3.096 jours

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Natascha Kampusch, vient de publier en Angleterre « 3,096 days », le récit de son enlèvement à l’âge de 10 ans et de sa captivité pendant huit longues années.

Le magazine hebdomadaire de The Guardian a rencontré Natascha à Vienne. Le récit de cet entretien est à l’adresse suivante :

http://www.guardian.co.uk/world/2010/sep/11/natascha-kampusch-interview

L’évasion de Natascha en 2006 et le suicide de son geôlier Wolfgang Priklopil avaient fait les titres de la presse internationale. Comment cet homme apparemment si normal avait-il pu construire une prison sous son garage, enlever une petite fille et en faire son esclave pendant des années ?

C’est la maturité de Natascha qui étonne après une petite enfance malheureuse et l’incroyable épreuve de huit ans de captivité et d’humiliation. « Elle impute sa survie à un moment qui se passa quand elle avait 12 ans. Comme il n’y avait aucun adulte sain et solide dans sa vie, elle décida de devenir son propre adulte. Elle s’apparut à elle-même, âgée de 18 ans, dans une vision éclatante. Elle se dit – Je vais sortir de là, je te le promets. Maintenant tu es trop petite. Mais quand tu auras 18 ans, je dominerai le kidnappeur et je te libèrerai de ta prison ».

Interrogée sur ce qu’elle veut faire plus tard, elle répond psychologue, encore qu’elle veuille apprendre auparavant deux métiers, ceux de joailler et de cordonnier. L’équipe de psychologues qui a assisté Natascha dans son retour à la vie a certainement fait un travail exceptionnel.

Photo « The Guardian Week-end », 11 septembre 2010

Back to Newcastle

 

Newcastle upon Tyne fut le plus grand chantier naval du monde. La ville peine aujourd’hui à inventer son avenir postindustriel.

La chaîne britannique de télévision britannique a consacré une émouvante émission à la ville de Newcastle upon Tyne, au nord de l’Angleterre : « a journey back to Newcastle, Michael Smith’s deep North ». On peut la regarder à l’adresse suivante :

 http://www.bbc.co.uk/iplayer/episode/b00tr1gm/A_Journey_Back_to_Newcastle_Michael_Smiths_Deep_North/.

J’ai une passion pour les villes phares de la révolution industrielle qui tentent sur les friches industrielles de s’inventer un avenir : Bilbao, Pittsburgh, Birmingham. Newcastle upon Tyne en fait partie. A l’époque de sa splendeur, 2 navires sur 5 produits dans le monde sortaient de ses chantiers. Il n’en reste rien aujourd’hui. L’émission de Michael Smith, né à Newcastle et vivant à Londres, est un hommage lyrique à l’esprit héroïque de cette cité de fer et d’acier. Elle s’étend longuement sur le démantèlement des chantiers navals et la détresse de ceux qui y ont travaillé.

Newcastle est fameuse pour les ponts enjambant la Tyne qui attestent de son ancienne avance technologique. Un pont du millénium a été construit en 2000 pour desservir le nouveau centre culturel de la cité, Gateshead. Voulu par « Tony et Mandy » (Blair et Mandelson) dans l’esprit du nouveau Labour pour revitaliser la ville par la culture, cette réalisation effraie Michael Smith : ne s’agit-il pas d’un château (castle) de cartes que le tarissement des fonds publics menace d’anéantissement ?

Photo : le pont du Millénium de Newcastle on Tyne

Copie Conforme

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« Copie Conforme », le dernier film du réalisateur iranien Abbas Kiorastami, nous propose un fascinant portrait de femme.

Dans une petite ville de Toscane, un critique d’art (joué par le chanteur d’opéra William Shimell) donne une conférence sur son dernier livre consacré à la valeur des reproductions. Au premier rang, une femme (Juliette Binoche) semble boire ses paroles ; comme le dira son jeune fils, elle est fascinée par l’orateur. Elle l’invite à passer ensemble l’après-midi. Il y a tant de réserve et de distance entre eux, elle semble si écartelée entre le désir de la rencontre et la timidité, qu’on croit qu’ils viennent de faire connaissance.

En réalité, ils sont maris et femme depuis quinze ans, mais elle élève seule leur fils. Elle tente de faire sa reconquête. Elle l’entraîne dans le village où ils ont passé leur nuit de noce, près d’un sanctuaire censé porter chance aux dizaines de couples qui viennent s’y faire photographier et reproduisent ainsi le modèle originel du mariage parfait. Désespérant de retrouver un homme sur l’épaule de qui reposer sa tête, elle se maquille et met ses plus belles boucles d’oreille et le supplie de la regarder.

L’homme finit par lui déclarer qu’elle est plus belle aujourd’hui qu’au jour de leurs noces, mais le malentendu est insurmontable. Il n’est pas possible de remonter le temps, de remonter de la copie à l’original et de l’original au modèle. Le film laisse un profond sentiment de frustration et de tristesse, mais cette profondeur abyssale fait la beauté de l’œuvre cinématographique.

Juliette Binoche a reçu pour ce rôle la palme de la meilleure actrice au Festival de Cannes. « Quand mon personnage lui parlait comme s’il était son mari, je parlais à William exactement comme s’il était mon mari », dit Juliette. « Alors que nous travaillions ensemble, nos rythmes discordants tombaient bien et nous n’avons jamais essayé de briser ce rythme. Jouer, c’est comme peler un oignon, vous devez retirer chaque couche pour en révéler une autre ». Elle dit aussi « je n’ai pas le sentiment d’avoir des racines. Les racines que je peux avoir sont plus à l’intérieur de moi que là où je vis ». Et encore : « Mon but a toujours été d’avoir des expériences humaines dans mon travail ».

Photo du film « Copie Conforme ».

Alex au Pays des Nombres

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Prendre par la main les gens qui souffrent depuis l’enfance d’allergie aux mathématiques et les emmener aux pays des merveilles numériques, telle est l’ambition d’Alex Bellos dans son livre « Alex’s adventures in Numberland, Dispatches from the Wonderful World of Mathematics » (Bloomsbury 2010).

« Les nombres n’ont probablement pas plus de 10.000 ans, au sens d’un système de mots et de symboles qui fonctionne ». Le chapitre zéro du livre (tout un symbole !) nous emmène dans la tribu des Munduruku en Amazonie, qui ne dispose des nombres que jusqu’à cinq. Au-delà, ils utilisent des approximations et des ratios : cet arbre a plus de fruit que celui-là. Ils ont un « instinct logarithmique » qui aplatit les différences entre les petites et les grandes quantités, le même qui nous fait minimiser la différence entre un millionnaire (riche) et un milliardaire (très riche) alors qu’un facteur mille les sépare.

Alex Bellos s’intéresse ensuite à la manière de désigner les chiffres et les nombres. Il remarque qu’alors que le chinois, le japonais et le coréen désignent les nombres au-delà de dix de manière régulière (ils disent dix-un pour onze et dix-deux pour douze), les appellations occidentales sont irrégulières, ce qui présente un extrême intérêt pour les historiens mathématiques. « Le mot français pour 80 est « quatre-vingt », indiquant que les ancêtres des français utilisaient autrefois un système à base vingt. On a aussi suggéré que la raison pour laquelle les mots pour « 9 » et « neuf » sont identiques ou similaires dans de nombreuses langues indo-européennes, y compris le français (neuf, neuf) l’espagnol (nueve, nuevo), l’allemand (neun, neu) et le norvégien (ni, ny) est l’héritage d’un système à base huit oublié depuis longtemps, dans lequel la neuvième unité serait la première d’une nouvelle série de huit. »

L’invention du zéro

Les mathématiques ont commencé en Grèce avec la géométrie de Pythagore et Euclide, ce dernier révélant une beauté profonde dans un système indiscutable de vérités invariables dans l’espace et le temps. Les origamis (pliages) japonais continuent la tradition de l’émerveillement devant les harmonies simples de la géométrie.

Le passage à l’algèbre a été rendu possible par l’invention en Inde du zéro. Alex Bellos montre comment les symboles utilisés par les Romains étaient à la fois contraires au sens commun (VIII est plus petit que IX, qui comporte moins de signes) et inadéquats pour le calcul. Les Indiens inventèrent un système dans lequel les unités, dizaines, centaines avaient leur place marquée par la succession des chiffres. Lorsqu’il n’y avait rien, ils laissaient un espace vide ; puis ils inventèrent un symbole pour le vide. Les arabes l’appelèrent « zéphyr », ce qui donna zéro, mais aussi chifre (chiffre) en Portugais et cipher en anglais (code).

« Les Grecs, dit Bellos, firent de fantastiques découvertes mathématiques sans le zéro, sans nombres négatifs ou fractions décimales. C’est parce qu’ils avaient une compréhension par-dessus tout spatiale des mathématiques. Pour eux, il était aberrant que rien puisse être « quelque chose ». Pythagore n’était pas plus capable d’imaginer un nombre négatif qu’un triangle négatif ».

« La philosophie indienne avait embrassé le concept de néant exactement comme les mathématiques indiennes avaient embrassé le concept de zéro. Le saut conceptuel qui conduisit à l’invention du zéro se produisit dans une culture qui acceptait le vide comme l’essence de l’univers ».

La beauté des mathématiques

Le livre d’Alex Bellos est un hymne à la mathématique. Il s’émerveille des propriétés de la série de nombres découverte par Leonardo Fibonacci dans son Liber Abaci, publié en 1202, où chaque nombre est la somme des deux qui le précèdent. Il célèbre le Pi (π), dont les ordinateurs calculent maintenant mille milliards de décimales, offrant à l’industrie et aux sondeurs une inépuisable réserve de chiffres au hasard. Il décrit les propriétés étonnantes du « nombre magique », 1,618, qui définit une proportion respectée par un grand nombre d’objets d’arts et de produits industriels. Il évoque les grands jeux mathématiques d’aujourd’hui, du Rubiks Cube au Sudoku.

Il s’attarde longuement sur les probabilités et leur application aux casinos et à l’assurance. « Acheter une police d’assurance est un jeu à espérance négative, et comme tel c’est un mauvais pari. Alors pourquoi est-ce que les gens prennent de l’assurance si c’est une si mauvaise transaction ? La différence entre l’assurance et le jeu dans un casino est que dans un casino vous jouez (ou vous devriez jouer) avec de l’argent que vous pouvez vous permettre de perdre. Avec l’assurance, cependant, vous jouez pour protéger quelque chose que vous ne vous pouvez pas vous permettre de perdre. »

La beauté des mathématiques, c’est leur capacité à créer, dans leur dynamique propre, des mondes à l’opposé de nos intuitions. Un exemple est le logarithme, inventé au dix-septième siècle. « Comment peut-on multiplier 10 par lui-même une fraction de fois ? Bien sûr le concept est non intuitif lorsqu’on imagine ce qu’il pourrait signifier dans le monde réel ; mais le pouvoir et la beauté des mathématiques est qu’on n’a pas besoin de se préoccuper de la signification au-delà de la définition algébrique. Le logarithme de 6 est 0,778 à la troisième décimale. En d’autres termes, quand nous multiplions 10 par lui-même 0,778 fois, nous obtenons 6. »

Il en va de même du concept de courbure de l’espace, inventé par Bernhardt Riemann et qui ouvrira la voie à la théorie de la relativité, et à la découverte par Georg Cantor qu’il y a des infinis plus grands que d’autres. « Après Riemann et Cantor, les maths ont perdu leur connexion avec quelque appréciation intuitive du monde que ce soit (…). Cantor nous a emmené au-delà de l’imaginable, et c’est un assez bel endroit ».

Illustration : couverture du livre d’Alex Bellos.