Somewhere

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« Somewhere », film réalisé par Sophia Coppola et vainqueur du Lion d’Or au Festival de Venise, nous parle d’un homme perdu, nulle part, à la recherche d’un enracinement.

La première séquence, très longue, nous montre un homme au volant de sa Ferrari faire des cercles sur une piste improvisée dans un désert de Californie ; la dernière scène nous montre le même homme, dans le même désert, abandonner la même Ferrari et marcher seul sur la route, droit devant.

L’heureux propriétaire de la Ferrari est une star d’Hollywood, Johnny Marco (Stefen Dorff). Il a tout ce qu’un homme peut désirer : l’argent, la célébrité, les belles femmes qu’il n’a pas même à conquérir car elles se jettent à son cou. Pourtant, il tourne en rond et il déprime. Il vit dans une suite de l’Hôtel Marmont de Los Angeles, mais ce n’est pas chez lui.

Johnny doit, le temps d’un week-end, prendre en charge sa fille Cleo (Elle Fanning). Il découvre cette petite fille de onze ans qui maîtrise déjà le patinage artistique. Il l’emmène à Milan pour participer à une remise de prix télévisée cruellement berlusconienne, et dans ce monde factice la petite fille lui donne une leçon de bon sens. Père et fille partagent des moments simples, un bain de soleil au bord de la piscine, un plateau repas. Johnny se rend compte de ce que le cœur de Cleo est ce  « quelque part » (somewhere) auquel ils aspire désespérément.

« Somewhere » est volontairement lent.  Au département des effets spéciaux, Johnny a le visage entièrement recouvert d’une sorte de plâtre, à l’exception des narines par lesquelles il respire bruyamment. La scène semble interminable. Lorsqu’on lui retire le masque, son visage est devenu celui d’un vieillard, comme pour mettre en évidence l’inanité de sa vie.

Photo : Stefen Dorff et Elle Fanning dans « Somewhere ». Site Internet http://www.somewherethefilm.com/.

Un balcon sur la mer

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Le dernier film de Nicole Garcia, « un balcon sur la mer » est intéressant mais on en sort un peu frustré : il aurait pu être bien meilleur !

Vers 1990 sur la Côte d’Azur, Marc (Jean Dujardin) est un homme comblé. Il est l’étoile montante de l’agence immobilière de son beau-père, il est marié, a une petite fille et vient d’emménager dans une belle maison avec piscine.

En quelques semaines, sa vie va être chamboulée. Il reconnaît en une jeune femme venue acquérir un bien immobilier Cathy (Marie-José Croze), son amour d’adolescent à Oran, dans la fièvre des attentats de l’OAS et de l’exode des pieds-noirs. Mais Cathy est morte dans l’explosion de l’appartement de sa famille, et la jeune femme est le prête-nom d’une escroquerie s’appuyant sur une complicité au sein de l’agence.

Le monde de Marc s’effrite, il perd ses repères affectifs et professionnels. « Cathy » n’est pas l’adolescente dont il était fou amoureux, mais Marie-Jeanne, l’amie de Cathy qui n’avait d’yeux que pour lui mais qu’il n’avait jamais remarquée. « Je me suis perdu », dit-il à Marie-Jeanne dans la dernière scène.

Ce film sur le retour violent de la mémoire refoulée aurait pu être une grande œuvre. Mais il manque de crédibilité et tire un peu en longueur. Dommage !

Photo : Jean Dujardin et Marie-José Croze dans « un balcon sur la mer ».

Les émotifs anonymes

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« Les émotifs anonymes », réalisé par Jean-Pierre Ameris, est un film drôle sur un sujet sérieux : le refoulement des opportunités que la vie nous offre, par peur de se blesser.

« Pourvu qu’il ne nous arrive rien ! » Tel est le message que le père de Jean-René (Benoît Poelvoorde) lui a légué, en même temps que la chocolaterie familiale. Celle-ci, faute d’innovation, est en train de péricliter. A force d’éviter les risques, elle est au bord de la faillite. Jean-René consulte régulièrement un psychologue. A sa manière, il lutte pour sortir du trou.

Angélique (Isabelle Carré), de son côté, est un génie du chocolat mais sa timidité névrotique lui interdit de se mettre en avant. « Je suis nulle », ne cesse-t-elle de se répéter. Elle ne peut exercer son talent que dans les coulisses, protégée par la fiction qu’un ermite du Vercors serait le créateur de pralines divines dont en réalité elle a inventé la recette. Elle fréquente, sur le modèle des alcooliques anonymes, un cercle d’émotifs anonymes où chacun raconte sa névrose et accueille celle de l’autre, dans l’espoir de s’en sortir.

Le film raconte la rencontre de ces deux êtres dont la volonté de communiquer est haute comme la montagne de leurs blocages. L’extrapolation jusqu’à l’absurde de ces personnalités que la rencontre terrorise garantit l’effet comique, et en effet on rit beaucoup. Mais le drame de l’échec personnel est toujours présent, et l’intensité dramatique est en filigrane.  Elle se déverse parfois, comme lorsque Jean-René fait irruption dans une réunion des émotifs anonymes et déclare à Angélique son amour, maladroitement mais en toute vérité.

« Les émotifs anonymes » est un bon film pour l’hiver, un film qui rappelle que le printemps n’est pas loin, avec de l’amour, des enfants ivres de chocolats et des affaires qui refleurissent.

J’ai été une nouvelle fois fasciné par le jeu d’actrice d’Isabelle Carré, entre une extrême pudeur et l’exposition au grand jour de sentiments intimes et refoulés.

Photo du film « Les émotifs anonymes », Benoît Poelevoorde et Isabelle Carré.

Séraphine

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Le film « Séraphine » de Martin Provost (2008) raconte la rencontre entre une pauvre fille méprisée  de tous et habitée par l’exigence de peindre et un collectionneur allemand que la guerre de 1914 oblige à quitter la France.

Séraphine (magnifiquement interprétée par Yolande Moreau) est une grosse femme revêche qui gagne quelques sous à faire des ménages et des lessives pour les bourgeois de sa ville, Senlis. Elle vit dans la plus extrême misère, mais dépense la majeure partie de ses gains à acheter des vernis et des pigments. La nuit, elle s’épuise à peindre. Elle le fait par obéissance à une voix intérieure, un ange gardien qui le lui commande.

Séraphine a 48 ans lorsqu’elle entre comme domestique au service du collectionneur allemand Wilhelm Uhde. A sa manière, Wilhelm est aussi un marginal, en raison de son homosexualité et de sa nationalité « boche ». Il a déjà découvert Picasso et Braque. Il a sorti de l’ombre le « naïf » ou « primitif » Henri Rousseau. Il est ébloui par le talent de Séraphine.

Wilhelm doit quitter la France en 1914 mais revient s’établir dans son pays d’adoption en 1927, à Chantilly. Il retrouve la trace de Séraphine et la prend sous son aile. Capable désormais de se consacrer totalement à son art, dotée d’un matériel professionnel auquel la misère ne lui avait jamais permis d’accéder, elle arrive au sommet de son art.

Les affaires de Wilhelm sont contrariées par la crise économique et il ne peut honorer sa promesse d’exposer les œuvres de Séraphine à Paris. Convaincue par son ange gardien qu’avec cette exposition était venue l’heure de ses noces, sûre de tenir sa revanche contre un destin qui l’avait foulée aux pieds, Séraphine sombre dans la folie. Ce n’est que bien après sa mort dans un asile psychiatrique en 1942 que Séraphine de Senlis sera reconnue comme une artiste originale et inspirée.

La photographie du film est splendide. La musique de Michael Galasso dégage une impression d’étrangeté et de vague inquiétude qui sied bien au personnage illuminé de Séraphine. Yolande Moreau est possédée par le personnage de Séraphine. On ressent la même fascination que lorsqu’Isabelle Adjani incarnait Camille Claudel ou Salma Hayek Frida Kahlo.

Photo : Yolande Moreau et Ulrich Tukor dans le film Séraphine, de Martin Provost.