Cartes magnifiques

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 La bibliothèque Nationale (British Library) de Londres présente jusqu’au 19 septembre une exposition intitulée « magnificent maps ».

« Les cartes traitent rarement seulement de géographie. De belles cartes de valeur ont ornée les murs depuis l’époque romaine et même plus tôt, manifestant ainsi le pouvoir, le goût et l’influence de leurs propriétaires », dit le catalogue de l’exposition.

L’exposition n’est pas organisée chronologiquement, mais regroupe des cartes d’époques différentes selon le lieu où elles étaient affichées : la galerie d’un château, la salle d’audience, la chambre à coucher royale, le cabinet des curiosités, la rue, la maison du marchand, le bureau du Secrétaire d’Etat, la salle de classe.

Illustration : carte de Londres vue par l’artiste Stephen Walter, www.stephenwalter.co.uk.

Mémorial du Couvent

 

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Je rends compte ici du livre probablement le plus connu de José Saramago, l’écrivain portugais mort la semaine dernière : Memorial do Covento, écrit en 1982.

Ce livre est l’histoire d’un couvent – palais construit à Mafra, à 40 km de Lisbonne par le Roi Jean V pour rivaliser avec l’Escorial et pour honorer le vœu qu’il avait fait de le bâtir s’il obtenait une descendance. Le Couvent, inachevé, est inauguré en grande pompe le dimanche 22 octobre 1730, jour anniversaire de Sa Majesté.

C’est l’histoire de dizaines de milliers d’hommes d’abord attirés par un emploi stable sur le chantier et ensuite recrutés de force et enchaînés lorsque le travail volontaire ne satisfit plus aux nécessités d’un projet devenu pharaonique (300 moines !). Ils vivent parqués dans des baraquements en bois désignés d’un joli nom : l’Ile de Madère. Certains paient de leur vie la folie qui consiste à déplacer sur plusieurs dizaines de kilomètres une pierre de 30 tonnes, et chaque jour est un enfer pire que le précédent.

C’est l’histoire de la famille royale, dont les déplacements sont suivis par une nuée de mendiants à qui l’on lance une pluie de monnaies frappées grâce à l’or du Brésil. Le voyage jusqu’à la frontière de l’Espagne pour sceller des alliances matrimoniales, retardé par des journées et des nuits de pluie, de boue et d’enlisement, est mémorable.

C’est l’histoire du Saint-Office, qui convoque des Actes de Foi, réjouissances populaires au cours desquelles des mal-pensants et des malfaisants sont exhibés aux quolibets de la foule avant d’être fouettés ou brûlés.

C’est l’histoire de Bartolomeo Lourenço de Gusmaõ, prêtre que sa réflexion sur le monothéisme mène aux confins du judaïsme et que la terreur du Saint Office va rendre fou. Il conçoit et réalise une machine volante plus lourde que l’air, mue par des volontés humaines soustraites à leurs propriétaires au moment de leur dernier souffle et conservées dans des sphères d’acier aimantées.

C’est l’histoire de Domenico Scarlatti, compositeur et claveciniste italien à la Cour du Portugal. Les Portugais l’appellent Escarlata. Sa musique rendra la vie à Blimunda, la voyante qui procure à Bartolomeu les volontés qui s’échappent de moribonds malades de la peste et qui lui sont nécessaires pour faire voler l’engin.

C’est l’histoire de Baltasar Matteus Sietesoles, agriculteur envoyé à la guerre et amputé d’une main à la bataille de Jerez de los Cabelleros, avant que les Princes de Portugal et d’Espagne se réconcilient. Né à Mafra, il travaille sur le chantier comme manœuvre, puis comme muletier. Ses camarades s’appellent Francisco Marques, José Pequeno, Joaquim da Rocha, Manuel Milho, João Anes,  Julián Maltiempo. Ils se racontent leurs destins de misère et de familles séparées.

C’est l’histoire de l’amour tendre de Blimunda et de Baltasar, Sietelunes et Sietesoles, amour né de l’Acte de Foi sur la place du Rossio à Lisbonne au cours duquel la mère de Blimunda est flagellée et envoyée en exil en Angola. Blimunda et Baltasar construisent et pilotent la machine volante. Baltasar se volatilise dans le ciel et Blimunda, pendant 9 ans, parcourt le Portugal en tous sens à sa recherche.

Photo Wikipedia : Monastère de Mafra.

All my sons

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Le Théâtre Apollo de Londres donne une pièce d’Arthur Miller, « all my sons », mise en scène par Howard Davies, magnifiquement interprétée dans les rôles principaux par David Suchet et Zoë Wanamaker.

La première scène se passe une nuit d’orage en 1946 dans le jardin d’une jolie maison du Colorado. Le vent brise un arbre, celui que Kate Keller a planté en mémorial de son fils Larry, disparu trois ans plus tôt lors d’une mission aérienne et dont elle attend encore le retour. En quelques heures, la vie des Keller va se briser.

Tout commence pourtant dans la plus grande normalité. Joe Keller, un entrepreneur parti de rien et qui a réussi dans les affaires, plaisante avec son fils Chris et sa fiancée Ann, qui vient de faire le voyage de New York pour parler mariage. Joe connait bien Ann. Elle vivait dans la maison d’à côté et était la fille de son associé, Steve Deever.

Mais Ann était aussi la fiancée de Larry, et Kate ne peut consentir à ce que Chris la « vole » à son frère qu’elle suppose encore vivant. Et le père d’Ann est en prison. Pendant la guerre, il a laissé livrer à l’aviation des pièces défectueuses et 21 aviateurs sont morts en raison de cette négligence criminelle. La justice a dédouané Joe de toute responsabilité, car il n’était pas à l’usine le jour où la livraison a eu lieu.

Le frère d’Ann, George, ne peut accepter que sa sœur épouse Chris. Il est en effet convaincu que son père a agi sur instruction de Joe Keller et il ne peut supporter qu’elle entre dans la famille d’un homme qui, par appât du gain puis par lâcheté, a causé la ruine de sa famille.

La bonhommie de Joe se fissure à mesure que son fils prend conscience de son imposture et se met à le haïr violemment. Deux visions de la vie s’affrontent. Le père prétend avoir agi pour le bien de sa famille en la protégeant de la faillite et du déshonneur. Le fils l’accuse d’avoir assassiné « tous ses fils », les « boys » qui pilotaient les avions, Larry, dont on apprendra qu’il a volontairement écrasé son avion pour échapper à l’opprobre, et lui-même qui se s’estime plus digne d’Ann.

Seul le suicide de Joe, à la fin de la pièce, ouvre un avenir possible pour Chris et Ann.

Le décor, qui évoque le rêve américain mais se transforme peu à peu en scène de huis-clos, est remarquable. Le jeu de David Suchet (Joe) et Zoë Wanamaker (Kate), est tout en sensibilité et en émotion. La mise en scène de Howard Davies est exceptionnelle.

Photo : « All my sons », Apollo Theatre, Londres.

José Saramago : les intermittences de la mort

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L’écrivain portugais José Saramago vient de décéder sur l’île de Lanzarote où il s’était retiré. Son livre « As Intermitências da Morte » (Caminho, 2005) se sert de la mort comme prétexte pour une fable sociale jubilatoire.

La Mort a décidé de s’amuser. Un Jour de l’An, les habitants de ce pays de dix millions d’âmes découvrent qu’on n’y meurt plus. Malgré l’allégresse populaire que provoque ce prodige, l’Eglise Catholique y voit une menace : sans mort, il n’y a pas de résurrection et sans résurrection il n’y a pas d’Eglise. La grève de la mort n’empêche pas les gens de vieillir, de subir des accidents ou de tomber malades. Les hôpitaux et les foyers du troisième âge sont submergés par le flux entrant non compensé par le flux sortant. Les entreprises de pompes funèbres, menacées de faillite, demandent des aides publiques. Les compagnies d’assurance-vie, frustrées du fait générateur de sinistre, craignent la banqueroute. Elles modifient leurs contrats pour fixer à quatre-vingts ans l’âge de mort obligatoire, évidemment au sens figuré du terme, ainsi que l’indique, avec un sourire indulgent, le président de la fédération des assurances. Une fois virtuellement morts, les assurés auront le choix entre toucher leur capital et renouveler leur contrat pour une période égale de quatre-vingts ans. Le Gouvernement négocie avec la « maphia » l’exportation des personnes en situation de mort suspendue vers les pays voisins, où l’on meurt en toute normalité.

Sept mois plus tard, la Mort fait annoncer par le directeur de la télévision que les gens recommenceront à mourir normalement à minuit le même jour. Le Gouvernement  doit gérer le nouveau chaos provoqué par la mort simultanée de dizaines de milliers d’agonisants en sursis.

La Mort continue à s’amuser. Elle envoie par la poste des avis de couleur violette par lesquels elle signifie à ses victimes qu’il ne leur reste plus que dix jours à vivre et les incite à profiter de ce délai de rigueur pour se mettre en règle.

Curieusement, l’avis de mort destiné à un violoncelliste revient à la Mort. Celle-ci se transforme en femme pour lui remettre la lettre fatidique en mains propres, mais en l’écoutant jouer la suite numéro six de Bach, l’être glacial se fait femme amoureuse. Elle allume une simple allumette et cette humble allumette de tous les jours fait brûler la lettre de la mort, celle que seule la Mort pouvait détruire. Le jour suivant, personne ne meurt.

Photo du quotidien portugais Público : José Saramago en 2008