Mariza

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 La chanteuse de Fado portugaise Mariza vient de donner deux concerts au Royal Festival Hall de Londres.

La silhouette de Mariza est reconnaissable, mince, immense, chevelure blonde coupée court, de longues mains qui définissent, griffent et caressent l’espace. Elle porte une longue robe noire, une couleur qui évoque l’Afrique de sa maman mozambicaine et dénote l’âme portugaise. Il y a trois sortes de tristesses en Europe, dit-on, la russe, la hongroise et la portugaise.

La voix de Mariza exalte la langue portugaise, qui a partie liée avec les océans : mouvements de houle au gré des diphtongues, vagues s’échouant chuintantes sur la grève, souffle des mots qui viennent doucement mourir sur une voyelle muette.

La chanteuse est accompagnée de cinq musiciens exceptionnels : trois guitaristes virtuoses du Fado, mais aussi un percussionniste et un pianiste trompettiste avec qui elle s’avance sur des territoires musicaux plus modernes. Ils sont tous si brillants que lorsqu’elle les laisse à certains moments seuls en scène, le public les applaudit à tout rompre.

Le public est enthousiaste. Il y a là beaucoup de Portugais, naturellement, des Espagnols, des Latino-américains. Les Britanniques sont nombreux. Le Portugal est l’une de leurs destinations de soleil favorites et ils ont adopté Mariza. Entre la salle et l’artiste le courant passe, et ce moment est électrique.

(Photo : Mariza, www.mariza.com)

Une histoire du monde en 100 objets

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La chaîne culturelle britannique BBC Radio 4 propose une série de conférences du Directeur du British Museum Neil McGregor sur le thème « une histoire du monde en 100 objets ».

Chaque conférence dure 15 minutes. Elle porte sur des objets de la collection permanente du Musée. Elle illustre le contexte géographique, économique, historique, socioculturel et artistique dans lequel un objet a été créé.

La série couvre une immense période, depuis des outils néolithiques de Tanzanie jusqu’à des bronzes chinois datant de 300 avant notre ère. Les visiteurs du Musée se voient proposer un plan des salles où sont exposés les objets. Chacun fait l’objet d’un affichage spécifique.

Les émissions de BBC Radio 4 peuvent être écoutées sur Internet, www.bbc.co.uk/ahistoryoftheworld.

(Photo British Museum : deux rennes nageant, objet trouvé à Montastruc, France, sculpté dans une corne de Mammouth lors de la période glaciaire, 13.000 ans avant notre ère)

Saison des pluies

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Dans Saison des pluies, Estação das chuvas (Edições Dom Quixote, 1996), José Eduardo Agualusa livre un passionnant témoignage sur des épisodes de la guerre civile qui a ensanglanté l’Angola pendant 27 ans jusqu’en avril 2002.

Le livre se présente comme la biographie romancée de Lídia do Carmo Ferreira, née en 1928 et disparue en 1992 lors d’une recrudescence de la guerre civile dans son pays, l’Angola. Militante, poétesse, professeur de littérature, Lídia alterna des périodes d’exil au Portugal, en Allemagne et au Brésil avec des retours plus ou moins longs au pays.

Il culmine en 1977, lorsque le régime du MPLA décide de se débarrasser des « fractionnistes ». Lídia se trouve enfermée à la prison São Paulo de Luanda en même temps qu’Agualusa et des militants, le plus souvent très jeunes, partageant la même cellule après avoir milité dans des camps parfois opposés. Le chef de cellule était « Zorro », dont l’auteur dit en 1975 : « dans les derniers 12 mois, il avait vécu plus que dans les 12 années précédentes : il était parti en exil, avait connu la femme de sa vie, était revenu d’exil, s’était impliqué dans la lutte politique, avait perdu la femme de  sa vie et avait fait la guerre ».

Il y a là Ángel, un mercenaire cubain engagé au service de l’UNITA contre l’armée de Castro engagée en Angola pour soutenir le MPLA. Tombé dans une embuscade, il prit l’identité d’un soldat cubain mort au combat et parvint à sauver sa peau. Il y a Santiago, élevé depuis l’âge de huit dans le bordel luandais « Luar das Rosas », devenu chanteur, puis commissaire politique. Santiago est affreusement torturé. Ramené dans la cellule, il dit à José Eduardo : « tu as peur, n’est-ce pas ? Ils m’ont dit que je ressemble à un fantôme sans visage. » Mais, écrit ce dernier, « je ne savais même pas à quoi il ressemblait. Ils lui avaient arraché les yeux, le nez et les oreilles ».  Il y a Francisco Borja Neves, un blanc passé à la révolution qui, quelque temps plus tôt, disait : « même la prison est une peine légère pour certaines personnes. La révolution exige la fermeté, il est nécessaire de fusiller pour éduquer ». On trouve ici l’écho des Brigades Rouges italiennes : « en frapper un pour en éduquer cent ».

Et il y a Lay, la jeune amante de José Eduardo. De retour d’un interrogatoire, « j’entendis crier mon nom. Je me retournai. Lay riait pour moi. Je vis ses dents briller entre les gencives. Elle recommença à crier : « lilas ! ». C’était notre code des couleurs. Jaune : situation difficile, danger, urgence. Bleu : ne dis rien, reste en silence. Noir : vas-t-en tout de suite ! Marron : il n’y a rien à voir. Lilas : splendide, tout va bien ! Nous avions appris cette sottise dans un quelconque manuel de lutte clandestine, mais cela ne nous avait jamais servi. » Lay, pourtant, l’avait adapté avec succès aux jeux de l’amour ».

José Eduardo ne reverra pas Lay. Il se rappellera les interminables réunions politiques, avant la prison et avant la torture, lorsqu’ils n’avaient qu’une hâte : se retrouver dans le grand lit de Lay. « Lay montait au dessus de matelas et tirait la moustiquaire(…) Je la voyais à genoux dans le lit, tirant sa chemise par-dessus de sa tête, le corps dressé. Et ensuite, me regardant à travers le filet. Nous mettions une cassette dans le magnétophone : « le pouvoir populaire / est le cœur de cette confusion ». C’était un boléro triste et mélancolique. « Les laquais de l’impérialisme prétendent en finir avec nous ». Lay m’attirait par la nuque avec ses doigts froids. Santaca chantait avec une voix magique « en avant, peuple angolais / soyez bien vigilants, ne vous laissez pas trahir ». J’embrassai son cou interminable, j’embrassai ses seins altiers. « Soyez vigilants car la lutte continue / l’avant-garde du peuple et le MLA ». Lay, les dents me mordant la poitrine. « Le MPLA est le peuple / le peuple est le MPLA »> Ma bouche dans sa bouche. Lay : « tu embrasses comme un gosse. » Je sentais sa bouche chaude, son ventre nocturne. « Les forces armées du peuple angolais / doivent être bien vigilantes ». Lay, anxieuse : « viens ! », ses ongles fichés dans mes côtes. Et Santaca qui chantait : « il faut continuer le travail politique et la promptitude combative et la grande défense de nos conquêtes. »

Photo de Morten Taravik, « Miss Landmine »,  prise dans le cadre d’un concours de beauté de femmes victimes des mines antipersonnel pendant la guerre civile, organisé en 2008 pour sensibiliser contre ces armements. Cité par http://ladyblogue.typepad.fr.

Hiver à Madrid

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Je propose aujourd’hui une lecture de « Hiver à Madrid », Winter in Madrid de C.J. Samson (Pan Books 2006).

Bernie Pipper, Sandy Forsyth et Harry Brett avaient été ensemble élèves en 1925 dans une « public school » anglaise,  Rookwood. Harry, laissé orphelin par la première grande guerre, adorait l’école. Bernie, d’origine prolétarienne, était boursier et s’y sentait marginalisé. Sandy, fils d’évêque rejeté par son père, en avait été exclu : il s’était juré de tracer à tout prix son propre destin, au mépris de l’hypocrisie ambiante.

En 1940, les trois hommes ont partie liée avec l’Espagne. Bernie a disparu au combat dans les rangs des brigades internationales pendant la bataille de la vallée du Jarama trois années auparavant. Sandy est un homme d’affaires prospère, engagé à Madrid dans un projet de prospection aurifère qui intéresse au plus haut point le nouveau régime. Il vit avec une infirmière anglaise de la Croix Rouge, Barbara Clare, qui avait eu avec Bernie une relation passionnée en 1937. Démobilisé après avoir été blessé dans la retraite de Dunkerque, Harry est envoyé à Madrid avec la couverture de traducteur de l’Ambassade britannique afin d’espionner les affaires de Sandy.

La vie à Madrid en ce glacial hiver 1940 est éprouvante. Samson emprunte à La Ruche, le chef d’œuvre de Camilo José Cela, l’ambiance de l’poque. A la faim et au froid s’ajoutent pour les partisans de la République l’humiliation de la défaite, la crainte des indicateurs de police qui s’infiltrent partout, la rage de voir les enfants de « mal-pensants » enlevés « pour le salut de leur âme » dans d’atroces orphelinats, la peur de marcher main dans la main dans la rue quand on n’est pas mari et femme. Dans les camps de travaux forcés, les Républicains meurent d’épuisement et de faim et les prêtres tentent de leur extorquer la conversion avant leur dernier souffle. Libéraux et Communistes ne se parlent pas.

Le contexte politique est instable. Encouragé par les Phalangistes, Franco est tenté de se ranger dans la guerre aux côtés d’Hitler afin de récupérer Gibraltar et le Maroc. L’Angleterre, maîtresse des mers, le tient à la gorge en laissant entrer l’approvisionnement au compte-gouttes et s’appuie sur les Monarchistes, qu’elle corrompt et manipule. La mission d’Harry s’inscrit dans ce contexte : il s’agit de savoir si le régime disposera de l’or qui lui permettrait de desserrer l’étreinte.

Harry ment à Sandy en se faisant passer pour un ami naïf et désintéressé. Barbara cache à Sandy l’opération dans laquelle elle est  lancée pour faire évader Bernie du camp où il est prisonnier, près de Cuenca. Harry cache à l’Ambassade son histoire avec Sonia, une jeune espagnole républicaine farouche et aimante. Qui manipule qui ? Qui tire les ficelles ?

Le livre de C. J. Sansom est sombre, non seulement par la description clinique qu’il fait d’un régime et d’une époque sans pitié, mais aussi parce que ce sont finalement les cyniques qui survivent, l’homme d’affaires véreux Sandy Forsyth et l’Ambassadeur égocentrique Hoare. Les doux, comme le Père Eduardo, aumônier du camp de Cuenca torturé par sa conscience, ou comme Harry lui-même, inconsolable de la mort de Sonia, sont des perdants. Seule Barbara, femme courageuse et indépendante, avance dans la vie, mais esseulée. On ferme donc le livre frustré de « happy end », mais avec dans le cœur un récit poignant et un témoignage lucide sur une Espagne dominée par des factions butées et intégristes qui n’ont peut-être pas tout à fait disparu du paysage politique espagnol.

(Photo Museo Reina Sofia, Madrid : Guernica, de Picasso)