Henry Moore

100327_henry-moore-tate-britain_1939.1269727496.jpg

La Tate Britain consacre jusqu’au 8 août 2010 une belle exposition au sculpteur Henry Moore (1898 – 1986).

Fils d’un mineur du Yorkshire, survivant des tranchées de la première guerre mondiale, Henry Moore a dominé la sculpture britannique du vingtième siècle, obtenant de son vivant une immense notoriété et gérant son art comme un véritable business. Réalisées avec l’aide d’assistants, ses œuvres s’exportaient dans le monde entier sans toutefois que le succès assèche son génie créateur.

L’exposition du Tate Britain permet de découvrir des aspects essentiels de son art.

La passion pour la matière. Moore préférait les pierres de son pays, la Grande Bretagne, au marbre de Carrare. Il pensait la sculpture devait suivre la pente suggérée par la matière. Dans la dernière salle sont exposées des œuvres des années soixante réalisées dans du bois d’orme, noueux, sensuel, qui donne envie de caresser.

Le surréalisme. L’œuvre de Moore entre les deux guerres devient plus abstraite. Aux figures de mères et d’enfants succèdent des formes rêvées, avec une forte connotation sexuelle.

La guerre. Meurtri par la première guerre mondiale, Moore était un pacifique convaincu. Mais il prit parti pour l’Espagne républicaine et soutint l’effort de guerre britannique contre le nazisme. Pendant le blitz, il abandonna la peinture pour le fusain. Ses dessins représentant des londoniens réfugiés dans les stations de métro évoquent un peuple terrorisé survivant dans un sombre enfer, mais finalement un peuple résistant.

Le vide. Comme l’Espagnol Chillida, ou comme des compositeurs réservant au silence une place dans leur symphonie, Moore fait jouer un rôle essentiel à l’absence de matière. La matière délimite le vide, l’enveloppe et, comme le ventre d’une femme, le fait naître à la vie. D’un bout à l’autre de son œuvre, le thème de la mère et de l’enfant est resté dominant.

(Photo : oeuvre d’Henry Moore 1937)

Pressentiments

100326_pressentiments_clara_sanchez.1269640265.jpg

« Jamais tu ne t’es réveillé avec la sensation de continuer à l’intérieur d’un rêve ? » Le roman de Clara Sánchez, Presentimientos (Alfaguara, 2008) nous emmène aux frontières du sommeil et du monde éveillé.

Julia et son mari Félix font route vers la côte du Levant (Espagne) pour passer une semaine de vacances avec leur fils Tito, six mois. Arrivés tard le soir, ils se rendent compte qu’ils ont oublié à Madrid le lait du petit garçon. Julia se propose pour aller en acheter à la pharmacie de garde.

Les vies de Julia et de Félix se séparent. Julia ne se souvient plus où était leur appartement, semblable à des milliers d’autres. Elle n’a de cesse de retrouver son mari et son fils. Elle tente d’appeler Félix, mais sans réponse. Elle se rend au commissariat de police, mais nul ne s’est inquiété de sa disparition. A l’hôpital, elle laisse un mot sur le tableau d’affichage, mais personne n’y donne suite. A court de ressources, elle tente d’obtenir de l’argent de la banque, mais elle se heurte à un mur d’hostilité. Elle vole de quoi manger et boire au supermarché, mais elle est repérée par les caméras de surveillance.

Félix partage son temps entre l’appartement et l’hôpital. Julia a eu un accident et est plongée dans un sommeil profond dont les médecins ne peuvent prévoir si et quand elle sortira. Il cherche le moyen de rejoindre son épouse, de la ramener au monde réel. Lui, expert en assurances habitué à une observation froide et objective du monde, comprend qu’il doit apprendre à laisser son esprit, comme celui de Julia, dériver dans les rêves.

Dans son rêve, Julia ne se laisse pas aller au désespoir. Elle n’a qu’une obsession, retrouver l’appartement qu’elle a quitté il y a maintenant plusieurs jours, c’est-à-dire sortir de l’impasse. Félix de son côté ne baisse pas les bras. Il passe toutes ses nuits au chevet de sa femme, lui parle des bons moments de son passé, tente d’aider son cerveau à contourner les circuits endommagés par l’accident et à trouver une issue.

Dans sa quête, Félix découvre que Julia a eu un amant, avant et après son mariage. Sa double vie l’a épuisée et a finalement provoqué son accident. Qu’importe, il veut la ramener à la vie, quitte à divorcer lorsqu’il lui aura donné cette preuve d’amour. Dans son rêve, Julia découvre que son amant était un malandrin et elle le tue. Elle sent l’odeur d’une merveilleuse tarte que sa mère préparait lorsqu’elle était enfant. Le parfum du gâteau sera finalement le pont entre les deux mondes.

Le livre est construit sur une alternance de chapitres, les uns écrits du point de vue de Julia, les autres du point de vue de Félix. Il nous parle de la réalité du monde rêvé, des chemins que le cerveau doit inventer pour sortir de l’inconscient, et finalement de la force de l’amour malgré tout.

Photo : couverture de « Presentimientos »

Trésors au V&A

Le Victor and Albert Museum (V&A) à Londres a inauguré en décembre dernier une nouvelle galerie consacrée à l’art en Occident au Moyen Age et à la Renaissance, entre 300 et 1600. La visiter est un émerveillement. Voici l’une des pièces présentées, un vitrail allemand de 1500 représentant l’adoration des Rois Mages.

100314_va_cologne_aoration_magi_1500.1268575667.jpg

 

Le père de mes enfants

100313_pere_de_mes_enfants.1268569522.jpg

 Le film de la jeune réalisatrice Mia Hansen-Love, « le père de mes enfants », nous parle de résilience. Une famille peut-elle surmonter le drame du suicide d’un père adoré et vénéré ?

Grégoire (Jean-Do de Lencquesaing) est un homme passionné par son métier, producteur de films d’art et d’essai. C’est aussi un père de famille comblé, entre une belle femme d’origine italienne, Silvia (Chiara Casselli), et trois filles vives et jolies, dont une adolescente, Clémence. On le voit s’intéresser à un jeune cinéaste rencontré dans l’autobus, défendre bec et ongle le tournage en Suède d’un film dont le budget dérape, résoudre au téléphone mille et un problèmes. On le voit raconter à ses filles l’histoire des Templiers dans une chapelle en ruine près de leur maison de week-end au bord de la Loire et décrypter pour elles la signification d’une mosaïque de Ravenne.

Pourtant, Grégoire est au bout de sa route. Un contrôle de vitesse par la Gendarmerie lui fait perdre son permis de conduire. C’est un signal. Dans sa vie, il va trop vite. Les dettes se sont accumulées, la banque et ses fournisseurs sont à bout de patience. L’écran de son ordinateur reflète un homme défait. Il se suicide.

Pour Silvia et ses filles, comme pour le personnel de la petite société de production, le choc est terrible. Clémence, en particulier, se sent abandonnée et trahie.  La vie pourtant reprend peu à peu le dessus. A la tête de la société de production, Silvia tente de sauver l’œuvre de Grégoire, en particulier son catalogue de films. Sa tentative ne sera pas couronnée de succès : les dettes sont si lourdes que la liquidation est inévitable. Mais du moins la dynamique de la vie de Grégoire ne s’est pas arrêtée avec sa mort. Clémence s’éprend du jeune cinéaste que son père avait promis d’aider. Elle découvre pour le cinéma la même passion qui animait celui-ci. 

Le suicide avait coupé le temps entre un avant et un après. Peu à peu, une continuité s’établit de nouveau. Les moments lumineux et les passions d’avant nourrissent la vie ici et maintenant.