Songs from a hotel bedroom

 

Le Place Theatre de Watford vient de donner une excellente comédie musicale, « songs from a hotel bedroom », chansons depuis une chambre d’hôtel.

Ecrite par la chorégraphe Kate Flatt, dont nous avions aimé Soul Play, et par Peter Rowe, cette comédie musicale basée sur des chansons de Kurt Weill, nous parle de l’amour passionné et des désamours déchirants d’une jeune artiste de cabaret française, Angélique, avec un parolier américain, Dan à New York en 1948. Angélique rêve de faire sa vie avec Dan ; celui-ci est emporté par le tourbillon du succès professionnel et ne peut offrir à sa belle que des nuits à l’hôtel.

La mise en scène est centrée sur trois groupes de personnes qui se mêlent et se décroisent : le couple d’amoureux ; un couple de danseurs de tango qui, gracieux et comme libéré de la pesanteur, souligne en contrepoint l’extrémité de leur passion et de leurs déchirements ; un orchestre de jazz. Le plateau est à certains moments séparé par deux rangées de rideaux que l’éclairage rend opaques ou diaphanes. Deux panneaux mobiles en avant-scène structurent l’espace, comme lorsque Angélique et Dan, séparés par des milliers de kilomètres, se crient leur amour au téléphone.

Dan propose enfin à Angélique de vivre avec lui, mais c’est pour lui annoncer qu’il n’en a plus pour longtemps à vivre. Les danseurs l’entraînent doucement vers le néant. Son visage radieux, illuminé de blanc, fixe une dernière fois son amour.

Frances Ruffelle et Nigel Richards dans les rôles principaux, Amir Giles et Tara Pilbrow dans celui des danseurs de tango, ainsi que les musiciens, sont magnifiques.

Photo de la comédie musicale par le producteur, www.segue.org.uk

Anish Kapoor à Londres

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La galerie Serpentine présente quatre sculptures d’Anish Kapoor, sculpteur né à Mumbai en 1954, dans le parc de Kensington Gardens.

Le point commun de ces sculptures est qu’il s’agit de miroirs. Sky Mirror (2006) est la plus grande d’entre elles. Elle est située au bord de la rivière Serpentine qui court dans Hyde Park et Kensington Gardens. Elle se reflète dans la rivière, mais reflète elle-même les nuages. Non-Object (2007) est un cône sur le côté duquel se réfléchissent les arbres.  C-Curve (2007) offre aux passants leur propre image, tête en bas dans l’une des faces. Enfin, Sky Mirror Red (2007) est installée dans le bassin circulaire en face du palais de Kensington où évoluent des canards, des cygnes et des maquettes télécommandées de voiliers de la Coupe de l’America.

Photo « transhumances » : Sky Mirror. http://www.serpentinegallery.org/

Des hommes et des dieux

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Le film de Xavier Beauvois « des hommes et des dieux » est projeté en ce moment dans le cadre du London Film Festival.

En France, le film de Xavier Beauvois rencontre un immense succès, porté par le bouche à oreille : plus de 2 millions d’entrées en cinq semaines d’exploitation, le nombre d’écrans doublé pour faire face à ce succès inattendu. Il m’a personnellement touché : dans les années soixante dix, j’ai fréquenté plusieurs fois Tamié, l’abbaye mère de Tibehirine en Savoie ; à la même période j’ai vécu deux ans en Algérie au contact de prêtres, de religieux et de religieuses qui avaient décidé de rester dans ce pays par solidarité avec son peuple et pour porter témoignage de leur foi silencieusement et sans prosélytisme. J’ai trouvé le film fidèle à la fois à l’esprit de ces chrétiens en terre d’Islam et aux rythmes et à la liturgie monastique. Une incongruité m’a choqué : je suis certain que les moines parlaient l’arabe dialectal avec la population, car j’ai moi-même bénéficié de l’enseignement intensif en laboratoire de langue que prodiguaient les Sœurs Blanches ; pour ménager les spectateurs, les dialogues en arabe ont été réduits au minimum.

« Des hommes et des dieux » nous présente les moines comme des héros malgré eux. Ils sont tentés de rentrer en France sous la pression du risque d’attentat islamiste et de l’hostilité du régime militaire ; confrontés à la perspective du martyre, certains sont en proie au doute et au silence de Dieu. Ils restent pourtant, en partie parce que nul ne les attend de l’autre côté de la Méditerranée, en partie parce qu’ils ont partie liée avec les villageois qui les entourent. « Nous sommes l’oiseau sur la branche », dit Christian, le père abbé. « Non, nous sommes les oiseaux et vous êtes la branche », lui répond une femme algérienne.

Plusieurs scènes du film constituent des grands moments de cinéma, comme lorsque les moines répliquent par des cantiques au vrombissement d’un hélicoptère militaire venu les impressionner ; ou comme, recevant l’un des leurs qui revient de Tamié avec du fromage et des bouteilles de bon vin, ils communient silencieusement à la limite des rires et des larmes dans l’émotion du Lac des Cygnes de Tchaïkovski. La Cène du Christ la veille de sa passion est en filigrane.

Tous les acteurs sont formidables, en commençant par Lambert Wilson dans le rôle du père abbé et Michael Lonsdale dans celui du frère médecin.

Affiche du film « des hommes et des dieux ».

Les espiègleries de la mauvaise fille

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A l’occasion de l’attribution du Prix Nobel de Littérature à Mario Vargas Llosa, voici une note de lecture de son roman Travesuras de la niña mala, roman de Mario Vargas Llosa, Alfaguara 2006. Il a été traduit en français sous le titre « tours et détours de la vilaine fille ».

Le roman de Mario Vargas Llosa procure des émotions voisines à celles ressenties en regardant le film de Marco Tullio Giordana « nos meilleures années ». Il s’agissait ici de la saga de vie, de mort et d’amour de deux frères, Matteo et Nicola, au long d’une quarantaine d’années depuis le milieu des années soixante en Italie. Il s’agit là de l’histoire de Ricardo, de ses amours adolescentes à Callao dans les années cinquante à l’approche de la vieillesse dans son pays d’adoption, la France. Mais alors que Matteo et Nicola étaient intimement mêlés à l’histoire de leur pays, de Mai 68 à l’opération Mains Propres en passant par les Brigades Rouges, Ricardo ne fait que côtoyer sans jamais s’y impliquer la grande histoire du Pérou, du choc de la Révolution Cubaine au Sentier Lumineux. Dans le roman comme dans le film, on est touché par le destin de personnes de chair et d’os qui s’efforcent de trouver leur voie, meurtris ou heureux, dans les différents âges de la vie.

Ricardo adolescent tombe passionnément amoureux de Lily, une jeune chilienne que courtisent tous les jeunes du quartier bourgeois de Miraflores. Il s’avère que Lily n’est pas chilienne mais péruvienne, qu’elle ne provient pas de la bourgeoisie de Santiago mais des faubourgs populaires de Callao et qu’elle ne s’appelle pas Lily. De fait, nous ne saurons son prénom presque par incidence que vers la fin du livre. Elle sera désignée par « la mauvaise fille », menteuse, calculatrice, voleuse, impitoyable dans son permanent dessein de séduire des hommes riches pour profiter de leur argent et conquérir la sécurité qu’il est censé garantir.

La mauvaise fille est la malédiction de Ricardo. L’ambition de celui-ci se limitait à vivre en France, plus ou moins aisément, de son métier de traducteur vacataire. Elle vise plus haut. Elle le méprise ouvertement pour son horizon étriqué, pour son existence rangée entre le quartier latin et le siège de l’Unesco. A Paris, Londres, Tokyo, puis de nouveau Paris, elle le prend pour amant mais se volatilise et le laisse tomber sans pitié quand se présente l’occasion d’arnaquer un possédant, diplomate français, propriétaire d’écurie anglais, trafiquant japonais ou entrepreneur retraité.

Le problème est que Ricardo est éperdument amoureux de cette petite femme d’allure provocatrice et moqueuse, avec une allure de défi et « ce miel obscur dans les pupilles ». Il en est même de plus en plus amoureux, à mesure que les années passent. Les périodes où la mauvaise fille reparaît dans sa vie le plongent dans un état proche de l’extase. La serrer dans ses bras, respirer son odeur, caresser sa peau olivacée, de réminiscences orientales, suave et fraîche, réciter des poèmes au creux de ses oreilles minutieusement dessinées, lui faire longuement l’amour, tout cela lui procure un bonheur au-delà des mots. Ces moments denses comme l’or le rachètent de la médiocrité de son existence et des trahisons subies.

La mauvaise fille ne cesse de lui demander « m’aimes-tu vraiment, gentil garçon ? ». A l’approche de la cinquantaine, blessée par la vie, apatride, elle finit par accepter de l’épouser. « Toi, jamais tu ne vas vivre tranquille avec moi, je te préviens. Parce que je ne veux pas que tu te fatigues de moi, que tu t’habitues à moi. Et bien que nous allions nous marier pour obtenir mes papiers, je ne serai jamais ton épouse. Parce qu’ainsi je te maintiendrai toujours fou de moi. » Après des mois d’apparente félicité, la mauvaise fille s’enfuit une nouvelle fois. Cette fois, Ricardo comprend que c’en est fini. Il rencontre une décoratrice de théâtre de vingt ans sa cadette et part avec elle vivre à Madrid.

Mais la mauvaise fille reparaît. Malade d’un cancer en phase terminale, elle a besoin du seul homme qui l’ait jamais aimée, du seul être capable de la libérer de ses peurs et de lui donner confiance pour son dernier combat.

Autour de la mauvaise fille et du gentil garçon gravitent des personnages attachants, le gros Paúl, cuisinier devenu militant de la fantasmatique révolution péruvienne, Juan, le peintre hippy du quartier londonien de St John’s Wood, Salomon, l’interprète boulimique de langues étrangères, collectionneur de petits soldats napoléoniens, Simon et Elena, les gentils voisins à Paris, parents adoptifs du petit Yilal, enfant muet que la mauvaise fille saura amener à la parole.

« Les espiègleries de la mauvaise fille » nous offre un magnifique voyage en Amérique latine, en Europe et au Japon, un  voyage dans lequel l’amour est aveuglément charnel et, par là même, spirituel.

Photo « transhumances ».