L’herbe poussera sur vos villes

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Le documentaire de Sophie Fiennes « over your cities grass will grow » a été présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes. Son objectif est de faire entrer le spectateur dans la compréhension de l’œuvre du sculpteur et peintre Anselm Kiefer.

Né en 1945, Anselm Kiefer a quitté l’Allemagne en 1993 pour s’installer dans une usine de soie désaffectée de Barjac dans le sud de la France.

Le film commence par une lente errance dans les souterrains de la ville absurde que l’artiste a créée comme matrice de sa propre production artistique. Il s’agit d’une véritable méditation, sans parole, accompagnée seulement par des œuvres du compositeur Gyorgi Ligeti. Puis, imperceptiblement, on passe de la matière inerte à la matière excavée, broyée, incendiée, fondue, brisée, hissée, exhibée dans ses meurtrissures par le travail de l’artiste et de ses assistants. Au centre du film, Anselm Kiefer explique sa conception de l’art comme une tentative pour mettre un ordre provisoire, toujours menacé de subversion par la vie qui monte : l’herbe poussera sur vos villes.

Curieusement, j’ai l’occasion de voir ce film le jour où les journaux annoncent la disparition du mathématicien Benoît Mandelbrot qui, avec sa théorie des fractales, tentait de trouver une cohérence dans des figures géométriques brisées telles que les côtes de la Bretagne ou un graphique de cours de bourse. C’est à une tâche semblable que s’attache Kiefer dans le domaine de l’art. La mer et la forêt, ses thèmes de prédilection, sont des univers de discontinuité. Le sculpteur y associe des livres. Soudain un sens est donné, mais toujours fragile et menacé.

Illustration : http://www.overyourcities.com/

Songs from a hotel bedroom

 

Le Place Theatre de Watford vient de donner une excellente comédie musicale, « songs from a hotel bedroom », chansons depuis une chambre d’hôtel.

Ecrite par la chorégraphe Kate Flatt, dont nous avions aimé Soul Play, et par Peter Rowe, cette comédie musicale basée sur des chansons de Kurt Weill, nous parle de l’amour passionné et des désamours déchirants d’une jeune artiste de cabaret française, Angélique, avec un parolier américain, Dan à New York en 1948. Angélique rêve de faire sa vie avec Dan ; celui-ci est emporté par le tourbillon du succès professionnel et ne peut offrir à sa belle que des nuits à l’hôtel.

La mise en scène est centrée sur trois groupes de personnes qui se mêlent et se décroisent : le couple d’amoureux ; un couple de danseurs de tango qui, gracieux et comme libéré de la pesanteur, souligne en contrepoint l’extrémité de leur passion et de leurs déchirements ; un orchestre de jazz. Le plateau est à certains moments séparé par deux rangées de rideaux que l’éclairage rend opaques ou diaphanes. Deux panneaux mobiles en avant-scène structurent l’espace, comme lorsque Angélique et Dan, séparés par des milliers de kilomètres, se crient leur amour au téléphone.

Dan propose enfin à Angélique de vivre avec lui, mais c’est pour lui annoncer qu’il n’en a plus pour longtemps à vivre. Les danseurs l’entraînent doucement vers le néant. Son visage radieux, illuminé de blanc, fixe une dernière fois son amour.

Frances Ruffelle et Nigel Richards dans les rôles principaux, Amir Giles et Tara Pilbrow dans celui des danseurs de tango, ainsi que les musiciens, sont magnifiques.

Photo de la comédie musicale par le producteur, www.segue.org.uk

Anish Kapoor à Londres

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La galerie Serpentine présente quatre sculptures d’Anish Kapoor, sculpteur né à Mumbai en 1954, dans le parc de Kensington Gardens.

Le point commun de ces sculptures est qu’il s’agit de miroirs. Sky Mirror (2006) est la plus grande d’entre elles. Elle est située au bord de la rivière Serpentine qui court dans Hyde Park et Kensington Gardens. Elle se reflète dans la rivière, mais reflète elle-même les nuages. Non-Object (2007) est un cône sur le côté duquel se réfléchissent les arbres.  C-Curve (2007) offre aux passants leur propre image, tête en bas dans l’une des faces. Enfin, Sky Mirror Red (2007) est installée dans le bassin circulaire en face du palais de Kensington où évoluent des canards, des cygnes et des maquettes télécommandées de voiliers de la Coupe de l’America.

Photo « transhumances » : Sky Mirror. http://www.serpentinegallery.org/

Des hommes et des dieux

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Le film de Xavier Beauvois « des hommes et des dieux » est projeté en ce moment dans le cadre du London Film Festival.

En France, le film de Xavier Beauvois rencontre un immense succès, porté par le bouche à oreille : plus de 2 millions d’entrées en cinq semaines d’exploitation, le nombre d’écrans doublé pour faire face à ce succès inattendu. Il m’a personnellement touché : dans les années soixante dix, j’ai fréquenté plusieurs fois Tamié, l’abbaye mère de Tibehirine en Savoie ; à la même période j’ai vécu deux ans en Algérie au contact de prêtres, de religieux et de religieuses qui avaient décidé de rester dans ce pays par solidarité avec son peuple et pour porter témoignage de leur foi silencieusement et sans prosélytisme. J’ai trouvé le film fidèle à la fois à l’esprit de ces chrétiens en terre d’Islam et aux rythmes et à la liturgie monastique. Une incongruité m’a choqué : je suis certain que les moines parlaient l’arabe dialectal avec la population, car j’ai moi-même bénéficié de l’enseignement intensif en laboratoire de langue que prodiguaient les Sœurs Blanches ; pour ménager les spectateurs, les dialogues en arabe ont été réduits au minimum.

« Des hommes et des dieux » nous présente les moines comme des héros malgré eux. Ils sont tentés de rentrer en France sous la pression du risque d’attentat islamiste et de l’hostilité du régime militaire ; confrontés à la perspective du martyre, certains sont en proie au doute et au silence de Dieu. Ils restent pourtant, en partie parce que nul ne les attend de l’autre côté de la Méditerranée, en partie parce qu’ils ont partie liée avec les villageois qui les entourent. « Nous sommes l’oiseau sur la branche », dit Christian, le père abbé. « Non, nous sommes les oiseaux et vous êtes la branche », lui répond une femme algérienne.

Plusieurs scènes du film constituent des grands moments de cinéma, comme lorsque les moines répliquent par des cantiques au vrombissement d’un hélicoptère militaire venu les impressionner ; ou comme, recevant l’un des leurs qui revient de Tamié avec du fromage et des bouteilles de bon vin, ils communient silencieusement à la limite des rires et des larmes dans l’émotion du Lac des Cygnes de Tchaïkovski. La Cène du Christ la veille de sa passion est en filigrane.

Tous les acteurs sont formidables, en commençant par Lambert Wilson dans le rôle du père abbé et Michael Lonsdale dans celui du frère médecin.

Affiche du film « des hommes et des dieux ».