Séraphine

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Le film « Séraphine » de Martin Provost (2008) raconte la rencontre entre une pauvre fille méprisée  de tous et habitée par l’exigence de peindre et un collectionneur allemand que la guerre de 1914 oblige à quitter la France.

Séraphine (magnifiquement interprétée par Yolande Moreau) est une grosse femme revêche qui gagne quelques sous à faire des ménages et des lessives pour les bourgeois de sa ville, Senlis. Elle vit dans la plus extrême misère, mais dépense la majeure partie de ses gains à acheter des vernis et des pigments. La nuit, elle s’épuise à peindre. Elle le fait par obéissance à une voix intérieure, un ange gardien qui le lui commande.

Séraphine a 48 ans lorsqu’elle entre comme domestique au service du collectionneur allemand Wilhelm Uhde. A sa manière, Wilhelm est aussi un marginal, en raison de son homosexualité et de sa nationalité « boche ». Il a déjà découvert Picasso et Braque. Il a sorti de l’ombre le « naïf » ou « primitif » Henri Rousseau. Il est ébloui par le talent de Séraphine.

Wilhelm doit quitter la France en 1914 mais revient s’établir dans son pays d’adoption en 1927, à Chantilly. Il retrouve la trace de Séraphine et la prend sous son aile. Capable désormais de se consacrer totalement à son art, dotée d’un matériel professionnel auquel la misère ne lui avait jamais permis d’accéder, elle arrive au sommet de son art.

Les affaires de Wilhelm sont contrariées par la crise économique et il ne peut honorer sa promesse d’exposer les œuvres de Séraphine à Paris. Convaincue par son ange gardien qu’avec cette exposition était venue l’heure de ses noces, sûre de tenir sa revanche contre un destin qui l’avait foulée aux pieds, Séraphine sombre dans la folie. Ce n’est que bien après sa mort dans un asile psychiatrique en 1942 que Séraphine de Senlis sera reconnue comme une artiste originale et inspirée.

La photographie du film est splendide. La musique de Michael Galasso dégage une impression d’étrangeté et de vague inquiétude qui sied bien au personnage illuminé de Séraphine. Yolande Moreau est possédée par le personnage de Séraphine. On ressent la même fascination que lorsqu’Isabelle Adjani incarnait Camille Claudel ou Salma Hayek Frida Kahlo.

Photo : Yolande Moreau et Ulrich Tukor dans le film Séraphine, de Martin Provost.

Inception

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Le film « Inception » de Christopher Nolan, avec Leonardo DiCaprio dans le rôle principal, est par certains aspects frustrant. Mais il mérite d’être vu.

J’ai été loin de comprendre toutes les péripéties de « Inception », et le fait de l’avoir vu en anglais n’explique pas seul mon embarras. J’ai été aussi gêné par les fusillades, les poursuites, les flots d’hémoglobine dignes d’un James Bond, l’humour en moins.

L’idée de base du film est pourtant passionnante : il est possible d’extraire des secrets de personnes endormies par des drogues, ou de leur infuser des idées, au moyen d’une gestion coordonnée – et manipulée – de leurs rêves.

Les règles de l’extraction (ou de l’infusion – « inception ») sont qu’il existe des profondeurs différentes de rêve. Si l’on descend d’un niveau, le temps se ralentit dans une proportion d’un à dix, un mois valant une dizaine d’années. Au sein d’un groupe de rêveurs coordonnés, un participant est chargé de l’architecture du paysage des rêves ; cette architecture échappe aux lois qui régissent le monde éveillé, en particulier la gravité. Il n’est possible de remonter d’un niveau de rêve au niveau supérieur, et finalement au monde éveillé, que sous l’emprise du choc que représente sa propre mort ; cette règle est évidemment très dangereuse si  on croit rêver et que l’on se trouve bel et bien éveillé.

« Inception » est un film à gros budget. Il en rajoute dans les effets spéciaux. Le résultat est plusieurs fois exceptionnel, comme cette promenade dans Paris où le paysage urbain se plie devant les promeneurs rêveurs et se replie dans leur ciel, rendant vides de sens les trois dimensions.

Photo du film « Inception ».

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu

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Le dernier film de Woody Allen, « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu », laisse une impression de gâchis et d’inachevé. Mais c’était le but recherché : le film parle de personnages qui ratent leur vie. Comme réalisation artistique, il est réussi.

Alfie (Anthony Hopkins) plaque Helena après quarante ans de mariage. Il ne supporte pas de vieillir. Il épouse une « artiste », en fait une prostituée, mais cette nouvelle vie le laisse ruiné, humilié et usé.

Sally (Naomi Watts), fille d’Alfie et Helena, rumine sa frustration de n’avoir pas pu construire une famille avec son mari Roy. Elle travaille dans une galerie d’art et démissionne pour créer sa propre affaire. Sa vie sentimentale tourne au fiasco : elle quitte Roy, mais se rend compte trop tard qu’elle est amoureuse de Greg, son patron. Elle démissionne pour créer sa propre affaire, mais n’obtient pas de sa mère Helena le prêt qui lui permettra de se lancer. Helena est tombée dans les griffes d’une voyante qui lui a expliqué que la conjonction des astres n’est pas favorable à des opérations financières !

Roy (Josh Brolin) est un écrivain raté. Il profite de la mort accidentelle d’un de ses amis pour voler son roman et le faire publier sous son nom. Manque de chance, l’ami n’est pas mort mais dans le coma, avec une bonne chance de récupération. Roy quitte Sally pour la voisine d’en face, Dia (Freida Pinto) dont il observait les déshabillages avec concupiscence. Ayant emménagé avec Dia, c’est maintenant Sally, son ex, qu’il regarde de la fenêtre. Quant à Dia, elle annule au dernier moment son mariage et provoque une crise dans sa famille.

Seuls deux personnages sortent de cet univers déprimant : Helena, que sa voyante a persuadé qu’elle est la réincarnation de Jeanne d’Arc, et Jonathan, qui communique par les tables tournantes avec l’esprit de son épouse décédée. Leur propre folie les protège de la folie du monde.

Photo du film « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu ».

The Social Network

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L’émergence des réseaux sociaux est sans doute l’un des phénomènes de société les plus marquants des dernières années. Le réalisateur David Fincher et le scénariste Aaron Sorkin écrivent l’histoire de Facebook, une histoire toute récente : 2003.

Etudiant en informatique brillantissime, Mark Zuckerberg se fait larguer par sa petite amie, Erica, qui ne supporte pas son arrogance et sa volonté d’entrer à tout prix dans un club élitiste dont il est exclu par son origine modeste. On la comprend. Mark (joué avec une grande finesse par Jesse Eisenberg) est un garçon d’une intelligence supérieure, convaincu de cette supériorité et prêt à tout pour arriver ; il n’a pas de vrais amis, on ne le voit jamais rire ni pleurer, il n’admet jamais ses torts. En bref, c’est un individu exceptionnel, à la limite de la normalité psychologique.

Par vengeance, il invente un site où les étudiants notent l’attractivité de leurs condisciples féminines. Deux jumeaux de bonne famille le mettent sur la piste de créer un club virtuel pour les étudiants de Harvard. Il les dépossède de leur idée en l’élargissant à une communauté potentiellement sans autre limite que l’humanité, dans laquelle les participants se rencontrent sur leurs pôles d’intérêt, à partir de la question « qu’avez-vous à l’esprit aujourd’hui ? » Il lance Facebook avec un étudiant qui est prêt à mettre dans l’affaire quelques milliers de dollars et travaille à rentabiliser le site par la publicité.

Mais Mark a une vision plus large. Il part en Californie pour travailler avec Sean Parker, le fondateur et patron du site de téléchargement de musique Napster et qui se fait fort de mobiliser des millions de dollars de capital. Son approche est caractéristique de la « génération Web 2.0 » : il n’y a pas de propriété intellectuelle, il n’y a rien à pirater ; c’est de ce que les participants apportent que le réseau tire sa valeur ; Facebook est un projet ouvert, en mouvement permanent, qui puise son énergie là où ça bouge.

Mark Zuckerberg se débarrasse un par un de ses associés par des procédés en dessous de la ceinture, accusant l’un de cruauté envers les animaux, faisant intervenir la police dans une soirée cocaïne organisée par un autre. Le film est construit autour de l’instruction de la procédure judiciaire qu’ont ouverte les associés spoliés.

Dans la grande tradition hollywoodienne, il y a dans le film des personnages taillés à la serpe : les frères Winklevoss, snobinards de bonne famille, rameurs aux régates de Henley, apparaissent ridicules ; Edoardo Saverin se présente, malgré la trahison de son ami, comme un homme sincère et droit. Seul Mark Zuckerberg est ambigu, avec son visage d’ange, sa passion quasi sexuelle pour son projet et son absence totale d’éthique.

Photo du film « The Social Network ».