Objectif SMART : sourire

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L’une des tâches ardues du management est de fixer des objectifs SMART : spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et avec un temps assigné pour sa réalisation. Le film Invictus de Clint Eastwood nous en donne une jolie illustration.

Le tout nouveau président Nelson Mandela prend possession de ses fonctions et de son bureau. Le chef du service d’ordre, noir, qu’il a nommé, réclame des renforts pour assurer la sécurité d’un président qu’une partie de la population n’accepte pas. Dans le cadre de sa politique de réconciliation et de construction d’une nation multiraciale, Mandela lui envoie plusieurs anciens gardes du corps de De Klerk, blancs naturellement.

La coexistence entre les ennemis d’hier au sein de la nouvelle équipe est difficile. Les blancs ont du mal à accepter un chef noir ; les noirs ne croient pas en la loyauté de leurs nouveaux collègues. Pourtant, le tableau de service se met en place. Un objectif est fixé aux gardes du corps : sourire. Si face à une foule hostile ils affichent un visage crispé, l’objectif leur est fermement rappelé  par le circuit radio interne.

Ceci pourrait être un bon exemple de management. Pour les gardes du corps, sourire est un objectif SMART. Il est Spécifique : il n’entre pas dans la description de fonction du garde du corps, c’est un effort particulier qui est demandé. Il est Mesurable : le chef pourrait mesurer le nombre et la durée des sourires ! Il est Atteignable, même si le réaliser demande certainement de gros efforts aux « gorilles ». Il est Réaliste, car l’effort n’est tout de même pas surhumain. Enfin, il y a un Temps assigné pour sa réalisation : tout de suite !

(Photo du film Invictus)

Cap Trafalgar

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 La bataille de Trafalgar, le 21 octobre 1805, a marqué la mort et le triomphe de l’amiral Horatio Nelson, dont j’ai évoqué la biographie dans un précédent article de Transhumances. Pour marquer le deux centième anniversaire de la bataille, Arturo Pérez Reverte écrivit un livre magnifique, Cabo Trafalgar, à la fois solidement documenté et romancé (Cabo Trafalgar, Arturo Pérez-Reverte, Alfaguarra 2004).

Napoléon, qui veut envahir l’Angleterre, a ordonné à l’Amiral de la flotte Villeneuve de mettre le cap sur la Manche. Mais celui-ci, apeuré par une première confrontation avec l’Amiral Nelson au large du cap Finisterre, court se réfugier à Cadiz. Menacé de Conseil de Guerre, il finit par prendre la mer après avoir recruté de force des centaines d’hommes, souvent agriculteurs ou marins pêcheurs, pères de famille, qui n’ont aucune expérience des navires ni de la guerre.

La flotte est franco-espagnole. Le pouvoir en Espagne est entre les mains de Godoy, intriguant et amant de la Reine. La hiérarchie de la flotte est en bonne partie composée d’aristocrates pistonnés. Marins et sous-officiers touchent leur solde avec des mois de retard.

Villeneuve applique une stratégie énoncée plus de 100 ans auparavant. Les deux camps forment une ligne parallèle qui se canardent et passent à l’abordage. A la vue de l’escadre anglaise, il donne l’ordre de virer à 180º et de remettre le cap sur Cadiz. En raison de leur poids et du faible vent, les navires manœuvrent mal et des trous se forment dans la ligne. De plus, l’ordre de Villeneuve ne peut que s’interpréter que comme une préparation à la retraite, ce qui ne contribue pas au moral de l’encadrement.

Les navires de Nelson avancent sur deux lignes perpendiculaires à la ligne franco-espagnole. Leur stratégie consiste à couper la ligne là où elle est trouée et à neutraliser successivement chaque navire ennemi en profitant à chaque fois de la supériorité numérique. Comme ce sera le cas plus tard avec la Ligne Maginot, la stratégie de l’ennemi n’était pas décrite dans les manuels ! La bataille peut commencer. Les hommes déploient des filets au-dessus du pont pour recevoir les objets qui vont tomber en rafale depuis les mats, on jette du sable pour ne pas glisser sur le sang des hommes qui vont tomber au combat.

A l’ineptie des chefs, dont certains désertent purement et simplement, répond le comportement finalement héroïque des soldats, dans de nombreux cas encore adolescents, souvent amenés à cette boucherie contre leur gré. Dans le feu de l’action, le mélange de peur viscérale et de soif de vengeance pour les camarades assassinés galvanise les hommes. Ce n’est pas la raison qui parle en eux, seulement l’instinct de la dignité.

Le livre de Pérez Reverte est un récit palpitant, un témoignage historique documenté jusque dans les moindres détails, une histoire d’hommes embarqués pour l’enfer. Le langage mis dans la bouche des espagnols parlant des « gabachos » (expression qui désigne les Français comme « yankee » les Américains) est divertissant : « yenesepá », « orrevuar », « cuá ? », « mon petichú »… De la même manière, le parler des andalous est restitué de manière phonétique, ce qui est drôle mais aussi un peu dérangeant pour un lecteur étranger.

Le désastre de Trafalgar était prévisible. Il dérivait directement d’une structure politique fondée sur l’intimidation et l’arrogance en France, sur la corruption et l’esprit de classe en Espagne.

Amiral Nelson

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Dans un précédent article, j’ai évoqué la passion de l’Amiral Horatio Nelson pour Lady Emma Hamilton. Je propose ici une lecture de la biographie de l’amiral par Georges Fleury (Nelson, grandes biographies, Flamarion 2003).

La biographie par Georges Fleury de l’amiral Horatio Nelson, dont la statue domine la Place Trafalgar, n’a pas la qualité littéraire de « Cap Trafalgar », le récit romancé d’Arturo Pérez Reverte. Mais elle est basée sur une impressionnante documentation, essentiellement les lettres échangées par le héros avec sa famille et l’administration de la Marine.

Né en 1858 d’un pasteur protestant dans le comté de Norfolk, mort en 1805 à l’âge de 47 ans au large du Cap Trafalgar alors qu’il commandait la bataille qui anéantira la flotte franco-espagnole, Nelson est un personnage hors du commun. Embarqué alors qu’il n’avait que douze ans sur le bateau commandé par son oncle, il passera au cours de sa vie plus de temps sur la mer que sur la terre ferme. Ce qui impressionne chez lui, c’est son absolue confiance en son étoile. Il recherche le danger, et ce ne sont pas un œil perdu à Calvi puis un bras à Tenerife qui le rendront plus prudent. Pour attaquer l’ennemi à Aboukir, Copenhague ou Trafalgar, il adopte des stratégies non conventionnelles et risquées, et prend même le parti de désobéir à ses supérieurs au risque de la cour martiale.

Il a un immense besoin de gloire. La « vainqueur du Nil » déplace les foules et est acclamé par les Royalistes dans toute l’Europe. Lorsqu’il vient faire soigner ses blessures à Bath, les passants le reconnaissent et l’acclament. On parlerait aujourd’hui d’une star. Il aime la popularité, les décorations, les cérémonies et les dîners mondains.

Il est adulé par ses troupes, au milieu desquelles il est à l’aise. Après une bataille, il ne manque jamais de doubler la dose de rhum et de tabac de ses hommes. Il aime enseigner aux jeunes sous-officiers.

Il est rigide lorsqu’il s’agit de faire observer un blocus dans les Antilles, au point de s’attirer des procès de la part de négociants dont la marchandise a été saisie, mais il est aussi capable de négocier avec le représentant du Tsar son retrait d’un port russe. Il épargne la vie d’un sous-officier que le fils du roi voulait faire exécuter, mais n’hésite pas à faire pendre haut et court un officier napolitain traitre a son roi. Il a une vision stratégique de la présence anglaise en Méditerranée mais s’occupe des détails de son salaire.

Il n’a cure de la réprobation publique pour le ménage à trois qu’il forme avec William Hamilton, ambassadeur à la Cour de Naples et son épouse Emma, alors même qu’il est marié. Il faut dire qu’Emma est, elle aussi, une femme d’exception : fille d’un forgeron gallois, amante de jeunes hommes riches dont sa prodigalité scella la ruine, prostituée, « corps parfait » exposé par un hypnotiseur dans des conférences prétendument scientifiques mais avant tout lucratives, favorite de la Reine de Naples, elle avait rendu Horatio fou amoureux, et ce sentiment était partagé. Pour elle, Nelson passe des mois à Naples et Palerme, en 1798 et 1799. Elle lui donnera un enfant, Horatia.

On découvre dans ce livre un univers naval déjà très technologique. Certes, les bateaux sont manœuvrés par des centaines d’hommes, mais le maniement des dizaines de voiles est complexe. On embarque à bord des charpentiers capables de réparer un grand mat ou de boucher une voie d’eau. La communication d’un navire à l’autre ou avec la terre se fait encore en hissant des pavillons, mais le télégraphe vient d’apparaitre, qui permet d’échanger des messages de manière interactive. Ceci n’empêche pas qu’il faille parfois des jours ou des semaines pour repérer l’allié que l’on doit rejoindre ou l’ennemi que l’on veut détruire.

Les ennemis se haïssent mais sont physiquement au contact. La tactique consiste à se présenter au combat dans une ligne aussi continue que possible, parallèlement à la ligne ennemie et de canonner ses vaisseaux à bout portant, puis de monter à l’abordage. Après la bataille, il n’est pas rare que l’amiral vainqueur soit invité à bord du vaisseau amiral vaincu à participer à l’immersion de son homologue vaincu et tué.

(Photo : statue de l’Amiral Nelson, Trafalgar Square, Londres. Source Wikipedia)

Invictus, Freeman

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Dans le film Invictus, Morgan Freeman joue le rôle de Nelson Mandela. Dans un extraordinaire jeu d’acteur, il parvient à rendre la détermination d’un homme qui, en captivité, n’avait jamais été vaincu et qui, arrivé au pouvoir, mit à l’épreuve sa conviction que rien ne peut résister à la force de l’esprit.

Le film Invictus de Clint Eastwood est consacré au pari de Nelson Mandela sur la coupe du monde de rugby jouée en Afrique du sud en 1995. Bien que l’image des Springboks fût associée à l’apartheid et malgré la faiblesse de l’équipe nationale anémiée par des années d’exclusion des compétitions internationales, le tout nouveau président misa sur cet événement pour créer symboliquement un pays arc-en-ciel

Le patronyme de Morgan Freeman, homme libre, contient en soi le programme de vie de Nelson Mandela. L’acteur parvient à entrer totalement dans la peau de son personnage, au point que malgré la dissemblance physique, on croit voir « Madiba » lui-même. La silhouette est la même, grande, majestueuse. Comme Mandela, Freeman marche lentement, un peu à cause de l’âge, beaucoup parce qu’il est maître de son temps. Freeman, dont l’anglais est la langue maternelle, s’exprime comme Mandela dans un anglais impeccable mais étranger. L’étrangeté de la langue met en relief la profondeur des mots et la force des convictions.

Morgan Freeman incarne de manière brillante un aristocrate de l’esprit, un xhosa né d’une famille royale mais surtout un personnage apuré par 27 ans de résistance spirituelle et politique. Au cinéma Vue de Watford, le public a applaudi après la projection. Beaucoup de ces applaudissements s’adressaient à son extraordinaire performance d’acteur.

(Photo : Morgan Freeman dans le rôle de Nelson Mandela dans Invictus)