La Ligne Droite

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Dans La Ligne Droite, Régis Warnier raconte le combat de deux accidentés de la vie pour s’en sortir par leur passion commune, l’athlétisme.

Athlète de haut niveau, Yannick (Cyril Descours) a perdu la vue dans un accident de voiture. Il est meurtri, révolté, aigri. Il tente toutefois de renouer les fils de sa vie. Il se prépare pour une compétition paralympique dans sa spécialité, le 400 mètres. Mais le binôme qu’il forme avec le coureur qui, relié par une cordelette, lui prête ses yeux, ne fonctionne pas.

La mère de Yannick (Clémentine Célarié) tente de redonner le goût de la vie, ou du moins de le détourner du suicide. Elle est prête à tout pour lui changer les idées.

Leïla (Rachida Brakni) sort de 6 ans de prison. Elle est écorchée vive, irrémédiablement blessée par la séparation d’avec son petit garçon, âgé de deux ans lors de son incarcération. Comme Yannick, c’était une athlète de haut niveau lorsque le destin l’a frappée. Libérée de prison, elle se remet à courir de manière frénétique, comme pour annuler les années perdues et dissoudre les sentiments mauvais.

Yannick demande à Leïla de devenir son guide. Il en tombe fou amoureux, mais Leïla a peur des mots d’amour qui peuvent blesser et tuer. Il faudra tu temps et des larmes pour qu’ils trouvent, ensemble peut-être, la ligne droite.

Le film a reçu un accueil mitigé, certains critiques disant leur enthousiasme, d’autres leur déception.

J’ai aimé le jeu de Rachida Brakni et sa beauté féline très particulière. J’ai aimé le cadre du film, le stade, les vestiaires, la piste où les corps se frôlent à la recherche de l’harmonie. J’ai aimé la scène où Yannick court pieds nus sur une plage de sable, ivre de grand air et de désir.

Je n’ai pas aimé l’invraisemblance de certaines situations, à commencer par la rencontre de Yannick et de Leïla. Je n’ai pas aimé le jeu de Cyril Descours, qui semble déclamer son texte avec le détachement d’acteurs de la nouvelle vague tout en en rajoutant dans le pathos.

La Ligne Droite est un film généreux. Mais hormis le personnage de Leïla / Rachida, il manque de crédibilité.

Photo du film La Ligne Droite, Rachida Brakni et Cyril Descours.

Helen Mirren, trésor national

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Dans le quotidien The Guardian du 4 mars 2011, Ryan Gilbey interview Helen Mirren, actrice qui, âgée maintenant de 65 ans, fait figure de trésor national en Grande Bretagne.

« Je suis plus âgée, maintenant, dit Helen Mirren. Il y a un moment épouvantable quand on découvre qu’on n’est plus la personne la plus jeune dans la salle. Particulièrement si, jeune, on a connu le succès. Et par la suite bien sûr, on réalise qu’on se trouve la personne la plus âgée dans la salle ! (…) Cela fait partie du déroulement normal de la vie. Quand on est jeune, on se demande ce que les vieux radotent quand ils s’efforcent de partager leur sagesse. Cela n’a pas de sens parce qu’être jeune, c’est quelque chose de vraiment spécifique. Dieu merci pour cela. Dieu merci pour les jeunes qui vont manifester contre le capitalisme rampant ou toute autre cause. »

Helen Mirren avoue son admiration pour Gérard Depardieu. Il dit un jour quelque chose qui changea la façon dont elle ressent le jeu d’acteur. Interrogé sur la manière dont il approche un rôle, Depardieu répondit : « je regarde le scénario. S’il dit « gangster », je joue un gangster ; s’il dit « épicier », je joue un épicier ». Mirren claque des mains. « Une lumière s’alluma dans mon cerveau. Je me dis « c’est cela, il suffit de jouer ce qui est dans le scénario ». J’ai appliqué cela depuis lors. Si le scénario dit « femme bouleversée, en colère, sort du lit sans maquillage », c’est cela que je joue. Je n’embrouille pas tout avec « quelle est l’histoire cachée de cette femme ? »

Dame Helen Mirren est marquée par son rôle dans « The Queen », qui lui valut  un Oscar. Quand elle joue une assassine retraitée dans le récent film d’action Red, ce n’est pas simplement Mirren qui sort un revolver de sous un bouquet de roses jaunes ou annonce allègrement « je tue des gens, mon cher » : c’est Sa Majesté qui le fait, aussi, remarque Ryan Gilbey.

Photo The Guardian : Helen Mirren

Les Petits Mouchoirs

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Les Petits Mouchoirs, film de Guillaume Canet, a connu un grand succès d’audience, mais son accueil par la critique a été contrasté.

Chaque année, Max et son épouse Véro invitent dans leur maison du Cap Ferret un groupe d’amis pour quelques semaines de vacances. Quelques jours avant le départ, l’un d’entre eux, Ludo, est victime d’un grave accident de moto et gît à l’hôpital pratiquement inconscient dans une unité de sons intensifs. Les amis décident de partir malgré tout.

Max (François Cluzet) est le plus âgé de la bande, celui qui a réussi, celui qui possède un hors-bord et qui règle les additions. C’est aussi un angoissé, un tyran qui se fait tout petit quand sa femme lui tient tête. Vincent (Benoît Magimel), kinésithérapeute marié et père d’un petit garçon, se découvre homosexuel, amoureux de Max que cette révélation exaspère au-delà de toute mesure. Antoine et Eric viennent tous deux d’être plaqués par leur compagne et amènent dans le groupe leur obsession et leur souffrance. Et puis il y a Marie (Marion Cotillard), cinéaste amoureuse de l’Amazonie, qui a vécu autrefois avec Ludo une relation longue et tumultueuse et qui d’amante en amant cherche encore la vraie vie.

Les critiques s’accordent à reconnaître une parenté entre « Les Petits Mouchoirs » (2010) et « Vincent, François, Paul et les autres » de Claude Sautet (1974). Tous deux captent l’esprit d’une génération. Mais certains regrettent la longueur du film et ce qu’ils qualifient de vacuité. Un bon exemple est Thomas Ferenczi dans Télérama : « l’étanchéité du groupe au monde réel est symbolisée par une image fugitive, et ici incongrue : Marion Cotillard dépliant maladroitement Le Monde. C’est vrai, pourquoi un journal, un livre, pourquoi une conversation intéressante en vacances, alors qu’il y a la bouffe et le ski nautique ? On ignore si Les Petits Mouchoirs est un film générationnel. Si c’est le cas, on est – pour une fois – heureux de ne plus faire partie de cette génération-là… »

J’ai aimé Les Petits Mouchoirs. Les personnages sont tous fragiles, et fragilisés encore plus par l’accident de Ludo, qui se trouve entre la vie et la mort. Ils s’agrippent les uns aux autres, comme dans la dernière scène où ils font face au trou dans lequel Ludo est inhumé. Ils se haïssent par moment, ils se déchirent, mais ils doivent se pardonner à la fin parce que la roue de la vie et de la mort est inexorable. Il est vrai que les personnages sont superficiels, emportés par la vie comme des fétus de paille. Mais leur souffrance lorsque les vagues de la vie les écrasent et les font suffoquer, leur volonté de s’en sortir envers et contre tout, leur simple instinct de survie, tout cela les grandit.

Jean-Louis, l’ostréiculteur ami de Max, sous le coup de la nouvelle du décès de Ludo, reproche à ses amis de se mentir entre eux et à eux-mêmes. Ils ont mis des petits mouchoirs sur des réalités qu’ils ne veulent pas voir. Deux personnages, au moins, sont lucides. Lorsque, face au groupe, Max traite Vincent de pédé, celui-ci affronte la situation et parle à son petit garçon. Lorsque l’amant de Marie, un chanteur, séduit le groupe d’amis, celle-ci comprend qu’il n’est pas l’homme de sa vie et a le courage de rompre. Le jeu d’acteurs de Marion Cotillard et Benoît Magimel est remarquable.

Photo du film « Les Petits Mouchoirs » de Guillaume Canet : Marion Cotillard et François Cluzet.

Inside Job

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Inside Job, le film documentaire de Charles Ferguson auquel Matt Damon prête sa voix, est actuellement projeté sur les écrans londoniens. C’est un réquisitoire contre l’irresponsabilité des banques et des pouvoirs publics américains avant la crise financière et, malheureusement, aussi après.

La dérégulation du système financier, initiée par Ronald Reagan et poursuivie avec enthousiasme par les présidents Bush, Clinton et Bush sous la supervision complaisante du Gouverneur de la Fed Alan Greenspan, a mené le monde au désastre de la crise financière de 2008.

Au long des années 2000, les crédits se sont mis à représenter un multiple de plus en plus élevé des dépôts des banques. Saucissonnés et réassemblés en instruments financiers composites regroupant plusieurs classes de risques dans plusieurs pays, labellisés par les agences de rating, ces crédits étaient revendus à des investisseurs. Ceux-ci, à leur tour, pouvaient se protéger contre le risque inhérent à ces instruments par des contrats d’assurance, les « credit default swaps, » CDS. Dégagées du risque final, les banques consentaient des crédits à des débiteurs de moins en moins solvables, en particulier des crédits immobiliers « subprime » à des ménages incapables de rembourser. Le film montre une commission d’enquête du Congrès accusant les dirigeants de Morgan Stanley d’avoir encouragé ses clients à acheter des instruments financiers poubelle, tout en spéculant eux-mêmes sur leur probable fiasco : double profit pour la banque, et escroquerie caractérisée.

Inside Job est fondé sur des images d’archive tournées aux moments-clé de la crise, dont celles, fameuses, montrant les employés de Lehman Brothers emportant leurs effets personnels dans des cartons au matin de la faillite de la banque ; des images fortes, comme celles de lotissements neufs désertés de leurs propriétaires et envahis de mauvaises herbes ; des graphiques vertigineux ; et des interviews impressionnantes.

Beaucoup d’acteurs, pour ne pas dire coupables, de la crise financière, avaient prudemment refusé d’être interrogés. Ceux qui, par inconscience ou vanité, se sont prêtés au jeu, doivent amèrement le regretter. Les visages sont filmés en plan serré, sans coupure. L’interviewer pose sur un ton anodin des questions terriblement embarrassantes, par exemple la rémunération perçue par un professeur d’université pour rédiger un rapport vantant la stabilité du système financier islandais, quelques semaines avant qu’il ne succombe dans la faillite et le scandale. La caméra enregistre sans pitié le sang qui afflue, la gorge qui se noue, les silences, les rictus, les bégaiements.

Les deux interviewés français se tirent bien de cet exercice périlleux : Dominique Strauss-Kahn et Christine Lagarde, chacun de son côté, s’étonnent de l’absence de regrets de la part des banques par qui tant de souffrances sont arrivées.

Le film est sévère pour l’Administration Obama, dont les conseillers économiques viennent des banques et sont des partisans convaincus de la libéralisation financière : de quoi être inquiet pour l’avenir !

Photo du film « Inside Job » de Charles Ferguson.