DSK au FMI

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Le Seuil publie un livre de Stéphanie Antoine, journaliste à France 24 : « DSK au FMI, Enquête sur une renaissance » (février 2011). Un livre utile à quelques mois, ou semaines, de la possible candidature de Dominique Strauss Kahn à l’élection présidentielle française.

« Etes-vous toujours de gauche ? » demande au directeur général du FMI le modérateur d’un débat à Genève le 8 décembre 2010. « J’ai réussi certaines choses, d’autres non, j’essaye de contribuer à mettre en œuvre un système efficace qui produise, car si on ne produit pas, il n’y a rien à partager. Il faut lutter jour après jour pour corriger les inégalités et faire en sorte que le résultat de son action ne soit pas seulement l’enrichissement de la collectivité pour elle-même, mais la réalisation de chacun en termes d’éducation, de santé. Un programme que vous pouvez mettre en œuvre en tant que maire d’une ville ou comme directeur général du FMI ». « Ou comme président de la République française », commente Stéphanie Antoine.

Telle est la conclusion de l’enquête de la journaliste sur Dominique Strauss Kahn ces quatre dernières années. On le voit, après la démission de Rodrigo Rato, précédent directeur général du FMI, mobiliser ses réseaux avec l’aide du premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker et « oublier » de consulter les Britanniques, qu’il devine hostiles, sur sa candidature. Une fois installé à Washington il découvre une institution surdimensionnée par rapport à ses ressources et honnie par une partie de l’opinion mondiale, particulièrement dans les pays asiatiques. Il réduit les coûts, supprime 400 postes et investit dans la communication, interne et externe.

Au début 2008, alors que la crise des subprimes a commencé, il affiche son pessimisme. A rebours de l’orthodoxie du FMI, il appelle les Etats à soutenir la conjoncture par la dépense publique. Il place d’emblée l’institution qu’il dirige au cœur de la réaction contre la crise. Son rôle central est confirmé au sommet du G20 à Londres en avril 2009 : ses ressources passent de 250 a 750 milliards de dollars, à quoi s’ajoutent 250 milliards de « droits de tirage spéciaux » (droits d’emprunter dans panier de monnaies au taux d’intérêt pondéré de ces monnaies).

Strauss-Kahn obtient que le FMI vende une partie de son stock d’or, et qu’une partie du produit de la vente serve à consentir des prêts à taux zéro aux pays les plus pauvres. Il obtient aussi la mise en place de prêts sans conditions à des Etats « préqualifiés » selon le critère de leur bonne gestion, alors que la règle d’or du FMI était la conditionnalité de ses financements.

Le FMI a regagné en quelques années, en vertu de la crise mais aussi sous l’action de son directeur général, une crédibilité telle que son intervention est réclamée par les Etats Européens pour le sauvetage des pays en crise de la zone Euro, Grèce, puis Irlande et maintenant Portugal.

« Les pays qui vont bien, les peuples qui avancent le plus vite, même s’ils sont partis de loin, sont ceux que l’action des gouvernants et le discours des élites ont cherché à placer au cœur du débat mondial », dit DSK. Ceux qui vont le plus mal sont ceux dont les élites intellectuelles, politiques, syndicales, patronales s’enferment dans les vieux modèles et se replient sur elles-mêmes. Ce que j’ai appris, c’est que l’économie est bel et bien mondialisée et qu’il n’y a pas de solution nationale. J’en étais convaincu de façon abstraite et théorique, maintenant je l’observe tous les jours. L’ambition que doit avoir la pensée politique de gauche est d’instituer un espace politique à l’échelle de l’économie ».

On se prend à rêver. Et si le prochain président de la République mettait au cœur de son action et de son discours l’adaptation de notre société a une économie ouverte au lieu de stigmatiser des minorités et d’ériger des barrières ? Et si le prochain président de la République travaillait modestement, au jour le jour, et tenait suffisamment bien le cap pour pouvoir négocier ?

Photo FMI : Dominique Strauss-Kahn.

Noces Royales

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Dans The Guardian du 30 Avril, Martin Rowson livre une délicieuse interprétation du mariage entre le Prince William et Kate Middleton, célébré la veille à Westminster devant un million de spectateurs à Londres, vingt trois millions de téléspectateurs en Grande Bretagne et plusieurs centaines de millions dans le monde.

« Ne regardez pas en bas ! » exhorte le dessin. En bas, la terre est un volcan en effervescence. Les participants à la noce s’avancent sur une passerelle suspendue dans un ciel irréel. On reconnait les jeunes mariés, la Reine et la famille royale, l’horrible petite demoiselle d’honneur boudeuse, l’Archevêque de Cantorbéry, un émir, David Cameron et George Osborne.

La particularité de cette passerelle, c’est qu’elle est constituée de langues entremêlées. A droite du dessin, on voit les commentateurs vedettes de la télévision, postés devant une forêt d’objectifs. C’est à leurs langues qu’est amarrée la passerelle.

Puissance de la caricature ! En Grande Bretagne, les noces royales ont été vécues dans la joie : joie d’un long week-end de trois jours allongé d’une journée pour l’occasion ; joie d’un cérémonial parfaitement orchestré dans ses moindres détails ; joie des vêtements somptueux, des fanfares, des couleurs, des carrosses ; joie trouble du jeu des célébrités et des stars. Ce que Martin Rowson nous dit, c’est qu’il s’agit d’un spectacle, conçu et réalisé par et pour la télévision. Ce spectacle parle aux gens parce qu’il s’enracine dans une tradition qui résonne dans leur tendre enfance, parce qu’un mariage de jeunes qui semblent s’aimer d’amour est émouvant, parce qu’il fait rêver d’une autre vie. En ce sens, les noces royales sont connectées avec la vie des gens. Mais elles sont d’abord et avant tout une production médiatique.

Illustration : The Guardian, caricature de Martine Rowson, The Guardian, 30 avril 2011.

A Single Man

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Le premier film de Tom Ford, venu du monde de la mode, nous raconte la dernière journée d’un homme accablé par la mort accidentelle de son compagnon.

Los Angeles, 1962. Le Professeur George Falconer vit seul dans la grande maison projetée et construite par Tim, un jeune architecte qui a partagé sa vie pendant seize ans. Ecrasé par le désespoir, il a décidé que cette journée serait la dernière. Il l’a organisée dans les moindres détails : le dernier cours qu’il dispensera à l’Université et son plaidoyer pour les droits des minorités, le rangement de son bureau, l’achat de balles pour son revolver, le passage au coffre de la banque pour retirer de l’argent pour sa gouvernante, un message pour son unique amie, Charley (Julianne Moore), les vêtements impeccables dont il faudra le vêtir pour sa mise en terre.

Le suicide de George semble sous contrôle. Les horloges marquent le compte à rebours. Mais la vie s’acharne à lui faire signe : la bouche sensuelle d’une étudiante fumant une cigarette, un fox terrier affectueux, une petite fille habillée d’une robe d’un vert éclatant, un jeune prostitué au beau visage, et aussi son amie Charley qui lui dit combien, effroyablement seule, elle a besoin de lui… Il y a surtout Kenny, l’un de ses étudiants, qui comprend que George est en danger, et aussi qu’il s’agit d’un homme singulier qu’il lui faut d’urgence rencontrer.

La dernière journée de George Falconer sera bien la dernière. Mais il ne se donnera pas la mort. Il accueillera la vie.

Le film de Tom Ford est esthétiquement parfait, de la photo à la bande sonore. Il est aussi émouvant grâce à l’extraordinaire interprétation des acteurs, en particulier Colin Firth. L’ombre de « Mort à Venise » n’est pas loin.

Photo du film « A Single Man ».

Le Premier Fugueur

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Le Musée d’Art Contemporain de Bordeaux (CAPC) vient de présenter une exposition intitulée « le premier fugueur » de Johann Furåker, artiste né en 1978 qui vit à Malmö, en Suède.

Le CAPC occupe l’entrepôt Lainé, immense bâtisse de pierre de taille et de briques construit en 1824 dans le quartier bordelais des Chartrons pour stocker des marchandises du commerce colonial. Parmi les expositions actuellement présentées, celle de Johan Furåker est particulièrement intéressante.

Le « premier fugueur » est un bordelais, Albert Dadas. En 1887, il est hospitalisé dans un hôpital de sa ville. Il dit au psychiatre qu’il revient d’un long voyage et qu’il n’a qu’un désir, celui de repartir. Sous hypnose, il raconte que son voyage a duré un an, qu’il « parcourait parfois jusqu’à soixante kilomètres à pied en une journée, qu’il était allé du sud de la France à Moscou en passant par l’Autriche, la Turquie ou l’Algérie notamment, qu’il égarait ses papiers d’identité et pouvait ainsi errer dans une amnésie identitaire pour passer « librement » d’une détention à l’autre, d’un train à l’autre », dit le catalogue de l’exposition. « Albert Dadas est d’abord un fugueur. L’étude de son cas fait de lui un « touriste pathologique ». C’est le premier. Cette manière incontrôlable et obsessionnelle de voyager sans but apparent et avec des trous de mémoire quasi-insondables, est à l’origine de la fascination qu’exerce son histoire sur Johan Furåker. »

Furåker suit les traces de Dadas, dont le portrait, regard dans le vague, scande le parcours de l’exposition. Il utilise plusieurs techniques, de l’aquarelle à la peinture à l’huile, et s’inspire de plusieurs styles, d’un hyperréalisme presque photographique à des œuvres abstraites évoquant la confusion mentale du « touriste pathologique ». Les œuvres les plus remarquables sont des sites urbains baignés dans une couleur improbable, dont certains éléments sont peints dans un extrême détail, pendant que d’autres sont laissés opaques. Un tableau évoque ainsi la gare de Nice. Tout semble net comme dans une photographie. Mais les voitures taxi attelées sur le parvis de la gare sont dénuées de portes et de fenêtres, noires comme des corbillards.

Les sites visités par Dadas nous apparaissent comme en rêve, parfois identifiables mais pas toujours, souvent associés à des images de machines, l’autre grande obsession du dix-neuvième siècle, qui industrialisa le mouvement et inventa la mobilité de masse.

Illustration : Gare de Nice en 1890, Johan Furåker 2008. (www.johanfuraker.com)