Le métier de comédienne

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Dans le film de François Ozon Le Refuge, Isabelle Carré joue le rôle de Mousse, une jeune toxicodépendante qui se retrouve enceinte après la mort par overdose de son compagnon.

La comédienne était elle-même enceinte lors du tournage. « Une seule chose m’inquiétait réellement par rapport au sujet, dit-elle : qu’est-ce que mon enfant pensera quand il verra le film ? Je ne voulais pas qu’il se sente utilisé (…). Isabelle Huppert, qui était aussi à St Jean de Luz, nous a rendu visite et a dit quelque chose qui m’a touchée et rassurée : « C’est formidable quand l’actrice rencontre la femme, quand notre vie de femme se mélange avec la fiction, quand la paroi entre réalité et la fiction devient de plus en plus fine. Ces moments-là sont toujours passionnants. » En même temps, je ne suis pas du tout comme Mousse dans la vie, son histoire n’a rien à voir avec la mienne, j’ai joué un personnage ».  

Isabelle Carré dit qu’en jouant le rôle de Mousse, elle a fait son travail de comédienne, à la fois dans une situation objective proche de son personnage, mais aussi dans une disposition d’esprit opposée. Elle raconte combien la scène d’amour entre Mousse et Paul a été spécialement difficile et fatigante. Mais tant de femmes exercent leur métier jusqu’au huitième mois de grossesse : elle s’est simplement sentie l’une d’entre elles.

Illustration : affiche du film Le Refuge.

Le Refuge

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Le film « Le Refuge » de François Ozon vient de sortir à Londres. La performance d’actrice d’Isabelle Carré dans le rôle de Mousse est magnifique.

Les premières scènes du film sont à peine soutenables. Dans un appartement bourgeois vide de Paris, un couple de trentenaires, Louis et Mousse, s’injectent par le bras et par le cou leur dose d’héroïne. C’est l’overdose. A l’hôpital, le médecin révèle à Mousse que Louis a succombé, et qu’elle est enceinte.

La mère de Louis fait pression sur Mousse pour qu’elle avorte. Cette intrusion est sans doute suffisante pour qu’elle décide de garder l’enfant, dont elle dit qu’il est Louis continuant à vivre à l’intérieur d’elle-même. Mousse cherche refuge dans une maison prêtée par un ex sur la Côte Basque. Elle y est rejointe par Paul, le frère de Louis. Comme Mousse, Paul doit faire le deuil de Louis. Comme elle, il est à la dérive, à la recherche de son identité, enfant adopté incertain de sa relation avec son frère et ses parents, homosexuel avide de paternité. D’abord hostile, Mousse découvre peu à peu en Paul un partenaire qui lui permettra peu à peu de se reconstruire, celui qui accueillera l’enfant.

Isabelle Carré était enceinte de six mois au moment du tournage sur la Côte Basque. Le film est une magnifique méditation visuelle sur la grossesse. La scène où Mousse, dans son bain, caresse son ventre émergeant de la surface, celle où elle demande à Paul de l’enduire de crème solaire, sont d’une grande beauté.

La grossesse de Mousse est emprunte d’ambigüité. Elle n’est pas désirée. L’enfant attendu aura dès le départ une lourde histoire : orphelin de père, une mère vivant sous méthadone, un père adoptif homosexuel. Le film pourtant n’est pas noir : il faudra du temps pour que les adolescents que sont restés Mousse et Paul deviennent adultes, et on sent bien que la petite Louise à son tour saura trouver son chemin.

Comme dans La Femme Défendue de Philippe Harel (1996) et  Se Souvenir des Belles Choses de Zabou Breitman (2001), Isabelle Carré est fascinante. Elle met ses plus intimes sentiments à nu, et la caméra explore sans retenue son visage et son corps. Pourtant, on ne ressent aucune impudicité, seulement une profonde vérité humaine. Par moment, elle est cassante et fermée comme une huitre ; dans son désarroi d’écorchée vive, elle diffuse pourtant de la douceur.

Le partenaire d’Isabelle Carré est, dans le rôle de Paul, le chanteur Louis Ronan Choisy, excellent lui aussi. Il a composé pour le film une chanson, qu’il interprète en duo avec Isabelle.

Photo du film  Le Refuge : Isabelle Carré et Louis Ronan Choisy.

L’Arnacoeur

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L’Arnacoeur, film de Pascal Chaumeil, est une comédie divertissante sur une trame originale.

J’avoue avoir eu du mal à me laisser faire par l’Arnacoeur. Le personnage central, Alex (Romain Duris), est vraiment trop immoral. Il a fait de la destruction des couples un business. Certes, il prétend que sa déontologie ne lui permet de s’attaquer qu’à des couples dans lesquels la femme est manifestement malheureuse : il ne fait finalement que les délivrer d’un mari ou d’un compagnon pas taillé pour elles ! Mais associé à sa sœur et son beau-frère, tous les moyens classiques du contre-espionnage sont bons pour réussir une arnaque sentimentale : écoutes, agressions, déguisements, détournement du courrier.

Il m’a toutefois fallu reconnaître bien vite que le thème est original et qu’il est traité avec doigté. La nouvelle mission d’Alex est de briser le projet de mariage de Juliette (Vanessa Paradis) avec Jonathan, un bel américain gentil et amoureux. Au culot, Alex va s’imposer dans le rôle de garde du corps de la jolie fiancée. Le garde du corps imaginaire finira par tomber amoureux pour de bon de sa supposée protégée.

Il y a dans le film de délicates réminiscences de James Bond, tels l’attirail technologique des associés d’Alex et, du côté des méchants, une brute aussi gigantesque que stupide. Mais elles sont placées dans un contexte franchement loufoque qui ne tombe jamais dans le vulgaire.

Un bon moment de cinéma est l’escapade d’Alex et Juliette la nuit précédant le mariage de celle-ci. Sur la piste d’un restaurant désert, ils dansent une scène de Dirty Dancing et se découvrent l’un l’autre comme un couple. C’est magnifiquement chorégraphié, sensuel, plein de l’intensité d’une rencontre déjà spirituelle parce que pleinement charnelle.

Photo du film l’Arnacoeur.

Le Continent Féminin

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Bernard Giraudeau, qui vient de mourir à un âge peu différent du mien, a laissé une trace dans ma vie.

« J’ai eu envie de goûter à tout, de voyager, et le plus beau des voyages c’est le continent féminin ». Dans Sud-Ouest (18 juillet), Régine Magné cite cette phrase de Bernard Giraudeau. C’est une belle phrase, qui caractérise bien le personnage qui vient de disparaître : vorace de la vie, aventurier, séducteur.

Bernard Giraudeau faisait partie de ma vie. Je l’ai applaudi au théâtre, j’ai admiré son jeu d’acteur dans plusieurs films. J’avais particulièrement aimé « Les Caprices d’un Fleuve », le film qu’il avait réalisé en 1996. Un nobliau est envoyé en 1787 en garnison à Saint Louis du Sénégal, puni pour un duel. Commandant une escadre sur le fleuve, il est fasciné par le Continent Africain, sa lumière, sa mesure différente du temps qui passe. Il adopte une jeune esclave peule et tombe amoureux d’une métisse. Ses prejugés raciaux s’effritent peu à peu. La musique du film, due à René Marc Bini, est magnifique.

Illustration : les Caprices d’un Fleuve.