Helen Mirren, trésor national

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Dans le quotidien The Guardian du 4 mars 2011, Ryan Gilbey interview Helen Mirren, actrice qui, âgée maintenant de 65 ans, fait figure de trésor national en Grande Bretagne.

« Je suis plus âgée, maintenant, dit Helen Mirren. Il y a un moment épouvantable quand on découvre qu’on n’est plus la personne la plus jeune dans la salle. Particulièrement si, jeune, on a connu le succès. Et par la suite bien sûr, on réalise qu’on se trouve la personne la plus âgée dans la salle ! (…) Cela fait partie du déroulement normal de la vie. Quand on est jeune, on se demande ce que les vieux radotent quand ils s’efforcent de partager leur sagesse. Cela n’a pas de sens parce qu’être jeune, c’est quelque chose de vraiment spécifique. Dieu merci pour cela. Dieu merci pour les jeunes qui vont manifester contre le capitalisme rampant ou toute autre cause. »

Helen Mirren avoue son admiration pour Gérard Depardieu. Il dit un jour quelque chose qui changea la façon dont elle ressent le jeu d’acteur. Interrogé sur la manière dont il approche un rôle, Depardieu répondit : « je regarde le scénario. S’il dit « gangster », je joue un gangster ; s’il dit « épicier », je joue un épicier ». Mirren claque des mains. « Une lumière s’alluma dans mon cerveau. Je me dis « c’est cela, il suffit de jouer ce qui est dans le scénario ». J’ai appliqué cela depuis lors. Si le scénario dit « femme bouleversée, en colère, sort du lit sans maquillage », c’est cela que je joue. Je n’embrouille pas tout avec « quelle est l’histoire cachée de cette femme ? »

Dame Helen Mirren est marquée par son rôle dans « The Queen », qui lui valut  un Oscar. Quand elle joue une assassine retraitée dans le récent film d’action Red, ce n’est pas simplement Mirren qui sort un revolver de sous un bouquet de roses jaunes ou annonce allègrement « je tue des gens, mon cher » : c’est Sa Majesté qui le fait, aussi, remarque Ryan Gilbey.

Photo The Guardian : Helen Mirren

Abraham Lincoln, saint ou pécheur

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La chaîne de télévision britannique BBC4 vient de programmer un documentaire sur la personnalité d’Abraham Lincoln : « Abraham Lincoln, saint or sinner ? ».  Il fournit un éclairage intéressant sur un moment clé de l’histoire des Etats-Unis.

Abraham Lincoln (1809 – 1865) est vénéré comme un demi-dieu aux Etats-Unis, l’émancipateur des esclaves, le père de la nation. Le candidat Barak Obama s’est souvent référé à lui pendant sa campagne pour l’élection présidentielle.

Le documentaire diffusé par BBC4 s’interroge sur la véritable personnalité de Lincoln. Des nostalgiques des Etats Confédérés lui reprochent sa brutalité dans l’écrasement de la sécession ; des historiens rappellent qu’il était convaincu de l’inégalité des races et que s’il souhaitait la disparition de l’esclavage pour des raisons économiques, il était aussi partisan de déporter les noirs dans des colonies hors des Etats-Unis ; ils lui reprochent aussi le non respect des engagements pris à l’égard des Sioux et  la répression féroce qui suivit leur révolte.

La référence aux Sioux donne une clé de la guerre de Sécession. Au milieu du dix-neuvième siècle, c’est la ruée vers l’ouest. Les émigrés arrivés dans la Nouvelle Angleterre rêvent d’acquérir une terre qu’ils puissent cultiver ; les grands propriétaires du sud ont le projet de constituer de grands domaines où ils feront travailler la main d’œuvre gratuite dont ils disposent, les esclaves. Les deux modèles sont antagonistes : l’agriculture familiale ne peut survivre si elle fait face à la concurrence de grandes exploitations esclavagistes.

Le Parti Républicain et Lincoln s’accommodent très bien de l’esclavage tant qu’il est cantonné au Sud. Ils sont en effet convaincus de l’inégalité des races, et ne voient pas d’objection à ce que les noirs soient relégués à un statut inférieur. Mais ils s’opposent à sa généralisation au Nord et son exportation à l’Ouest du continent américain pour des raisons économiques : l’esclavage fausse la concurrence.

Les Etats du Sud font sécession et créent une Confédération. La guerre qu’ils déclenchent en 1861 tourne mal pour l’Union. En tant que Commandant en Chef, Lincoln a une idée géniale : proclamer l’émancipation des esclaves. Cette manœuvre militaire a des résultats inespérés. Au sud, l’économie est désorganisée ; des milliers de noirs rejoignent l’armée Unioniste. En 1865, l’armée confédérée capitule. Lincoln est étonné par la vaillance de ses soldats noirs ; ses préjugés racistes se fissurent.

Lincoln mourut assassiné quelques mois après la capitulation des sécessionnistes, un vendredi saint : tout se conjuguait pour le faire accéder au statut de Saint. Le documentaire de BBC4 montre qu’il ne fut pas un saint, mais un homme conditionné par les préjugés de son temps qui, confronté à des circonstances exceptionnelles, sut prendre des décisions courageuses et accepter de réviser des idées reçues.

Cent ans après la déclaration d’émancipation, Martin Luther King prononça son fameux discours « I had a dream ». Le début du discours est peu connu. Il dit qu’en 1863 le gouvernement américain tira un chèque au bénéfice de ses citoyens esclaves, mais qu’il se révéla sans provision. Il réclama que la dette soit, enfin, payée.

Illustration : photo d’Abraham Lincoln.

Madame Butterfly au Royal Albert Hall

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Le Royal Albert Hall de Londres met actuellement en scène Madame Butterfly, l’opéra de Puccini.

Le spectacle restera à l’affiche pendant trois semaines, ce qui implique une capacité d’environ 80.000 spectateurs. C’est une superproduction, jouée en anglais comme il se doit, ave le Royal Philarmonic Orchestra et des chanteurs exceptionnels.

On connait le fil directeur de Madame Butterfly. Dans le port de Nagasaki, point de contact entre le Japon et l’Occident au début du vingtième siècle, la jeune geisha Cio-Cio San renie la religion de ses ancêtres et épouse l’officier américain Pinkerton. Pour elle, c’est la promesse de créer une famille et de grimper dans l’échelle sociale ; pour lui, c’est le moyen de rendre confortable son court séjour au Japon. Lorsqu’il revient après trois ans d’absence, elle lui présente leur jeune fils, Chagrin ; il lui présente sa jeune épouse américaine. Pinkerton emmène avec lui le petit garçon pour lui donner un meilleur avenir. Cio-Cio, trahie et désespérée, se fait hara-kiri.

Jouer de l’opéra dans l’immense espace du Royal Albert Hall avec une excellente qualité acoustique est un exploit. L’ingénieur du son Bobby Aitken l’a réussi.

Il faut ensuite occuper cet espace atypique, totalement circulaire. Le designer David Roger a eu l’idée de construire une structure qui évoque une maison japonaise, avec en son centre le lit de Cio-Cio et Pinkerton. La maison est entourée d’un lac, qui s’assèche pour devenir jardin japonais après le premier acte et l’entracte. On y accède par des passerelles sur lesquelles se déroulent plusieurs scènes du drame. Les acteurs sont environnés par le public, mais ils en sont en même temps séparés, ce qui manifeste la distance d’époque et de civilisation.

Illustration : Madam Butterfly, spectacle mis en scène au Royal Albert Hall par David Freeman, jusqu’au 13 mars 2011.

Les Petits Mouchoirs

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Les Petits Mouchoirs, film de Guillaume Canet, a connu un grand succès d’audience, mais son accueil par la critique a été contrasté.

Chaque année, Max et son épouse Véro invitent dans leur maison du Cap Ferret un groupe d’amis pour quelques semaines de vacances. Quelques jours avant le départ, l’un d’entre eux, Ludo, est victime d’un grave accident de moto et gît à l’hôpital pratiquement inconscient dans une unité de sons intensifs. Les amis décident de partir malgré tout.

Max (François Cluzet) est le plus âgé de la bande, celui qui a réussi, celui qui possède un hors-bord et qui règle les additions. C’est aussi un angoissé, un tyran qui se fait tout petit quand sa femme lui tient tête. Vincent (Benoît Magimel), kinésithérapeute marié et père d’un petit garçon, se découvre homosexuel, amoureux de Max que cette révélation exaspère au-delà de toute mesure. Antoine et Eric viennent tous deux d’être plaqués par leur compagne et amènent dans le groupe leur obsession et leur souffrance. Et puis il y a Marie (Marion Cotillard), cinéaste amoureuse de l’Amazonie, qui a vécu autrefois avec Ludo une relation longue et tumultueuse et qui d’amante en amant cherche encore la vraie vie.

Les critiques s’accordent à reconnaître une parenté entre « Les Petits Mouchoirs » (2010) et « Vincent, François, Paul et les autres » de Claude Sautet (1974). Tous deux captent l’esprit d’une génération. Mais certains regrettent la longueur du film et ce qu’ils qualifient de vacuité. Un bon exemple est Thomas Ferenczi dans Télérama : « l’étanchéité du groupe au monde réel est symbolisée par une image fugitive, et ici incongrue : Marion Cotillard dépliant maladroitement Le Monde. C’est vrai, pourquoi un journal, un livre, pourquoi une conversation intéressante en vacances, alors qu’il y a la bouffe et le ski nautique ? On ignore si Les Petits Mouchoirs est un film générationnel. Si c’est le cas, on est – pour une fois – heureux de ne plus faire partie de cette génération-là… »

J’ai aimé Les Petits Mouchoirs. Les personnages sont tous fragiles, et fragilisés encore plus par l’accident de Ludo, qui se trouve entre la vie et la mort. Ils s’agrippent les uns aux autres, comme dans la dernière scène où ils font face au trou dans lequel Ludo est inhumé. Ils se haïssent par moment, ils se déchirent, mais ils doivent se pardonner à la fin parce que la roue de la vie et de la mort est inexorable. Il est vrai que les personnages sont superficiels, emportés par la vie comme des fétus de paille. Mais leur souffrance lorsque les vagues de la vie les écrasent et les font suffoquer, leur volonté de s’en sortir envers et contre tout, leur simple instinct de survie, tout cela les grandit.

Jean-Louis, l’ostréiculteur ami de Max, sous le coup de la nouvelle du décès de Ludo, reproche à ses amis de se mentir entre eux et à eux-mêmes. Ils ont mis des petits mouchoirs sur des réalités qu’ils ne veulent pas voir. Deux personnages, au moins, sont lucides. Lorsque, face au groupe, Max traite Vincent de pédé, celui-ci affronte la situation et parle à son petit garçon. Lorsque l’amant de Marie, un chanteur, séduit le groupe d’amis, celle-ci comprend qu’il n’est pas l’homme de sa vie et a le courage de rompre. Le jeu d’acteurs de Marion Cotillard et Benoît Magimel est remarquable.

Photo du film « Les Petits Mouchoirs » de Guillaume Canet : Marion Cotillard et François Cluzet.