Le meilleur papa du monde

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Dans « World’s Greatest Dad », Robin Williams trouve un rôle à sa mesure, désespéré mais humain.

Lance Clayton mène une vie marquée par l’échec. Plaqué par sa femme, menacé de perdre son emploi de professeur, auteur de livres dont aucun n’a été accepté par les éditeurs, il est surtout désemparé par son fils Kyle. En situation d’échec scolaire, chahuté et ridiculisé par ses condisciples, Kyle vit dans un isolement presque total (il n’a qu’un ami), dans l’obsession du sexe des femmes et les jeux sur ordinateur. Il hait son père.

Lorsque Kyle meurt accidentellement par étouffement à la suite d’un jeu vidéo qui a mal tourné, Lance maquille son décès en suicide. Il invente des lettres posthumes et attribue à Kyle un des livres qu’il avait écrits et qui était resté non publié. Peu à peu, Kyle devient le héros et une source d’inspiration pour les lycéens ; le proviseur lui-même reconnaît en lui un surdoué qu’il n’avait pas su comprendre. Lance fait la conquête d’une ravissante collègue en s’appuyant sur une lettre que Kyle aurait écrite pour vanter le couple qu’elle et son père adoré pourraient former.

Le sommet du film est un plateau de télévision où Lance est invité à livrer son témoignage bouleversant. Un technicien lui a conseillé, s’il pleure, de lever les yeux pour que la caméra puisse fixer les larmes. Le numéro d’acteur de Robin Williams, pris entre les larmes de désespoir pour son fils mort qu’il n’a jamais su comprendre et le rire pour la situation absurde dans laquelle il se trouve, est magnifique.

La bibliothèque du lycée va être dédiée à la glorieuse mémoire de Kyle Clayton. C’est le moment que choisit Lance pour retirer son masque.

Photo du film « World’s Greatest Dad ».

Gauguin faiseur de mythe

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La Tate Modern de Londres présente une exposition intitulée « Gauguin, maker of myth » (faiseur de mythe).

Paul Gauguin s’est à plusieurs reprises inventé un destin : adolescent, il s’embarque à bord de navires ; adulte, il mène une existence bourgeoise d’agent de change et de père de famille ; passionné de peinture, il considère la crise financière et son licenciement de la bourse comme une aubaine et embrasse la vie d’artiste ; il part vivre à Tahiti puis, trouvant Tahiti trop occidentalisé, dans une île des Marquises.

L’exposition montre comment Gauguin a sans cesse inventé des mythes. Le mythe de l’artiste bohême le conduit à prêter ses traits au Christ dans le jardin de Gethsémani. Le mythe d’une religion primitive à Tahiti l’amène à peindre un temple imaginaire et à le décorer de motifs relevés dans un musée. Une partie de sa motivation était commerciale : les mythes et l’exotisme faisaient vendre, c’était un bon positionnement sur le marché de l’art.

Mais la mythomanie de Gauguin fut aussi un formidable levier pour son génie artistique. Pour donner à voir un autre monde au-delà du monde visible, il simplifia les formes et inventa un nouvel usage des couleurs. Fait rare pour un occidental à son époque, il s’immergea totalement dans la culture tahitienne.

L’exposition présente de nombreuses toiles, parmi les plus connues et les plus remarquables du peintre, réalisées à Pont Aven, à la Martinique, à Tahiti et aux Marquises. J’y ai découvert un autre aspect de l’œuvre de Gauguin, ses sculptures qui rendent sensible sa personnalité torturée et sa passion pour la femme.

Illustration : Paul Gauguin, Merahi Melena No Tehamana, présenté à l’exposition « Gauguin, Maker of Myth » de la Tate Modern.

La Partie

 

Le Palace Theatre de Watford vient de présenter une pièce consacrée au football professionnel, datée de 1913.

La pièce d’Harold Brighouse intitulée « The Game » a pour cadre une ville du nord de l’Angleterre. Au bord de la faillite, Austin Whitworth, propriétaire du club Blackton Rovers, vient de vendre à une équipe rivale son avant-centre vedette, Jack Metherell. Une partie décisive va se jouer entre ces deux équipes, avec pour enjeu pour Blackton le maintien en première division ou la relégation.

Austin (Barrie Rutter, qui est aussi metteur en scène de la pièce) tente d’obtenir de Jack (Phil Rowson) qu’il fasse perdre sa nouvelle équipe. Il ne manque pas d’arguments. Sa fille Elsie (Catherine Kinsella) vient de lui déclarer son intention d’épouser Jack. Ce serait une énorme mésalliance, bourgeoisie contre classe ouvrière. Jack est déchiré entre son amour pour Elsie et sa conscience.

Elsie n’a peur de rien. Enthousiaste, amoureuse, elle ne se laisse impressionner ni par son père, ni par son oncle, un avocat londonien appelé à la rescousse pour négocier la corruption. Elle ne se laisse pas troubler par le bras cassé de Jack pendant la partie décisive : accident ou application du pacte de corruption ?

Elsie abat tous les obstacles et se trouve finalement face à face avec Mrs Metherell (Wendi Peters), la mère de Jack. C’est une formidable matrone, inamovible dans son parler prolétarien et son assise de forteresse. La petite bourgeoise délurée et décidée comprend qu’entre elle et son homme, il y aurait toujours cette femme formidable. Au bras de son oncle, elle part pour Londres.

La pièce se situe à une époque révolue, où les joueurs professionnels étaient des ouvriers méprisés et exploités par leurs patrons, loin du statut de stars médiatiques d’un David Beckham ou d’un Wayne Rooney. Malgré ou à cause de son ambiance désuète, elle mérite bien le sous-titre de son affiche : une brillante comédie du Nord sur l’amour, l’honneur, la classe sociale…

Illustration : affiche de « The Game ». La troupe est en tournée en Angleterre jusque fin novembre : http://www.northern-broadsides.co.uk.

Le Paradis un peu plus loin

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A l’occasion de l’exposition  Gauguin à la Tate Modern (Londres), voici une présentation du livre de Mario Vargas Llosa El Paraiso en la otra esquina (Le Paradis un peu plus loin), Punto de Lectura 2003.

Mario Vargas Llosa nous raconte dans ce livre les derniers mois de la vie de Flora Tristan (avril à novembre 1844) et les dernières années de celle de Paul Gauguin (avril 1892 – mai 1903). Un lien de filiation les attache : Paul est fils d’Aline, fille de Flora. La parenté spirituelle est plus forte encore que celle du sang. Flora et Paul forcent leur destin. Ils croient qu’il existe ailleurs un Paradis et sont prêts à toutes les souffrances, à tous les martyres, pour y parvenir. Pour Flora, « Madame la Colère », ce sera la révolution pacifique fruit de l’union des opprimés, les ouvriers et les femmes ; pour Paul, « Koké », l’Océanie, pays « sauvage » où s’expriment à l’état brut les émotions que réprime la civilisation industrielle.

Flora Tristan a connu dans son enfance la misère noire, bien que son père, disparu quand elle avait 4 ans, fût membre d’une haute famille péruvienne. Elle épouse le patron d’un atelier textile, histoire d’échapper à la pauvreté, mais cette union se révèle pour elle un désastre. Elle en retire l’idée que le mariage est un viol légal et en conserve une profonde répugnance pour le sexe. Mère de trois enfants, elle défie les lois qui la maintiennent assujettie à son mari, s’enfuit pour le Pérou où son oncle l’accueille paternellement mais refuse de lui reconnaître sa part d’héritage. De retour en France, elle raconte son histoire dans un livre, « Pérégrinations d’une paria », s’affronte à son mari qui enlève à plusieurs reprises ses enfants afin de la rançonner et qui finit par lui tirer une balle dans la poitrine.

Flora lit Saint Simon et Fourier, part en Angleterre observer, déguisée en homme, la condition ouvrière et écrit un manifeste, « l’Union Ouvrière » qui pose les bases d’une révolution pacifique construite par des comités de travailleurs dans lesquels les femmes, y compris les prostituées, auront toute leur place. Flora s’engage dans un tour de France pour rencontrer les ouvriers et constituer des comités. A mesure que les mois passent, l’attitude des autorités tourne de plus en plus à la répression. Sa santé vacille. Elle meurt épuisée à Bordeaux à l’âge de 41 ans.

Paul Gauguin passe plusieurs de ses jeunes années dans la marine, avant d’être introduit par l’amant de sa mère dans une société de bourse. Il y fait fortune, épouse une danoise, ils ont cinq enfants et mènent une vie de bourgeois comblés. Un collègue introduit Paul à la peinture et, sur sa trentaine, celui-ci se prend de passion pour cet art. Pendant plusieurs années, il mène une double vie, agent de change pendant la journée, peintre la nuit. La crise boursière de 1883 le prive de son emploi, et il voit dans cette disgrâce une bénédiction : il pourra désormais se consacrer totalement à son art.

Paul s’avance alors en pleine conscience vers la marginalité et recherche, à Pont-Aven d’abord, puis à Tahiti et enfin aux Iles Marquises, la vérité sauvage d’avant la civilisation. En cela, il ressemble à Van Gogh, le Hollandais fou avec qui il était allé vivre à Arles, avant de le quitter de manière abrupte, provoquant chez Vincent un accès de folie et la mutilation de son oreille.

Flora considérait le sexe au pire comme un repoussoir, au mieux du temps volé à la révolution. Pour Paul au contraire, il est l’expérience centrale autour de quoi s’organisent sa vie et sa vision du monde. En permanence à court d’argent, le corps tout entier attaqué par la vérole jusqu’à en devenir aveugle, considéré comme un paria par les autorités, prêt aux pires compromissions et mensonges pour survivre et peindre, il recherche jusqu’au bout une vérité qui n’est pas le reflet de la réalité, mais une effervescence spirituelle.

Mario Vargas Llosa nous parle d’un « Eunuque divin », de deux armées d’opérette fuyant en directions opposées croyant chacune sa défaite avérée, du totem de la Maison des Plaisirs représentant le Père la Luxure sous les traits de l’évêque catholique, d’un concert de Frantz Litz à Bordeaux, d’un lavoir dont le plan incliné est monté à l’envers, obligeant les lavandières à s’immerger dans le bassin, d’Olympia l’amante et d’Eléonore la fille spirituelle, des Vahinés Teha’amana et Pau’ura, d’une Maréchale éminence grise d’un président de la république, et de mille autres étonnements. Il nous parle d’une vie qui rugit comme un torrent gonflé par un cyclone, de désespoirs et d’espérance.

Illustration : Paul Gauguin, Faa Iheihe, 1898, Tate.