Un pédagogue pionnier en 1897

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L’autobiographie  « Architect Errant » de Clough Williams-Ellis contient une intéressante relation de son expérience, en tant qu’élève, des pratiques du pionnier de la pédagogie Frederick William Sanderson (1857 – 1922).

Quand en 1897 Clough entre au collège d’Oundle, un établissement scolaire du Northamptonshire créé trois siècles plus tôt, il doit s’habituer au chapeau melon, à la veste sombre et à la cravate. Le directeur de l’établissement est depuis cinq ans Frederick William Sanderson.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le courant ne passe pas avec le directeur. Celui-ci ne sait pas s’expliquer aux élèves, et ceux-ci jugent nombre de ses actes et de ses prises de position incroyablement fantasques. « Et qu’aurait-il eu à exprimer, écrit William Ellis, ce maître d’école à la volonté de fer qui parlait doucement ? Une croyance dans d’égales opportunités pour tous, dans la discipline, la satisfaction et l’utilité du travail dur, dans la coopération contre la compétition, dans l’éducation contre les succès aux examens, à la fraternité des hommes contre le patriotisme étroit, le service du genre humain contre le mise en avant de soi-même, dans une école de bons citoyens contre la petite aristocratie de l’enseignement et son sac de médiocrités.

Il haïssait caste et privilège avec leurs creuses vanités et cette inégalité de richesse qui leur donnait support et visage.

S’il avait été capable de se révéler plus clairement et complètement, il aurait trouvé en nous, j’en suis sûr, un groupe de garçons prêts et ardents à mettre en pratique active ses idées stimulantes. Mais l’intelligence hautement conventionnelle et terre à terre de l’écolier était incapable de faire le pont au dessus de vide non conducteur que le manque de cohérence du Maître laissait entre ses actes apparemment sans lien les uns avec les autres et quelque règle de vie et de conduite que ce soit. Sans une « Règle Révisée des Valeurs de Sanderson » et un « Charte de la Vie et des Services de Sanderson », nous, jeunes voyageurs, nous étions souvent tristement à la dérive et hors d’état de comprendre la signification de telle ou telle action ou de telles ou telles sombres paroles.

Il pouvait se mettre en colère, terriblement en colère(…) Lorsqu’il était en forme, ses leçons de science étaient pure joie. Il se mettait sur un coup de tête au niveau de la classe et s’associait à la recherche d’un morceau de connaissance nouveau (pour nous) avec un humour et une ingénuité qui faisaient de la démonstration une aventure intoxicante, un raid dans un territoire nouveau et inconnu qui, finalement, amenait notre objectif du matin à notre vue comme une révélation flamboyante. »

Photo : Oundle school en 2010, photo extraite de www.oundleschool.org.uk

White Material

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Le dernier film de Claire Denis, « White Material », nous emmène dans l’Afrique des machettes et des enfants soldats. Il est dérangeant, et inoubliable.

Maria Vial (Isabelle Huppert) gère une plantation de café dans une région troublée d’Afrique. Du domaine vivent aussi son ex-mari, André (Christophe Lambert), leur fils Manuel, le père d’André qui est propriétaire du domaine, ainsi que l’épouse africaine d’André et le fils qu’ils ont eu ensemble.

La région est agitée par une impitoyable guerre civile. Des bandes armées incluant de jeunes enfants sèment la terreur. Un hélicoptère de l’armée invite Maria à fuir, mais celle-ci s’entête. La récolte doit se faire dans les quinze jours ou sera perdue. Et où irait-elle en France ? Ici, elle est la reine. Face à l’adversité, les ouvriers qui quittent le domaine par peur de la catastrophe qui menace, l’essence qui se fait rare, le barrage routier qui la rançonne, elle se raidit et ne cède pas un centimètre de terrain. La violence n’est pas une chose nouvelle dans le pays, et puis elle est blanche, étrangère aux conflits ethniques locaux.

Mais précisément, la race devient un problème à mesure que les haines s’exaspèrent. La radio incite les auditeurs à s’en prendre au « matériel blanc », les possessions des blancs et leurs personnes elles-mêmes. Inflexible, Maria jette toute son énergie dans la survie de la plantation et ne se rend pas compte du danger qui plane. André et son père capitulent, vendent le domaine et préparent la fuite à leur insu. Prostré par l’angoisse, Manuel sombre dans la folie, s’arme de la carabine de son père, se joint à une bande armée puis met le feu au domaine et meurt dans l’incendie. Maria n’exerce le pouvoir que sur la plantation, et celle-ci est en train de sombrer. Elle est incapable d’influencer ses proches et ne peut empêcher leur désertion.

Le spectateur passe un mauvais moment avec ce film. L’anxiété monte peu à peu, à mesure que l’absurdité de la guerre se révèle. Les derniers amis de Maria, les pharmaciens, sont assassinés malgré leur garde armée ; leurs assassins avalent des poignées de gélules comme s’il s’agissait de bonbons. On sent venir le cataclysme comme une fatalité. Mais on est captivé par la capacité de Claire Denis à raconter le versant tragique de l’Afrique par un puissant langage cinématographique. Isabelle Huppert est magnifique, félin d’Afrique à la rousse crinière dans la savane rousse.

Photo du film « White Material »

Architecte Errant

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Le complexe architectural de Portmeirion, dans le nord du Pays de Galles, est répertorié par le Guide Vert comme une curiosité à ne pas manquer au Royaume Uni, au même titre que Stonehenge, Canterbury ou Edimbourg. C’est l’œuvre de Clough Williams-Ellis (1883 – 1978), dont l’autobiographie écrite en 1970 s’intitule « Architect Errant » (éditée par Portmeirion Limited).

Il y a en effet du Don Quichotte en Clough Williams-Ellis. La construction de la fantaisie architecturale de Portmeirion (un nom attribué par lui) à partir d’un hôtel existant s’est étagée sur des dizaines d’années. Il en fut à la fois le propriétaire, le promoteur, l’architecte, le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre. Il se battit pour la création du premier parc national en Grande Bretagne. Il s’opposa au démantèlement d’une colonie de congés payés voisine de sa maison, dont les bien-pensants craignaient qu’elle amène à la campagne les désordres des quartiers urbains prolétaires.

Du Chevalier de la Manche, Williams Ellis a aussi l’imperturbable liberté. Alors que sa clientèle de millionnaires est presque totalement Tory, il affiche ses sympathies pour les Libéraux et même les Travaillistes. Comme le Chevalier Errant, c’est un infatigable voyageur, même si c’est souvent sur la mer qu’il trace sa route. Comme lui, il est amoureux, mais sa Dulcinée, Amabel, est de chair et d’os : il écrira avec elle plusieurs livres.

Ce livre nous raconte une vie réussie à tous points de vue. L’auteur a exercé la carrière dont il avait rêvé très tôt dans l’enfance, l’architecture ou plus largement, comme il le dit joliment « l’impact visuel de notre pays ». Il a écrit des livres et d’innombrables articles. Il a été ami des personnalités les plus remarquables de ton temps. Il a laissé d’innombrables bâtiments, jardins, monuments. Il a été heureux en ménage et a eu trois enfants dont un fils, Christopher, mort sur  le champ de bataille de Cassino. Il dit à se propos : « nous décidâmes que puisque nous, ses parents, vivions, nous essaierions de le faire correctement et de garder la blessure pour nous ».

La clé de cette réussite est la confiance en soi. Etudiant en sciences naturelles à la prestigieuse université de Cambridge, Clough interrompt ses études, cherche sur l’annuaire l’adresse de l’académie d’architecture, s’y inscrit mais interrompt le cursus au bout de trois mois car il gagne un concours et a l’occasion d’appliquer immédiatement des connaissances qu’il n’a pas eu le temps d’acquérir.

Cette confiance est en grande partie héritée : un père ecclésiastique et universitaire, une mère dotée d’un solide sens artistique, des oncles militaires, industriels ou propriétaires fonciers, l’ancrage dans le Pays de Galles. Elle se consolide aussi au fil des années, avec l’expérience de la Grande Guerre, les projets architecturaux menés à bien malgré les vicissitudes, le Parc National de Snowdonia, et encore et toujours Portmeirion.

Le livre est écrit dans un style alerte et souvent plein d’humour. Je ne résiste pas au plaisir de citer un extrait du chapitre intitulé « école et vacances » : « Je me souviens avoir dépensé mon unique shilling dans un bazar pour écouter à travers un tube avec un écouteur un phonographe Edison – Bell. Sur la cire de son cylindre avait été gravé un chapelet de déplorables blagues américaines. Je fus si étonné et impressionné qu’après soixante quinze ans elles restent avec moi – hélas ! – mot pour mot ».

Photo : Clough Williams-Ellis

Cartes magnifiques

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 La bibliothèque Nationale (British Library) de Londres présente jusqu’au 19 septembre une exposition intitulée « magnificent maps ».

« Les cartes traitent rarement seulement de géographie. De belles cartes de valeur ont ornée les murs depuis l’époque romaine et même plus tôt, manifestant ainsi le pouvoir, le goût et l’influence de leurs propriétaires », dit le catalogue de l’exposition.

L’exposition n’est pas organisée chronologiquement, mais regroupe des cartes d’époques différentes selon le lieu où elles étaient affichées : la galerie d’un château, la salle d’audience, la chambre à coucher royale, le cabinet des curiosités, la rue, la maison du marchand, le bureau du Secrétaire d’Etat, la salle de classe.

Illustration : carte de Londres vue par l’artiste Stephen Walter, www.stephenwalter.co.uk.