Un village dans l’histoire d’Angleterre

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La chaîne culturelle britannique de télévision BBC4 vient de présenter la sixième et dernière émission d’une série consacrée à l’histoire d’un village des Midlands près de Leicester. 

La première de ces émissions était consacrée aux traces de l’histoire ancienne de Kibworth, près de Leicester, qui témoignent du passage et de l’assimilation des envahisseurs successifs, romains, anglo-saxons, vikings, normands. La dernière couvre la période qui s’étend du début du règne de la Reine Victoria (1830) jusqu’à aujourd’hui et est marquée par l’arrivée du chemin de fer, deux guerres, le suffrage universel et la diversité ethnique.

Ce documentaire répond au lois du genre en Angleterre : une personnalité charismatique, Michael Wood, nous prend par la main et nous fait partager ses curiosités et ses émerveillements. Mais ici, notre guide prend soin de s’effacer derrière la population du village. Il est en effet convaincu, comme autrefois Michel Clévenot avec ses Hommes de la Fraternité, que l’histoire se fait par le peuple, du bas en haut, autant sinon plus qu’elle est imposée du haut en bas par les rois et les armées.

Le projet Kibworth a mobilisé pendant une année entière toute la population de ce village de quelque six mille habitants. Dans la première émission, on voyait des habitants forer des trous dans leur jardin et y exhumer des vestiges qu’interprétaient des archéologues, et d’autres se prêter à des tests ADN prouvant que leurs ancêtres étaient vikings. Dans la dernière, ils reconstituent en costumes une école primaire victorienne et un concert à un penny ; une classe se rend sur les sites des batailles de la Somme et retrouve, sur les tombes du cimetière militaire, des noms de jeunes du village tombés pendant la Grande Guerre ; des retraités se rendent aux archives régionales et mettent au jour des documents qui éclairent la manière de vivre de leurs ancêtres il y a un siècle.

Photo BBC4 : Michael Wood. Pour voir l’émission : http://www.bbc.co.uk/iplayer/episode/b00vjmms/Michael_Woods_Story_of_England_Victoria_to_the_Present_Day/

Les joueurs de cartes

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La Collection Courtauld de Londres présente jusqu’au 16 janvier 2011 une exposition consacrée au tableau de Cézanne, les joueurs de cartes.

La Collection Courtauld est l’un des musées les plus chaleureux et intéressants de Londres. Il est installé dans Somerset House, un palais du dix-huitième siècle en aplomb de la Tamise, sur la terrasse duquel il fait bon déguster un thé au soleil d’automne. Il rassemble des toiles et des sculptures de diverses époques, mais avec une forte prédominance de la peinture française du dix-neuvième siècle. On y admire en particulier des œuvres de Manet (en particulier le magnifique Bar aux Folies Bergères), Degas, Gauguin, Van Gogh ou Cézanne.

Les expositions temporaires ne sont pas séparées de la collection permanente. Elles occupent l’une des salles, et on y accède avec le même ticket. Le musée possède l’une des trois toiles « Les joueurs de cartes » peintes par Cézanne vers 1890. Il a obtenu de plusieurs musées internationaux le prêt de tableaux ou d’esquisses préparatoires. La table des joueurs ainsi que le miroir derrière eux laissent une impression de flottement et d’irréalité. Les personnages pourtant sont si concentrés que le tableau frappe par sa force. Hommes de la terre, ils semblent enracinés pour toujours.

Illustration : les joueurs de cartes de Paul Cézanne, Courtauld Collection.

Victor Hugo pendant l’exil

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« Transhumances » a rendu compte il y a un an du tome 1 de la biographie de Victor Hugo par Jean-Marc Hovasse. Le tome 2 (Fayard, 2008) couvre une partie de la période d’exil, entre 1851 et 1864.

A la fin du tome 1, nous avions laissé Victor Hugo s’enfuyant en train de la France vers la Belgique déguisé en ouvrier. Il s’était opposé au coup de force de Louis Napoléon Bonaparte. D’innombrables républicains avaient été tués ou envoyés au bagne. A Bruxelles, il retrouve la communauté des proscrits, mais ce premier lieu d’exil n’est pas sûr. Il s’installe à Jersey de 1852 à 1855 puis dans l’île plus accueillante de Guernesey. En 1860, il refuse l’amnistie des proscrits.

Dans l’intervalle, sa production intellectuelle est incroyablement dense, de Napoléon Le Petit à William Shakespeare en passant par les Contemplations, la Légende des Siècles, les Misérables et un grand nombre d’articles, de manifestes (en particulier contre la peine de mort), de discours. Sa correspondance est considérable.

En exil, Victor Hugo reconstitue sa cellule familiale : sa femme Adèle ; son fils Charles, passionné par des innovations telles que le spiritisme et la photographie, aspirant écrivain au maigre talent ; son autre fils François Victor, qui mène à bien une monumentale traduction de Shakespeare ; sa fille Adèle, solitaire, renfermée, musicienne, psychologiquement déséquilibrée ; Auguste Vacquerie, le beau-frère de la fille disparue, Léopoldine ; et, dans le même pâté de maisons, la maîtresse, Juliette Drouet, celle qui avait sauvé sa vie dans les heures dramatiques de décembre 1851. Autour de la famille, partageant l’exil, à Bruxelles ou à Paris, des camarades, des amis ou des éditeurs. Tous sont puissamment attirés par le magnétisme du maître de maison ; tous, sauf Juliette, ont besoin d’air et aspirent à s’éloigner, de son bon gré ou malgré lui.

Il déploie une énergie phénoménale, que ce soit dans la rédaction de ses poèmes et de son roman, dans la relecture des épreuves, dans la négociation de ses contrats d’édition, dans l’action militante, dans la peinture, dans ses voyages au Benelux et en Rhénanie, dans la décoration pièce par pièce d’Hauteville House, la maison qu’il a achetée à Guernesey, comme dans la séduction des jeunes domestiques de la famille.

A Jersey, la famille Hugo pratique assidument les tables tournantes : des esprits s’invitent parmi eux et font connaître leurs pensées en frappant. Peu à peu, Victor Hugo crée sa propre philosophie et sa propre religion, fondées sur l’idée que les objets, les plantes, les animaux et les humains sont habités d’un esprit immortel. Certains esprits ont un degré de conscience plus élevé et dialoguent entre eux au-delà des siècles : Victor Hugo se sait l’égal d’Eschyle, Isaïe, Dante, Michel-Ange et naturellement Shakespeare, ce qui ne manque pas de provoquer la raillerie de ses ennemis.

« Il faut détruire toutes les religions afin de reconstruire Dieu. J’entends : le reconstruire dans l’homme. Dieu, c’est la vérité, c’es la justice, c’est la bonté. C’est le droit et c’est l’amour ; c’est pour lui que je souffre, c’est pour lui que vous luttez » (lettre à Auguste Nefftzer). « J’ai la foi que c’est dans l’infini qu’est le grand rendez-vous. Je vous y retrouverai sublimes et vous m’y reverrez meilleur (…) La vie n’est qu’une occasion de rencontre ; c’est après la vie qu’est la jonction » (Préface de mes œuvres et post-scriptum de ma vie).

Le livre de Jean-Marc Hovasse est une œuvre scientifique : plus de 350 pages de notes critiques sur les presque 1400 pages du livre. Pourtant, il se lit comme un roman. Le lecteur devra patienter pour le tome 3, annoncé pour le bicentenaire de Waterloo en 2015 !

Couverture de la biographie de Victor Hugo par Jean-Marc Hovasse.

Danser la ville

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Le Palace Theatre de Watford vient de présenter deux créations de la compagnie de danse Shobana Jeyasingh : Bruise blood (hématomes) et Faultline (faille). Elles nous parlent d’antagonismes et de coopérations dans les villes modernes.

Le Palace Theatre recrute généralement son public dans le troisième âge. Ce soir, les adolescents et les jeunes adultes sont en majorité, certains venus en cars spéciaux. Dans le monde de la danse britannique, la compagnie de Shobana Jeyasingh est connue pour sa créativité et sa capacité à exprimer l’air du temps. Elle se présente elle-même ainsi : « la chorégraphie de Shobana Jeyasingh traite de la manière dont nous vivons aujourd’hui. Elle reflète une société dans laquelle l’identité culturelle, le changement technologique et l’effacement des frontières traditionnelles sont des thèmes dominants dans les vies de tous les jours ».

Les huit danseurs évoluent sur des musiques originales. Le rythme est trépidant, comme celui d’une grande ville européenne emplie d’une population cosmopolite sans cesse en mouvement.  Les personnages se cognent les uns aux autres, s’évitent, se rencontrent dans des mouvements où la force de l’un et de l’autre se conjuguent dans une harmonie qui défie la pesanteur.

Les tenues de scène mettent en évidence la féminité et la masculinité des corps. Il n’y a pourtant pas de recherche sur le couple et l’attraction sexuelle. Les danseurs des deux sexes jouent la même partition. Il arrive que les danseuses portent leurs partenaires hommes.

La troupe, dirigée par Shobana Jeyasingh, née à Chennai en Inde et vivant à Londres, est internationale. Les danseurs sont d’origine britannique, espagnole, finlandaise, italienne ou vietnamienne. Ses membres sont des athlètes, capables d’imprimer à leur corps des postures et des mouvements esthétiquement superbes.

Photo : Shobana Jeyasingh Dance Company, www.shobahajeyasingh.co.uk