La Dame de Fer

Le film de Phyllida Lloyd « The Iron Lady » (La dame de fer) raconte la carrière exceptionnelle d’un personnage révéré et haï dans son pays et à l’étranger : Margaret Thatcher.

 Margaret Thatcher n’est pas morte que déjà l’organisation de ses obsèques nationaux est commentée par les journaux britanniques. Et c’est une Thatcher vieillie et même sénile que nous présente le film réalisé par Phillida Lloyd et écrit par Abi Morgan. Dans la première scène, elle va elle-même acheter son lait et provoque la panique de l’équipe de sécurité censée la protéger, d’abord contre elle-même. Revenue chez elle, elle se plaint de la hausse du coût de la vie. Margaret se retrouve en terrain connu : elle était fille d’épicier et aux anciens élèves d’Eton qui constituaient (et constituent encore) l’épine dorsale du Parti Conservateur, elle fait la leçon en citant le prix d’articles du panier de la ménagère.

 Thatcher a toujours pensé pour agir, et agir pour changer les choses. A l’approche de la mort, il lui faut apprendre à être. Elle a toujours tracé son chemin seule, seule femme dans un monde d’hommes. Mais lorsque Dennis, son mari, la laisse veuve, elle ne ressent que vide et désespoir.

 Le film est construit autour de flash-back, dans lesquels Maggie se rappelle de moments-clés de sa vie, sa vie à l’épicerie familiale, le Blitz, la première campagne électorale, la rencontre avec Dennis, la bataille pour le leadership du parti Tory, les grèves de mineurs, l’attentat de l’IRA à Brighton, la sourde-oreille à la grève de la faim de Bobby Sand, la guerre des Malouines et finalement la bataille de trop et la révolte des députés Tory qui la contraignent à la démission. « Je me suis battue à chaque instant de ma vie », dit Maggy aux généraux venus lui présenter des plans de reconquête des Malouines.

 Le film nous incite à la pitié pour la personne délabrée que la femme de fer est devenue dans son grand âge. Il nous fait admirer sa détermination malgré les épreuves. Il nous montre la fermeté de ses convictions : la protection sociale infantilise les gens, il ne faut pas avoir peur du succès, il faut encourager l’esprit d’entreprise. Il s’attarde longuement sur la victoire des Malouines. Il présente Callaghan et les Travaillistes comme des velléitaires et des faibles.

 Il est certain que « La Dame de Fer » est un film apologétique, et le Parti Conservateur ne cache pas sa satisfaction. Il reste qu’il ose s’intéresser à un personnage considérable de l’histoire contemporaine de la Grande Bretagne et que la performance de Meryl Streep dans le rôle principal est remarquable.

La Couleur des Sentiments

« The Help » (la Couleur des Sentiments) est l’adaptation cinématographique par Tate Taylor du best seller de Kathryn Stockett sur l’éveil à la conscience de bonnes noires au début des années soixante dans le Mississipi.

 Le film est une production de Hollywood comme on les aime : des personnages typés, une marée de bons sentiments, des rebondissements, un happy end. Il nous décrit la vie des bonnes noires au service de familles blanches dans la région de Jackson (Mississipi) alors que l’égalité civique est loin d’être acquise. Dans la bourgeoisie blanche, les hommes travaillent et sont absents. Les femmes mènent une vie sociale futile entre soins de beauté et table de bridge. Elles sous-traitent l’éducation de leurs enfants aux bonnes noires. Celles-ci ont avec les petits enfants blancs une relation d’intimité quasiment charnelle. Aibileen (Viola Davis) encourage la petite fille dont elle a la charge : « you is kind, you is smart, you is important » (toi est gentille, toi est intelligente, toi est importante).

 Si les bonnes noires sont placées dans une situation de pouvoir de fait par la démission des parents, elle peuvent néanmoins être remerciées du jour au lendemain, elles n’ont aucun recours contre les accusations calomnieuses de leurs maîtres et sont l’objet d’un mépris permanent. Une jeune femme de Jackson, Hilly, fait campagne pour installer des toilettes séparées pour les femmes de couleur, au prétexte qu’elles sont porteuses de maladies spécifiques.

 Skeeter (Emma Stone), une jeune étudiante blanche, revient à Jackson pour chercher du travail après ses études universitaires. Elle découvre qu’Augustine, la bonne qui l’a élevée et l’a éveillée à elle-même, a quitté brusquement la maison. Elle soupçonne qu’elle a été licenciée. Elle s’intéresse à la vie des bonnes, veut écrire leur histoire. Malgré les menaces qui pèsent sur leur emploi et jusqu’à leur vie, malgré leurs doutes sur les motivations d’une jeune femme de l’autre côté de la barrière sociale, Aibileen, puis son amie l’inénarrable Minny (Octavia Spencer), et enfin d’autres femmes de la congrégation qui se réunit le dimanche au temple, acceptent de raconter leur histoire. Le livre de Skeeter sera un immense succès de librairie. Licenciée de son emploi à son tour, Aibileen considèrera cette rupture comme une opportunité pour s’inventer une vie à elle.

 Tate Taylor nous présente cette histoire comme un conte moral dont les ressorts sont un ange du bien, Skeeter, et un ange du mal, Hilly. Ce n’est pas par hasard que l’une et l’autre sont blanches. La prévalence blanche est naturelle. La servitude n’est pas un mal en soi, ce sont les abus commis par des personnes méchantes qui le transforment en cauchemar : Aibileen traite Hilly de « personne sans Dieu ».

 On ne cherchera donc pas dans « la couleur des sentiments » une critique sociale. Mais ce mélodrame se laisse regarder avec plaisir, porté par des actrices remarquables. Du côté noir, Aibileen est épaulée par Minny, un personnage énergique et impertinent ; du côté blanc, la meilleure alliée de Skeeter est Celia (Jessica Chastain), une jeune femme coquette que son origine populaire met au ban de la petite coterie des femmes de Jackson. C’est en Celia que Minny trouvera une patronne enfin humaine. Vu d’Hollywood, pourquoi faire la révolution ? De bons sentiments en couleurs ne suffisent-ils pas ?

The Artist

“The Artist”, film de Michel Hazanavicius, est en compétition pour les Oscars, après que Jean Dujardin eut décroché la palme du meilleur acteur à Cannes pour son interprétation.

 Jean Dujardin interprète George Valentin, une star du cinéma muet que la révolution du cinéma parlant vers 1930 va marginaliser et même clochardiser. L’histoire est simple : George, au faite de sa gloire, tombe amoureux d’une figurante, Peppy Miller (Bérénice Bejo), et cet amour est réciproque. Mais Peppy se lance dans une carrière d’actrice du parlant, alors que George s’obstine dans le muet. Peppy sauvera George de la ruine, de la déchéance et du suicide en lui proposant de jouer avec elle dans un film dans le style de Fred Astaire.

 The Artist est en noir et blanc, dans l’esthétique des films muets des années 20. De fait, il est majoritairement muet, sauf à deux moments clé. George est seul dans une pièce ; il s’efforce de parler, mais aucun son ne sort de sa bouche ; en revanche, des objets banaux – un verre que l’on pose, une goutte d’eau tombant sur le sol – font un vacarme assourdissant ; c’est la fin du cinéma muet. Plus tard, Peppy et George interprètent une chorégraphie de claquettes ; le martèlement des pieds sur le sol est partie intégrante du spectacle ; George exprime son talent dans l’ère du cinéma parlant.

 Les acteurs secondaires jouent un rôle dans le film : le chauffeur Clifton, interprété par James Cromwell, est une parfaite réplique du Jeeves de Wodehouse. Le petit chien savant de George Valentine fait irrésistiblement penser à celui qui accompagne Charlot. Et c’est à Charlie Chaplin aussi que l’on pense dans l’une des scènes les plus magiques du film : Peppy s’est introduite dans la loge de George et, à moitié engagée dans son manteau pendu à une patère, mime une étreinte.

 Il fallait du culot pour réaliser un film quasiment muet en 2011, même sous l’excuse du pastiche. On passe un excellent moment, épicé de grands moments de cinéma.

 Photo du film « The Artist ».

Mystères de Lisbonne

Le film du réalisateur chilien Raúl Ruiz décédé il y a quelques mois, Les Mystères de Lisbonne, est une méditation sur le labyrinthe du temps. Le spectateur est invité à s’abstraire du stress environnant et à se perdre longuement dans ce labyrinthe : réalisé pour la télévision en six épisodes de 6 heures, la version cinématographique dure près de quatre heures et demie.

 Le film est adapté d’un roman de Camilo Castelo Branco (1826 – 1890) par Carlos Saboga. Qui est le père de ce petit João sans patronyme qu’une mystérieuse comtesse vient visiter dans son pensionnat alors qu’il lutte contre la mort ? Quelle est l’histoire du Père Dinis (Adriano Luz), le protecteur du petit garçon et dépositaire du secret de sa naissance ? Comment est-il lié à l’homme qui se fait appeler Alberto de Magalhães (Ricardo Pereira), qui a fait fortune dans le trafic d’esclaves avec le Brésil et dont une aristocrate française prétend se venger ? Quel lourd secret va confesser au père Dinis ce moine âgé proche de la mort ?

 Dans le film de Ruiz, les conventions sociales de l’aristocratie portugaise craquent sous la pression du désir sexuel. Les enfants bâtards sont cachés sous une chape de silence. Les souffrances et les humiliations nourrissent des désirs de vengeance inexpiable. Le temps passe, glisse inexorablement et semble se développer en spirale avec sans cesse la même histoire d’amour contrarié, de paternité inassumée, de souffrance et de mort, vécue par des personnages qu’une toile d’araignée relie les uns aux autres, invisible d’abord, puis révélée dans de douloureux aveux.

 Dans le labyrinthe du temps, le spectateur est lui-même étourdi, enivré par la beauté de la langue portugaise et d’autres langues qui traversent le film, français, italien, anglais. Plusieurs narrateurs se succèdent pour témoigner de leur histoire qui embrasse trois générations. Le temps passe, rendu présent et fuyant par de longs plans où domine la couleur sépia avec l’esthétique de cartes postales anciennes.

 L’enfant João reçoit de sa mère un petit théâtre en carton, qui sert de lien entre les époques du film. Les personnages parlent de manière théâtrale, comme si leurs passions, leurs souffrances et leur destin n’étaient qu’un jeu dans la comédie humaine.

 Photo du film « Mystères de Lisbonne », Maria João Bastos (Angela de Lima) et Adriano Luz (Père Dinis).