Miel

Miel, film du réalisateur turc Semih Kaplanoglu a obtenu l’Ours d’Or au festival de Berlin en 2010. Il passe actuellement sur les écrans londoniens.

 En plein centre du quartier populaire et multiracial d’Hackney, dans la périphérie de Londres, le cinéma Rio fait sensation. Il ne compte qu’une salle, une sorte de grande salle des fêtes avec un balcon, une scène et un rideau rouge qui s’ouvre pour qu’apparaisse l’écran. Son esthétique des années soixante semble directement copiée des tourne-disques Teppaz. Il est aussi remarquable par la qualité de sa programmation. Il présente de nombreux films de qualité, dont Miel (Bal en turc).

 Miel est le troisième film de la trilogie de Yussuf, que Semih Kaplanoglu a commencée en remontant le temps, présentant Yussuf adulte, puis jeune, et enfin enfant. Dans ce film, il a six ans. Il vit dans une région agricole de moyenne montagne en Turquie, où les paysages superbes sont souvent occultés par le brouillard et battus par la pluie. Son père est apiculteur. Il installe ses ruches au sommet d’arbres élevés et est en proie à des crises d’épilepsie.

 Yussuf entre à l’école, avec son uniforme tout neuf. La séparation d’avec son père qu’il adore et pour la vie duquel il craint le rend bègue. Il a dans sa tête tous les noms de fleurs, leurs couleurs et leurs fragrances. Il écoute ravi une élève plus âgée lire de la poésie et des veilles femmes déclamer des sourates du Coran. Mais il peine à communiquer. Les repas à la maison sont consommés dans un silence de plomb, il ne se mêle pas aux autres enfants dans la cour de l’école, il murmure à son père mais ne parvient pas à parler avec sa mère.

 Yussuf n’est pas un enfant victime : l’instituteur comme ses parents sont patients et compréhensifs. Mais son monde, c’est la lune se réfléchissant à sa surface d’un seau d’eau, une biche venant boire au torrent, un monde qu’il contemple de ses grands yeux noirs grand ouverts.

« Miel » est un film sans intrigue et sans musique, soutenu simplement par une intense poésie.

 Photo du film « Miel » : Bora Atlas dans le rôle de Yussuf.

Beginners

 

Beginners, film de Mike Mills, nous raconte une belle histoire d’amour.

 Oliver (Ewan McGregor), un homme d’une trentaine d’années, fait le deuil de son père récemment décédé (Christopher Plummer). Cette période est particulièrement troublante pour lui. Lorsque sa mère était décédée, quatre ans auparavant, son père lui avait révélé qu’il avait toujours été homosexuel et que maintenant, enfin libre, il entendait vivre pleinement sa vie. Il avait pris un amant et fait la fête dans un groupe gay. Oliver l’avait accompagné dans le cancer qui allait l’emporter, sidéré par son nouvel élan vital aux portes de la mort.

 Oliver repasse dans sa tête son passé et celui de sa famille. Il revoit le couple de raison constitué par ses parents cherchant à cacher dans le mariage, lui son homosexualité, elle sa judaïté. En tête à tête avec le petit chien de son père, il ressasse ses propres déboires sentimentaux.  Ce n’est pas un hasard si c’est en Docteur Freud qu’il se présente à une soirée costumée et qu’il s’amuse à feindre de psychanalyser les convives. L’une d’entre eux est une splendide jeune femme, Anna (Mélanie Laurent), qui se fait passer pour muette.

 Il se noue entre eux une relation unique, à la fois pudique, hésitante, marchant à pas menus, mais aussi fortement érotique. Oliver est-il programmé pour échouer ? Ou bien Anna et lui sont-ils des débutants (beginners) dans un nouvel art d’être amoureux ?

 Les trois acteurs principaux sont tout en sensibilité et en non-dits. Ils font de ce film sinon un grand film, du moins une belle histoire.

 Photo du film « beginners ».

Potiche

« Potiche », la dernière comédie de François Ozon, qui sort cette semaine sur les écrans londoniens, offre un réjouissant moment de cinéma.

 En 1977, la fabrique de parapluies de Sainte Gudule (pas Cherbourg !) est en émoi : les ouvriers se mettent en grève face à l’intransigeance de leur patron Robert Pujol (Fabrice Lucchini) que les syndicalistes et le député maire communiste Maurice Babin (Gérard Depardieu) plongent dans un tel état de paranoïa que l’inévitable se produit : une crise cardiaque.

 Il revient à sa femme Suzanne (Catherine Deneuve) de prendre les rennes de l’entreprise, qu’elle avait héritée de son père, un patron paternaliste aussi aimé des ouvriers que Robert est haï. Robert a toujours considéré sa femme comme une potiche, bonne à être trompée mais pas à prendre la moindre décision : « ce que je te demande, c’est de partager les miennes ». En l’espace de quelques mois, Suzanne résout par la négociation le conflit social et change totalement l’état d’esprit de l’entreprise, qui se tourne vers le design et l’innovation.

 De retour de convalescence, Robert se sent à son tour marginalisé et transformé en potiche. Par une manœuvre machiavélique, il réussit toutefois à reprendre le contrôle de l’entreprise. Mais Suzanne rebondit : elle lui annonce qu’elle a eu autrefois des amants, dont Maurice – le démon communiste ! – et que son fils n’est pas de lui. Et surtout, elle se présente à l’élection législative et est élue. Le soir de sa victoire, elle reprend avec ses fidèles la chanson de Jean Ferrat « que c’est beau la vie ! » et se présente en « maman » de ses électeurs.

 On retrouve dans le film de François Ozon le charme de « huit femmes ». Les rôles sont théâtralisés au maximum. Le patron est un dictateur agité et névrosé ; sa femme est une poétesse dont l’idéalisme balaie difficultés et doutes ; le fils (Jérémie Renier), horrifié à l’idée de reprendre un jour l’entreprise familiale, se voit comme un artiste et a le look de Claude François ; la fille (Judith Godrèche) reproduit bêtement le schéma d’asservissement au mari qu’elle reproche à sa mère. Tous disent leurs répliques comme des acteurs sur la scène, jusqu’au moment où la tendresse reprend le dessus : celle de Maurice et Suzanne, se rappelant dans une boite de nuit leur ancien amour, ou celle de Robert, alors que la procédure de divorce est en cours, venu mendier un moment d’intimité dans le lit de Suzanne.

 L’écriture cinématographique de « Potiche » est fortement originale. On passe du rire à l’émotion dans ce film situé à l’époque de l’éclosion du féminisme mais ne se laisse jamais emprisonner dans la défense d’une cause.

 Photo du film « Potiche » : Catherine Deneuve et Fabrice Lucchini.

Un Poison Violent

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Le premier film de Katell Quillévéré, Un Poison Violent, vient de sortir dans les salles londoniennes.

Le titre « un poison violent », tiré d’une chanson de Serge Gainsbourg, caractérise mal le film, qui évoque tout en douceur l’éveil de la sexualité d’une adolescente, Anna (Clara Augarde). Celle-ci est attirée par un autre adolescent, Pierre (Youen Leboulanger – Gouvil). Ils s’apprivoisent peu à peu. Au cours d’une promenade, elle lui demande de se mettre torse nu ; elle consent à lui montrer ses seins, « mais pas le droit de toucher ». S’accompagnant à la guitare, Pierre chante à Anna une magnifique chanson d’amour ; bouleversée, elle l’invite à se coucher à ses côtés.

Il est vrai que l’environnement d’Anna est plein de craquements, de violence et de poison. Elle revient de l’internat à la maison pour des vacances scolaires et découvre que père a quitté le domicile familial pour refaire sa vie. Son grand-père ne sort plus de sa chambre et lui demande de se préparer pour ses funérailles. La famille est profondément catholique et vit sa religion comme un combat entre la chair et l’esprit. Le père François (Stefano Casselli), le jeune curé de ce village breton, est tourmenté. Jeanne (Lio), la mère d’Anna, ressent à son égard une attraction mêlée de culpabilité ; elle en veut à sa fille de s’éveiller à l’amour au moment où elle-même se trouve délaissée, et sa rancœur se transforme en poison.

Anna essaie de trouver sa voie au milieu de ces déchirements. Dans sa relation avec Pierre, elle avance prudemment, à petits pas. Elle a une relation privilégiée avec son grand-père, Jean (Michel Galabru), un homme qui rejette le rigorisme religieux et professe un hédonisme coquin. Après que celui-ci lui a demandé, comme cadeau, de lui montrer d’où il vient, elle lui expose, plusieurs jours et après, et pudiquement, son pubis.

L’image de la religion catholique présentée dans le film relève de la carte postale : les prêtres sont nombreux et jeunes, les paroissiens chantent des cantiques polyphoniques, le visage de l’évêque a la sévérité d’un Savonarole. Mais la satire religieuse, si elle est centrale dans le film, ne peut faire oublier la poésie d’un magnifique hymne à l’adolescence.

Photo du film « Un poison violent » (2010)