Inside Job

110224_inside_job2.1298580252.jpg

Inside Job, le film documentaire de Charles Ferguson auquel Matt Damon prête sa voix, est actuellement projeté sur les écrans londoniens. C’est un réquisitoire contre l’irresponsabilité des banques et des pouvoirs publics américains avant la crise financière et, malheureusement, aussi après.

La dérégulation du système financier, initiée par Ronald Reagan et poursuivie avec enthousiasme par les présidents Bush, Clinton et Bush sous la supervision complaisante du Gouverneur de la Fed Alan Greenspan, a mené le monde au désastre de la crise financière de 2008.

Au long des années 2000, les crédits se sont mis à représenter un multiple de plus en plus élevé des dépôts des banques. Saucissonnés et réassemblés en instruments financiers composites regroupant plusieurs classes de risques dans plusieurs pays, labellisés par les agences de rating, ces crédits étaient revendus à des investisseurs. Ceux-ci, à leur tour, pouvaient se protéger contre le risque inhérent à ces instruments par des contrats d’assurance, les « credit default swaps, » CDS. Dégagées du risque final, les banques consentaient des crédits à des débiteurs de moins en moins solvables, en particulier des crédits immobiliers « subprime » à des ménages incapables de rembourser. Le film montre une commission d’enquête du Congrès accusant les dirigeants de Morgan Stanley d’avoir encouragé ses clients à acheter des instruments financiers poubelle, tout en spéculant eux-mêmes sur leur probable fiasco : double profit pour la banque, et escroquerie caractérisée.

Inside Job est fondé sur des images d’archive tournées aux moments-clé de la crise, dont celles, fameuses, montrant les employés de Lehman Brothers emportant leurs effets personnels dans des cartons au matin de la faillite de la banque ; des images fortes, comme celles de lotissements neufs désertés de leurs propriétaires et envahis de mauvaises herbes ; des graphiques vertigineux ; et des interviews impressionnantes.

Beaucoup d’acteurs, pour ne pas dire coupables, de la crise financière, avaient prudemment refusé d’être interrogés. Ceux qui, par inconscience ou vanité, se sont prêtés au jeu, doivent amèrement le regretter. Les visages sont filmés en plan serré, sans coupure. L’interviewer pose sur un ton anodin des questions terriblement embarrassantes, par exemple la rémunération perçue par un professeur d’université pour rédiger un rapport vantant la stabilité du système financier islandais, quelques semaines avant qu’il ne succombe dans la faillite et le scandale. La caméra enregistre sans pitié le sang qui afflue, la gorge qui se noue, les silences, les rictus, les bégaiements.

Les deux interviewés français se tirent bien de cet exercice périlleux : Dominique Strauss-Kahn et Christine Lagarde, chacun de son côté, s’étonnent de l’absence de regrets de la part des banques par qui tant de souffrances sont arrivées.

Le film est sévère pour l’Administration Obama, dont les conseillers économiques viennent des banques et sont des partisans convaincus de la libéralisation financière : de quoi être inquiet pour l’avenir !

Photo du film « Inside Job » de Charles Ferguson.

Universal studios

110220_universal_studio1.1298217676.jpg

Revoir la « Nuit Américaine » de François Truffaut m’a donné envie de reproduire mes notes de visite au parc d’attraction d’Universal Studios à Los Angeles, en août 2005.

Nous commençons la visite du parc d’attractions d’Universal Studios par le tour des studios. Le guide est installé à l’avant de la première voiture du train touristique et fait face  au public, à un tableau de commandes et à une caméra. Dans les voitures, des écrans reproduisent son image ou des extraits de films tournés dans les lieux par lesquels passe le train. Le guide nous prévient que, depuis un siècle, le cinéma a pour objectif de nous proposer des émotions, peur, larmes et rire. La visite nous montre comment on fabrique l’illusion à la racine de ces émotions. Le mot « fabrique » est d’ailleurs pertinent : les hangars d’Universal, comme ceux de Warner ou de Disney que l’on voit à leurs côtés au fond de la vallée, tiennent plus de l’usine que de l’atelier d’artiste.

Le tour est organisé de manière magistrale. Le train traverse des villages européens en carton-plâtre et en plastique où n’existent que les façades. Sur la place d’un village latino-américain, on nous montre comment on fait pleuvoir et un torrent dévale la rue jusqu’à nous. Plus loin, nous sommes dans une station de métro ravagée par un tremblement de terre qui provoque accidents et incendie. Nous traversons un pont qui se brise, passons à côté d’un lac océan infesté de requins. La vue du « fake blood » (sang postiche) me fait hurler de rire. Plus impressionnant encore, le train s’arrête dans un paysage urbain dévasté par l’écrasement d’un avion ; dans la carcasse éventrée de l’appareil, on voit les sièges des passagers et des bagages éparpillés.

Certaines attractions sont directement liées au cinéma, comme celle où l’on présente les effets spéciaux, la version 3D de Terminator ou encore Backdraft, qui fait voir la machinerie qui permet de déclencher et de contrôler un incendie incontrôlable à l’écran. Les structures qui semblent s’effondrer sont actionnées au millimètre près par des vérins, tout comme la passerelle sur laquelle sont placés les spectateurs qui, au plus fort de l’incendie, reçoit elle-même une secousse pour leur plus grande épouvante.

D’autres attractions utilisent simplement l’ambiance et le canevas de films, mais le cinéma n’est qu’un prétexte. Le spectacle « Waterworld » est magnifiquement mis en scène. Des chauffeurs de salle créent l’enthousiasme et arrosent généreusement les spectateurs assis sur les bancs classés « mouillés », des bons et des méchants se livrent bataille à bord d’hydroglisseurs et un hydravion amerrit face au public. Nous expérimentons aussi « Mummy », un train fantôme à grande vitesse dans le tombeau des Pharaons. Il fait très chaud, mais les files d’attente sont en permanence aspergées de vapeur d’eau. Il y a une foule immense – on parle de 5 millions de visiteurs par an – mais encadrée et gérée de manière professionnelle.

Nous nous rendons sur Hollywood Boulevard, observons les empreintes des stars sur l’esplanade du Théâtre Chinois et cherchons l’étoile de Tom Hanks que nous découvrons après des centaines de mètres d’errance vaine à la recherche d’un restaurant. Nous finissons par reprendre la voiture et dîner dans un restaurant grec recommandé par le Guide du Routard : le Joseph’s.

Photo : Universal Studios, Hollywood, www.universalstudioshollywood.com

La Nuit Américaine

110220_nuit_americaine.1298197151.jpg

Deux cinémas londoniens programment actuellement « La Nuit Américaine » de François Truffaut 1973).

Nous nous rendons généralement au cinéma pour voir des nouveautés. Nous regardons les films anciens en DVD ou à la télévision, et « La Nuit Américaine » est certainement l’un des films les plus rediffusés sur les chaînes françaises. C’est donc avec un sentiment étrange que nous prenons place dans une salle du Odeon Panton Street Cinema de Londres pour voir ce film vieux de près de quarante ans avec un regard neuf.

La Nuit Américaine, Day for Night en anglais, est un film sur le tournage d’un film, « je vous présente Paméla ». Le personnage principal est à la fois le réalisateur du film et celui du film sur le film, François Truffaut lui-même.

Il nous parle du travail du réalisateur, soumis à la pression du producteur, menacé par toutes sortes d’impondérables, comme la défection d’un acteur vedette, accablé par mille questions de détail qui ensemble feront le succès ou l’échec du film, travaillant la nuit à réécrire le scénario.

Il nous montre le tournage selon un planning qui ne doit rien à la progression de l’intrigue une fois le film monté, mais tout à la disponibilité des comédiens, de l’équipe technique et du matériel. Il insiste sur la répétition jusqu’à l’épuisement de la même scène. « Cette prise est parfaite » dit l’opérateur ; « recommençons ! » rétorque le réalisateur ».

Il nous fait voir les trucages du cinéma, les façades en carton plâtre, la pluie émise par des tuyaux percés, la neige en mousse, les figurants sortant d’une station de métro virtuelle selon des ordres donnés par haut parleur. Truffaut exprime dans le film la conviction que l’époque des films tournés en studio s’achevait avec lui. L’avenir lui a donné tort.

La Nuit Américaine constitue aussi un hommage au métier des comédiens. Les personnages principaux de « je vous présente Paméla » sont fragiles. Julie (Jacqueline Bisset) a quitté le précédent tournage pour cause de dépression ; Alphonse (Jean-Pierre Léaud) est un être immature dont les relations féminines tournent à la catastrophe ; Séverine est alcoolique, Alexandre mourra pendant le tournage d’un accident  de voiture. Lâché par sa petite amie du moment, Alphonse menace de tout laisser tomber. « Je sais, il y a la vie privée, mais la vie privée, elle est boiteuse pour tout le monde, lui dit Ferrand / Truffaut. Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse. Il n’y a pas d’embouteillages dans les films, il n’y a pas de temps morts. Les films avancent comme des trains, tu comprends ? Comme des trains dans la nuit. Les gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est fait pour être heureux dans le travail de cinéma ».

Parfois, la vie privée et le film se rejoignent. Trahie par Alphonse, Julie dit son amertume et son désespoir à Ferrand. Le lendemain, la réplique est dans la bouche de Paméla, le personnage qu’elle joue dans le film.

Photo du film « La Nuit Américaine » : Jean-Pierre Léaud, Jacqueline Bisset et François Truffaut.

Great Expectations

110219_great_expectations.1298110060.jpg

Le Place Theatre de Watford met en scène jusqu’au 12 mars une adaptation du roman « Great expectations » (les grandes espérances) de Charles Dickens.

Tanika Gupta transpose le roman de Dickens dans l’Inde de la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Grimper dans la hiérarchie sociale ne signifie pas seulement quitter la condition de prolétaire pour devenir un gentleman ; c’est abandonner la culture indienne pour embrasser celle de l’Angleterre.

Pip, fils adoptif d’un forgeron, vit un amour impossible pour Estella, elle-même fille adoptive d’une femme riche, Miss Havisham. Pour la conquérir, il rêve de changer de vie et de devenir un gentleman anglais. Un mystérieux bienfaiteur lui offre la possibilité de venir à Calcutta, capitale de l’Empire et d’y apprendre les bonnes manières ; il lui donne de grandes espérances, c’est-à-dire la promesse d’un riche héritage.

Ce n’est pas seulement la différence de classe qui rend Estella inaccessible. Miss Havisham, l’une des plus grandes créations de Dickens, l’a éduquée dans la haine des hommes. Elle se venge ainsi de l’homme qui, au jour de l’épouser, l’a plaquée. Miss Havisham vit depuis ce jour recluse dans une maison où la lumière du jour ne pénètre pas, où les horloges sont arrêtées et où elle vit éternellement vêtue de sa vieille robe de mariée. Elle a infusé de la glace dans le cœur d’Estella qui déchire le cœur de Pip avec cruauté.

Quel est le bienfaiteur de Pip ? Il croit longtemps que c’est Miss Havisham. C’est en réalité Abel Magwitch, un bagnard dont, à son corps défendant, il avait aidé l’évasion lorsqu’il était encore enfant. Comme Jean Valjean, Magwitch est un homme aussi généreux et sensible qu’il est révolté. Il apprendra de la bouche de Pip qu’Estella est la fille qu’il a perdue lorsque, à l’âge de 3 ans, elle fut confiée à Miss Havisham.

Il n’y a pas de « happy end » dans Great Expectations. Pip ne recevra pas l’héritage de Magwitch, criminel condamné dont la fortune revient à la Couronne. Il n’épousera pas Estella, liée par un mariage malheureux. Il n’épousera pas non plus Biddy, la fille du village dont il se rend compte trop tard qu’elle aurait pu être la femme de sa vie. Mais il y a une promesse de bonheur dans le pardon que demandent Miss Havisham et Estella, dans la mort de Magwitch dans les bras de Pip, dans l’amitié solide nouée par Pip avec Herbert Pocket, un jeune homme d’affaires anglais, malgré les barrières de classe et de culture.

On dit que le personnage de Pip a influencé le mime Marceau pour le choix de son propre personnage, Bip. Il est vrai que Pip semble bousculé et comme stupéfié par un destin qui le dépasse, mais que sa volonté de mener malgré tous les chagrins sa propre vie est profondément émouvante, comme Bip, le clown muet de Marcel Marceau.

Photo de la pièce « Great Expectations » : Lynne Farleigh dans le rôle de Miss Havisham. Jude Akuwudike (Abel Magwitch), Tariq Jordan (Pip) et Tony Jayawardena (le forgeron Joe Gargery) donnent à leurs personnages une grande profondeur.