Eve

 

Depuis quelques semaines, je suis plongé dans le deuxième tome de la biographie de Victor Hugo par Jean-Marc Hovasse. Il n’en sortira un article pour « transhumances » que vers la mi-octobre, après plus de 900 pages lues et dégustées… Je ne résiste pas au plaisir de citer ce poème de La Légende des Siècles, à l’opposé du concept de péché originel.

Chair de la femme ! argile idéale ! ô merveille !

O pénétration sublime de l’esprit

Dans le limon que l’Etre ineffable pétrit !

Matière où l’âme brille à travers son suaire !

Boue où l’on voit les doigts du divin statuaire !

Fange auguste appelant le baiser et le cœur,

Si sainte, qu’on ne sait, tant l’amour est vainqueur,

Tant l’âme est vers ce lit mystérieux poussée,

Si cette volupté n’est pas une pensée,

Et qu’on ne peut, à l’heure où les sens sont en feu,

Etreindre la beauté sans croire embrasser Dieu

Illustration : statuette de femme aux bras pliés, Grèce, Cyclades, 2700 – 2400 avant JC. Sainsbury Centre of Visual Arts, Norwich.

La montre de Von Ribbentrop

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Le Palace Theatre de Watford donne « Von Ribbentrop’s watch », une comédie légère et sérieuse qui touche au sujet de l’identité juive aujourd’hui.

La pièce « Von Ribbentrop’s watch », produite par Oxford Playhouse en association avec Watford Palace Theatre, a été initialement diffusée par la chaine de radio BBC4 en 2008. Elle a été écrite par Laurence Marks et Maurice Gran, connus pour leurs « sitcoms » à la télévision. Brigid Larmour, directrice artistique du théâtre de Watford, s’est chargée de cette première mise en scène.

La pièce commence sur le registre de la sitcom, avec le classique antagonisme entre la belle fille Ruth (Gwyneth Strong) et sa belle mère Mrs Roth (Barbara Young), qui se heurtent sur des détails infimes de la vie quotidienne. La famille Roth, Mrs Roth, ses deux fils Gerald et David, Ruth, la femme de Gerald, et Saha leur fille, se prépare à célébrer ensemble la Pâque juive. Du fait de la crise économique, le négoce de vins de Gerald périclite. Lorsque Sasha annonce son intention de se marier à son cousin Simon, fils de David, une dépense imprévue s’annonce au pire moment.

A l’occasion d’une révision de la montre qu’il a héritée de son père, Gerald apprend qu’elle est gravée au nom de Joaquim Von Ribbentrop, le ministre des Affaires Etrangères d’Hitler, l’un des pendus de Nuremberg. Un expert l’a évaluée à plusieurs dizaines de milliers de livres. Des collectionneurs, nostalgiques du nazisme inclus, se l’arracheraient à prix d’or : de quoi remettre les affaires de Gerald sur pied et offrir des noces somptueuses à Sasha ! 

Ruth est une convertie. Mrs Roth ne l’a jamais vraiment considérée comme juive, et l’a toujours psychologiquement exclue de la famille. C’est pourtant une vraie croyante. Elle a appris l’hébreu et s’investit totalement dans la célébration du rite de la Pâque, introduit par la question « pourquoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres nuits ? » Elle s’oppose violemment à Gerald pour vouloir sauver la situation de la famille avec l’argent des nazis. Le dîner tourne au désastre. Resté seul au salon avec une balayette pour ramasser les débris de vaisselle, Gerald reçoit la visite du spectre de Von Ribbentrop en personne : n’ont-ils pas tant de chose en commun ? Ribbentrop, lui aussi, avait été négociant en vin et avait épousé une héritière… Gerald doute : qui est plus juif, lui qui a hérité du judaïsme, ou Ruth qui s’efforce chaque jour de l’épouser ? A quoi tient-il le plus au monde, au confort de l’argent ou à l’amour de son épouse ?

Et comment la montre de Von Ribbentrop est-elle entrée dans la famille Roth ?

Affiche de la pièce « Von Ribbentrop’s watch ». Après Watford, la pièce sera représentée à Richmond du 5 au 9 octobre et à Salisbury du 12 au 16 octobre.

Gainsbourg, Vie Héroïque

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Le premier film de Joann Sfar présente une biographie de Serge Gainsbourg largement inspirée de l’univers de la bande dessinée.

Jusqu’à sa rencontre avec Jane Birkin, Serge (joué par Eric Elmosnino) est accompagné par un double : un gros bonhomme protecteur pendant son enfance de juif russe à Paris sous l’occupation nazie, un personnage dégingandé avec un nez énorme et des doigts immenses lorsque, peintre puis chanteur, il fréquente les caves de Saint Germain des prés, affamé de célébrité et de femmes, saoulé d’alcools et de vapeurs de tabac.

La protection de son double donne à Serge enfant (magnifiquement interprété par Kacey Mottet) un incroyable culot : il revendique le port de l’étoile jaune comme une décoration, il séduit (déjà !) une modèle de l’académie de peinture qu’il fréquente. Le double de Serge devenu adulte le pousse à franchir le pas, quand il s’agit de se faire remarquer de Boris Vian, d’entrer dans l’intimité de Juliette Gréco et surtout, de vivre une relation d’érotisme exacerbé avec Brigitte Bardot (Laetitia Casta, superbe).

Le film est conçu comme une série de planches de bandes dessinées à différentes périodes de la « vie héroïque » du chanteur, chacune totalement imprégnée du parfum, du corps et de l’esprit d’une femme, chacune féconde de chansons immortelles.

Photo du film Serge Gainsbourg, Vie Héroïque.

Corps et Esprit

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La troupe Alvin Ailey American Dance Theater est actuellement en tournée au Royaume Uni. Son spectacle est un magnifique hommage à la puissance spirituelle de la danse.

L’American Dance Theater a été crée en 1958 par Alvin Ailey (1931 – 1989). La troupe est dirigée depuis sa mort par Judith Jamison, qui devrait à son tour passer la main l’an prochain.

C’est précisément par « Hymn », une chorégraphie de Judith Jamison de 1993, que s’ouvre le spectacle. Les danseurs mettent en forme, en mouvement et en volume des textes d’Alvin et Judith qui célèbrent le corps comme expression de l’esprit humain. La seconde chorégraphie est une création par Christopher L. Huggins intitulée « Anointed » (Oint), avec une magnifique musique de Moby et Sean Clements et des costumes à dominante rouge qui renforcent la sensualité des corps des danseurs. La troisième est Révélations, une œuvre de 1960 d’Alvin Ailey sur des negro spirituals.

On est frappé par la diversité des danseurs. Tous sont athlétiques, mais ils sont grands ou petits, trapus ou élancés, noirs ou blancs. Ils sont invités à mettre dans la danse leur propre personnalité. Il n’y pas le corps d’un côté, l’esprit de l’autre. Il n’y a que le corps, et dans la vibration des corps en mouvement, l’esprit d’une personne, l’esprit d’une troupe, l’esprit de l’humanité tout entière.

Photo de la chorégraphie « Hymn ». La troupe est au Saddlers Wells de Londres jusqu’au 25 septembre, puis en tournée à Nottingham, Birmingham, Plymouth, Cardiff, Bedford, Edimbourg et Newcastle.