (2011) nous raconte, presque sans paroles,  la naissance d’une relation entre un homme et une femme meurtris par la vie, par la magie d’une fillette de quelques mois.

 Rubén (Germán De Silva), homme d’une quarantaine d’années, est chauffeur routier. Au volant d’un camion datant des années soixante, cahotant et bruyant, il conduit un chargement de bois d’acacia du Paraguay à Buenos Aires. Son patron lui a demandé de prendre comme voyageuse Jacinta (Hebe Duarte), mais ne l’a pas informé que Jacinta emmènerait avec elle son bébé de cinq mois, Anahi.

 Le début du voyage est éreintant. Rubén ne supporte pas les cris de la petite fille affamée ni les pauses nécessaires pour lui faire prendre son biberon et la changer. Mais Anahi, avec ses yeux tout noirs grands ouverts, est fasciné par cet homme concentré et silencieux. Peu à peu le rempart se fissure. Rubén apprend que Jacinta s’est mise en route pour trouver du travail en Argentine et fuir la misère, et qu’Anahi n’a pas de papa ; Jacinta apprend que Rubén est père d’un garçon qu’il n’a pas vu depuis huit ans.

 Tout dans ce film, qui n’a pour seule bande sonore que le bruit lancinant du camion d’acacias, est dans les regards qui s’évitent et se rencontrent, la main calleuse du chauffeur routier rencontrant celle de la fillette, une bouteille d’eau partagée. Il semble ne rien se passer, et pourtant dans le huis-clos de la cabine du camion se joue, peut-être, la naissance d’un amour.

 Photo du film « Les Acacias ».

George Harrison, vivre dans le monde matériel

Le film de Martin Scorsese, « George Harrison, living in the material world », a été réalisé en 2011, dix ans après la disparition du chanteur. Il nous décrit le parcours d’une personnalité forte et attachante.

 L’affiche du film (diffusé en deux DVD) nous montre le visage de George Harrison émergeant d’une surface liquide sereine, nous fixant d’un regard énigmatique. L’image est bien choisie : elle situe George entre deux mondes, l’eau et l’air étant une allégorie du matériel et du spirituel. Imprégné de spiritualité indienne, Harrison était convaincu que le corps n’est que l’enveloppe provisoire de l’âme. Son épouse, Olivia Harrison, raconte dans le film combien George avait été choqué par l’assassinat de John Lennon, non seulement parce qu’il perdait un ami cher mais aussi parce que celui-ci n’avait pas eu la chance de vivre consciemment ce passage qu’est la mort. George, dit Olivia, s’était entraîné toute sa vie en prévision de ce moment.

 Le film fut projeté en avant première à la Foundation for Art and Creative Technology de Liverpool, et c’est justice. Harrison et les Beatles sont nés à Liverpool, et ils sont traversés par l’énergie de cette ville anglaise et irlandaise, ouverte sur l’Océan, abîmée par la guerre et avide de vivre.

 La période Beatles est d’une extraordinaire fécondité artistique. Soumis à la pression de foules hystériques, le groupe ne trouve d’intimité qu’entre soi et forme une communauté de vie et de création. Peu à peu toutefois, des intérêts divergents s’expriment. Au nombre des raisons qui conduisent à l’éclatement du groupe en 1970 se trouve la frustration de George, dont peu de chansons sont acceptées. Des dizaines de titres inédits serviront de base à sa carrière en solo.

 Qualifié de « Beatle tranquille », s’exprimant d’une voix douce laissant le temps à la réflexion, George Harrison allait aussi au bout de ses passions. Il passa des jours à réciter les mantras de Hare Krishna, apprit la musique indienne aux côtés de Ravi Shankar, initia le premier concert mondial humanitaire (concert pour le Bangladesh en 1971), s’enthousiasma pour la course automobile avec Jackie Stewart, produisit les films des Monty Python, acheta un grand manoir néogothique en ruines, Friar Park à Henley (en amont de Londres sur la Tamise) le restaura, y installa un studio d’enregistrement et se révéla un paysagiste talentueux.

 Ce qui se dégage du film, c’est la capacité de George Harrison à se faire des amis et à les conserver. Ringo Star raconte la visite qu’il lui avait rendue dans la clinique en Suisse où il était hospitalisé, dans les derniers mois de sa maladie. Il avait pris congé, car il devait se rendre à Boston pour rencontrer sa fille, elle-même soignée pour un cancer. « Veux-tu que je t’accompagne ? » lui demanda George.