Un Poison Violent

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Le premier film de Katell Quillévéré, Un Poison Violent, vient de sortir dans les salles londoniennes.

Le titre « un poison violent », tiré d’une chanson de Serge Gainsbourg, caractérise mal le film, qui évoque tout en douceur l’éveil de la sexualité d’une adolescente, Anna (Clara Augarde). Celle-ci est attirée par un autre adolescent, Pierre (Youen Leboulanger – Gouvil). Ils s’apprivoisent peu à peu. Au cours d’une promenade, elle lui demande de se mettre torse nu ; elle consent à lui montrer ses seins, « mais pas le droit de toucher ». S’accompagnant à la guitare, Pierre chante à Anna une magnifique chanson d’amour ; bouleversée, elle l’invite à se coucher à ses côtés.

Il est vrai que l’environnement d’Anna est plein de craquements, de violence et de poison. Elle revient de l’internat à la maison pour des vacances scolaires et découvre que père a quitté le domicile familial pour refaire sa vie. Son grand-père ne sort plus de sa chambre et lui demande de se préparer pour ses funérailles. La famille est profondément catholique et vit sa religion comme un combat entre la chair et l’esprit. Le père François (Stefano Casselli), le jeune curé de ce village breton, est tourmenté. Jeanne (Lio), la mère d’Anna, ressent à son égard une attraction mêlée de culpabilité ; elle en veut à sa fille de s’éveiller à l’amour au moment où elle-même se trouve délaissée, et sa rancœur se transforme en poison.

Anna essaie de trouver sa voie au milieu de ces déchirements. Dans sa relation avec Pierre, elle avance prudemment, à petits pas. Elle a une relation privilégiée avec son grand-père, Jean (Michel Galabru), un homme qui rejette le rigorisme religieux et professe un hédonisme coquin. Après que celui-ci lui a demandé, comme cadeau, de lui montrer d’où il vient, elle lui expose, plusieurs jours et après, et pudiquement, son pubis.

L’image de la religion catholique présentée dans le film relève de la carte postale : les prêtres sont nombreux et jeunes, les paroissiens chantent des cantiques polyphoniques, le visage de l’évêque a la sévérité d’un Savonarole. Mais la satire religieuse, si elle est centrale dans le film, ne peut faire oublier la poésie d’un magnifique hymne à l’adolescence.

Photo du film « Un poison violent » (2010)

Pina

  

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« Pina », le dernier film de Wim Wenders, nous fait découvrir, en trois dimensions, l’œuvre de la chorégraphe allemande Pina Bausch, décédée en 2009.

J’ignorais les chorégraphies de Pina Bausch et sa troupe, tout internationale, le Tanztheater Wuppertal. La technique « 3D » nous situe au cœur de l’action : lorsqu’il peut sur scène, c’est comme si des gouttes atteignaient les spectateurs.

Les personnages de Pina Bausch sont des gens ordinaires, les femmes souvent vêtues de robes longues colorées et chaussées de talons aiguille, les hommes souvent en costume. Ils vivent d’une manière intense la solitude, l’écrasement, la violence, la guerre des sexes, mais aussi la joie, la légèreté, l’énergie.

Le film devait se réaliser initialement avec Pina Bausch. Après son décès, les danseurs de la troupe ont voulu en faire un monument à cette femme exceptionnelle. Ils sont filmés en gros plan, et leur témoignage est diffusé « off ». On les voit ensuite en action, sur scène ou dans des paysages urbains, industriels ou ruraux de la région de Wuppertal. C’est bouleversant de beauté esthétique et de vérité humaine.

Pina Bausch avait une passion pour les éléments : ses danseurs se heurtent à des surfaces dures comme la pierre, se couvrent de boue, s’immergent dans l’eau. Leurs mouvements sont parfois lents, conventionnels, comme figés ; mais ils se déchaînent parfois en gestes hystériques et saccadés inspirés par la passion charnelle ou par une haine violente.

Curieusement, ce film est autorisé au Royaume Uni pour les spectateurs à partir de quatre ans. Il est vrai qu’il n’y a pas de nudité ni de gros mots. Mais la charge émotionnelle est si forte, la violence si palpable, qu’on peut se demander si la censure a bien compris la portée d’un film qui parle de la condition humaine au-delà des mots.

Photo du film « Pina » de Wim Wenders

A Single Man

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Le premier film de Tom Ford, venu du monde de la mode, nous raconte la dernière journée d’un homme accablé par la mort accidentelle de son compagnon.

Los Angeles, 1962. Le Professeur George Falconer vit seul dans la grande maison projetée et construite par Tim, un jeune architecte qui a partagé sa vie pendant seize ans. Ecrasé par le désespoir, il a décidé que cette journée serait la dernière. Il l’a organisée dans les moindres détails : le dernier cours qu’il dispensera à l’Université et son plaidoyer pour les droits des minorités, le rangement de son bureau, l’achat de balles pour son revolver, le passage au coffre de la banque pour retirer de l’argent pour sa gouvernante, un message pour son unique amie, Charley (Julianne Moore), les vêtements impeccables dont il faudra le vêtir pour sa mise en terre.

Le suicide de George semble sous contrôle. Les horloges marquent le compte à rebours. Mais la vie s’acharne à lui faire signe : la bouche sensuelle d’une étudiante fumant une cigarette, un fox terrier affectueux, une petite fille habillée d’une robe d’un vert éclatant, un jeune prostitué au beau visage, et aussi son amie Charley qui lui dit combien, effroyablement seule, elle a besoin de lui… Il y a surtout Kenny, l’un de ses étudiants, qui comprend que George est en danger, et aussi qu’il s’agit d’un homme singulier qu’il lui faut d’urgence rencontrer.

La dernière journée de George Falconer sera bien la dernière. Mais il ne se donnera pas la mort. Il accueillera la vie.

Le film de Tom Ford est esthétiquement parfait, de la photo à la bande sonore. Il est aussi émouvant grâce à l’extraordinaire interprétation des acteurs, en particulier Colin Firth. L’ombre de « Mort à Venise » n’est pas loin.

Photo du film « A Single Man ».

Le Nom des Gens

 

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Le nom des Gens, film de Michel Leclerc, est une réjouissante comédie où il est question de secrets de famille, de patronymes, de jospinisme et, naturellement, de sexe et d’amour.

Bahia Benmahmoud (magistralement interprétée par Sara Forestier) tient de sa mère un tempérament extraverti et de solides obsessions de gauche. Tout le monde croit que son prénom vient du Brésil, mais elle insiste sur son origine algérienne. Le secret de la famille, c’est l’abus de mineure perpétré par le professeur de piano de Bahia lorsqu’elle était petite fille. Il y a aussi la vocation artistique refoulée du père de Bahia, son incapacité à trouver le bonheur autrement qu’en se sacrifiant pour les autres.

Arthur Martin – pas celui des cuisines – (excellent Jacques Gamblin) est un introverti passionné par son métier de chercheur en biologie spécialiste de la grippe aviaire. Le secret de la famille d’Arthur, c’est la déportation et la mort à Auschwitz des parents de sa mère. On ne sait rien d’eux si ce n’est qu’ils étaient juifs et venaient de Grèce. Le nom de Martin est une couverture commode qui rend opaque l’histoire de la famille.

La vocation que s’est inventée Bahia, c’est d’offrir son corps aux « fachos » de manière à soigner leur âme. La durée du traitement, dit-elle, dépend de l’épaisseur de leur « connerie », une dizaine de jours pour un Front National, un simple après-midi pour un Modem, beaucoup plus longtemps pour un Islamiste fanatique. Sa relation avec Arthur est d’une autre nature. L’homme politique qu’Arthur adore est Lionel Jospin, il n’y a donc pas à le convertir. Bahia fera à Arthur un magnifique cadeau d’anniversaire : après une soirée à rebondissements avec les deux familles, c’est Lionel lui-même qui sonne à la porte !

Tout semble opposer Arthur, qui se camoufle derrière son nom franchouillard et Bahia, qui revendique fièrement son nom métèque, lui quadragénaire bourgeois et professionnel reconnu, elle adolescente attardée passant d’un petit boulot à l’autre. Dans le métro, elle avise deux vieillards qui s’approchent de la rame à tout petits pas alors que les portes se ferment. Elle ne supporte pas cette injustice, empêche la fermeture des portes, insulte le conducteur. Il la dévore du regard, frappé par le coup de foudre, et l’embrasse avec passion.

Le Nom des Gens emprunte à « Amélie Poulain » le style du récit tout en humour du passé des Martin et Benmahmoud, et à « Gainsbourg vie héroïque » les dialogues entre les personnages en des moments différents de leur vie. C’est un film tendre et drôle, un bon moment de cinéma.

Photo du film « le Nom des Gens ».