Le Cygne Noir

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The Black Swan, film de Darren Aronowsky, a pour toile de fond l’univers impitoyable du ballet classique et pour thème le lien entre la perfection artistique et la folie.

Thomas Leroy (Vincent Cassel), patron d’une troupe de danse classique de New York, annonce la retraite de sa danseuse étoile et son remplacement par une étoile montante, Nina Sayers (Natalie Portman). Nina est une jeune femme timide, infantilisée par sa mère (Barbra Hershey) qui prétend connaître par le truchement de sa fille le succès qu’elle n’a pas connu lorsqu’elle était elle-même ballerine.

Thomas demande à Nina de jouer le rôle du cygne blanc, pur et innocent, mais aussi celui du cygne noir diabolique. Elle doit se laisser pénétrer par la haine, mordre, tuer. A vrai dire, il n’y a guère besoin de la pousser à extérioriser le côté sombre de sa personnalité. Sous des dehors paisibles, Nina est rongée par l’angoisse que sa rivale Lily (Mila Kunis) lui ravisse le rôle clé, par la jalousie à l’égard des femmes que séduit Thomas et par la haine pour sa mère. Elle a des hallucinations, son propre corps est scarifié de griffes et de clous.

Nina veut tuer sa mère, au moins symboliquement. Elle veut aussi se tuer, comme le cygne de Tchaïkovski, et atteindre ainsi la perfection artistique, sans le moindre écart entre le personnage et l’acteur.

Il coule beaucoup d’hémoglobine, fantasmé ou réel dans le Cygne Noir. On n’y trouve aucune trace d’humour, rien qui puisse autoriser un sourire. C’est une magnifique épopée tragique. Le hasard du calendrier cinématographique fait que deux films programmés à Londres simultanément mettent le Lac des Cygnes au cœur du drame : le Cygne Noir et Des Hommes et des Dieux.

Photo du film « Le Cygne Noir », Natalie Portman dans le rôle de Nina.

Le discours d’un roi

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Le film « The King’s speech » (le discours d’un roi) raconte la lutte du Roi George VI contre le bégaiement qui l’affligeait. Il est en tête du box-office au Royaume Uni, avec de bonnes chances que Tom Hooper, son metteur en scène et Colin Firth, l’acteur principale, obtiennent un Oscar.

En 1934, le Duc d’York (Colin Firth) est poussé par son formidable père, le Roi George V, à jouer un rôle public actif. Il faut prononcer des discours au micro devant des foules impressionnantes et se plier aux nouvelles exigences des allocutions radiophoniques. Le problème est que le Duc est paralysé par un dysfonctionnement de la parole. Son bégaiement embarrasse les citoyens et lui vaut la dérision de son frère David.

Elizabeth, la jeune épouse de George (et future Reine Mère, Helena Bonham Carter) arrange un rendez-vous avec un spécialiste de la parole, Lionel Logue (Geoffrey Rush). Lionel est atypique : il n’est pas Britannique mais sujet d’une colonie, l’Australie ; il se sent un comédien raté ; il n’a pas le titre de médecin, ayant appris son art en aidant avec succès des soldats victimes du souffle des explosions pendant la première guerre mondiale à sortir de la prison de leur mutisme.

Dans la famille royale, on ne se déboutonne pas et on ne parle surtout pas de sa vie privée. Lionel ne consent à soigner le Duc que sur un pied d’égalité. Ils seront Bertie (Albert est l’un des prénoms du Duc) et Lionel. Il comprend vite que la racine du problème de Bertie est son enfance malheureuse sous les yeux d’un père terrifiant. Il lui fait travailler sur son corps, hurler, se rouler par terre ; et il lui demande de se raconter. Le hiatus entre les cultures des deux hommes est source de multiples situations cocasses, et l’on rit souvent pendant les deux heures de la projection.

L’intention de David, devenu roi sous le nom d’Edward VIII en 1936, d’épouser une divorcée américaine, le contraint à l’abdication. A son corps défendant, « Bertie » est couronné sous le nom de George VI. Lionel devient son conseiller en communication, au grand dam des autorités, en particulier de l’archevêque. Il reste au nouveau roi à consentir vraiment à son nouveau rôle, à se penser comme un roi, à parler comme un roi.

Les périls montent. Le roi regarde en famille des actualités cinématographiques filmées à Nuremberg. Que dit Hitler demande sa fille Elizabeth ? Je ne sais pas ce qu’il dit, mais il le dit bien, répond son père. Le roi s’appuie sur l’amour que lui voue sa femme et sur l’amitié qui a grandi avec Lionel, malgré une brouille de plusieurs mois.

Le 1er septembre 1939, la Grande Bretagne déclare la guerre l’Allemagne. Le roi doit délivrer en direct une adresse radiophonique. Il est terrorisé. De l’autre côté du micro, Lionel l’encourage de la mimique et du geste comme un chef d’orchestre. Ils ont répété le texte écrit par le Gouvernement. Les silences du bègue reprenant sa respiration deviennent comme des pauses nécessaires dans un discours dramatique. George VI a gagné sa bataille contre le handicap, et par là même la crédibilité d’un chef de résistance dans la terrible période qui s’engage.

Photo du film « The King’s speech : Geoffrey Rush, Colin Frith et Helena Bonham Carter.

Another Year

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Le film de Mike Leigh « Another Year » nous raconte quatre saisons de la vie d’un couple anglais de la classe moyenne et de leurs proches.

Tom (Jim Boradbent), ingénieur géologue, et son épouse Gerry (Ruth Sheen), psychologue dans un cabinet médical, vieillissent ensemble avec bonheur. Ils habitent une maison mitoyenne typique de la banlieue de Londres. Leur plaisir, c’est de cultiver un potager dans un jardin ouvrier à quelques kilomètres de là. Lorsqu’il pleut, ils partagent un sandwich et un thermos de thé sous un abri de planches.

Professionnellement, Gerry assiste des personnes en situation difficile. Dans les premières scènes du film, une femme vient consulter pour une insomnie chronique ; priée d’indiquer sur une échelle de 1 à 10 son niveau de satisfaction dans la vie, elle répond sans hésiter « 1 » !

Personnellement, Gerry et Tom ont la main sur le cœur. Ils accueillent volontiers Mary (Lesley Manville), une collègue de travail de Gerry. Elle a environ 45 ans, est divorcée et est terrorisée par la marche inexorable de l’horloge biologique. Elle n’arrive pas à construire avec un homme une relation stable et les actes simples de la vie, comme acheter une voiture d’occasion, tournent inévitablement au désastre. Mary s’accroche à Joe, le fils de ses amis ; lorsque Joe présente sa fiancée, Mary est catastrophée.

Il y a aussi Ken, que la proximité de la retraite plonge dans l’angoisse bien qu’il exerce un travail sans intérêt, et qu’il s’abime la santé dans la nourriture et l’alcool ; et Ronnie, le frère de Tom, sidéré par le décès de son épouse et l’échec de sa relation avec son fils révolté.

Le film est construit autour du potager au printemps, en été, en automne et en hiver. Au fil de l’année, la détresse de Mary s’aggrave. La dernière scène la montre longuement, hagarde à la table familiale de Tom et Gerry, alors que la conversation tourne autour de mirifiques destinations touristiques.

« Another Year » m’a touché. Il évoque de manière si juste l’Angleterre d’aujourd’hui que je me suis imaginé sentir l’odeur de la soupe et des toasts de Gerry et Tom ! Il me rappelle une époque où nous rêvions de communautés fraternelles dans lesquelles les exclus seraient accueillis à notre table. Le film est pessimiste : la charité de Gerry et Tom semble inopérante au mieux, condescendante au pire.

Photo du film « Another Year ».

Somewhere

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« Somewhere », film réalisé par Sophia Coppola et vainqueur du Lion d’Or au Festival de Venise, nous parle d’un homme perdu, nulle part, à la recherche d’un enracinement.

La première séquence, très longue, nous montre un homme au volant de sa Ferrari faire des cercles sur une piste improvisée dans un désert de Californie ; la dernière scène nous montre le même homme, dans le même désert, abandonner la même Ferrari et marcher seul sur la route, droit devant.

L’heureux propriétaire de la Ferrari est une star d’Hollywood, Johnny Marco (Stefen Dorff). Il a tout ce qu’un homme peut désirer : l’argent, la célébrité, les belles femmes qu’il n’a pas même à conquérir car elles se jettent à son cou. Pourtant, il tourne en rond et il déprime. Il vit dans une suite de l’Hôtel Marmont de Los Angeles, mais ce n’est pas chez lui.

Johnny doit, le temps d’un week-end, prendre en charge sa fille Cleo (Elle Fanning). Il découvre cette petite fille de onze ans qui maîtrise déjà le patinage artistique. Il l’emmène à Milan pour participer à une remise de prix télévisée cruellement berlusconienne, et dans ce monde factice la petite fille lui donne une leçon de bon sens. Père et fille partagent des moments simples, un bain de soleil au bord de la piscine, un plateau repas. Johnny se rend compte de ce que le cœur de Cleo est ce  « quelque part » (somewhere) auquel ils aspire désespérément.

« Somewhere » est volontairement lent.  Au département des effets spéciaux, Johnny a le visage entièrement recouvert d’une sorte de plâtre, à l’exception des narines par lesquelles il respire bruyamment. La scène semble interminable. Lorsqu’on lui retire le masque, son visage est devenu celui d’un vieillard, comme pour mettre en évidence l’inanité de sa vie.

Photo : Stefen Dorff et Elle Fanning dans « Somewhere ». Site Internet http://www.somewherethefilm.com/.