The Ghost Writer

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Le dernier film de Roman Polanski, The Ghost Writer, est un excellent thriller qui fait écho à l’actualité de la Grande Bretagne.

La première scène de « The Ghost Writer » donne froid dans le dos. Un ferry arrive au port, de nuit sous une pluie épaisse. L’équipage s’active à faire débarquer les véhicules, mais un 4×4 BMW reste sur le pont sans passager. On découvrira plus tard son conducteur noyé rejeté par la mer sur une plage de l’île. On saura que cette île est située au large de Boston et qu’elle sert de refuge à Adam Lang, ancien premier ministre de Grande Bretagne.

Adam Lang est l’objet de manifestations incessantes d’opposants à la guerre d’Irak. Il est maintenant menacé de poursuites par le Tribunal Pénal International pour avoir autorisé des vols emmenant des hommes suspects de terroristes vers des centres de torture. Il vit reclus avec sa femme Ruth et son entourage dans une maison de béton et de verre ouvrant sur les dunes et sur l’océan. L’homme noyé est le « ghost writer », le « nègre » qui devait l’aider à rédiger ses mémoires.

Un autre nègre est embauché à prix d’or pour achever le travail commencé. Mais l’homme, joué par Erwan Mc Gregor, se rend compte de ce que son prédécesseur avait découvert une insupportable vérité : les liens de l’ancien premier ministre avec un agent de la CIA. Son pro-américanisme ne serait pas imputable à ses convictions, mais à une trahison. Peu à peu, le « ghost writer » se coule, épouvanté mais consentant, dans le destin qui avait conduit son prédécesseur à la mort.

L’atmosphère du film est oppressante du début à la fin, à cause de la captivité de Lang dans une île elle-même isolée et d’un climat hostile, froid et pluvieux. Les acteurs, en particulier Pierce Brosnan (Adam Lang) et Olivia Williams (Ruth Lang) sont magnifiques.

Photo du film « The Ghost Writer »

After the Dance

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Le National Theatre de Londres donne actuellement « After the Dance », une pièce écrite par Terence Rattigan en 1939 et mise en scène par Thea Sharrock.

 On fêtera l’an prochain le centenaire du dramaturge britannique Terence Rattigan (1911 – 1977). « After the dance » est empreinte de l’angoisse d’avant-guerre. Les trois actes se déroulent dans le salon de David Scott Fowler, un gentleman d’environ 35 ans qui tue le temps en buvant, en donnant des fêtes et en faisant mine d’écrire un livre historique. Sa femme Joan (magnifiquement jouée par Nancy Carroll) est au diapason. Elégante, brillante, elle en rajoute dans le registre de la futilité : la vie est un jeu, il ne faut rien prendre au sérieux, surtout pas l’amour.

David entretient son cousin Peter, censé dactylographier son livre sous la dictée. Il entretient aussi un ami, John Reid, qui professe une horreur rédhibitoire pour le travail sous toutes ses formes. Mais John s’avère un observateur pénétrant de ce qui se passe autour de lui. C’est ainsi qu’il se rend compte de l’attraction mutuelle de David et Helen, la jeune fiancée de Peter. Helen jure de réformer David, de lui faire abandonner la boisson et de le mettre au travail.

Joan fait la brave devant le naufrage de son couple, elle prétend désirer une vie de riche divorcée sur la Côte d’Azur, pousse même Helen à aller de l’avant. Mais derrière le masque, le rictus : Joan se laisse tomber d’un balcon, ivre, au cours d’une soirée dansante.

Quelques mois plus tard, David se retrouve seul. Il n’a pas fait le deuil de Joan et son ami John le quitte, lui et l’oisiveté, pour occuper à Manchester un emploi sous-payé. Il s’accroche désespérément à Helen, bien qu’elle s’applique de plus en plus à le remodeler, contre sa nature, en mari sobre et travailleur. John conseille à David de renoncer à Helen : il s’enfonce avec elle dans le mensonge du sérieux, come il avait auparavant entraîné Joan dans le mensonge de la frivolité. Il risque de tuer Helen comme il a tué Joan.

Rattigan dépeint une génération qui avait cru pouvoir se distraire de la première guerre mondiale mais dut affronter l’effroyable vérité de la seconde.

Illustration : affiche de « After the Dance »

Duane Hanson, le rêve américain

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Le Parc de la Villette à Paris présente une exposition consacrée au sculpteur américain Duane Hanson. Ses sculptures hyperréalistes mettent en scène des américains moyens, accablés par une vie qui ne correspond pas au rêve américain.

Duane Hanson (1925 – 1996) a principalement sculpté des personnes humaines en taille réelle, d’après des moulages qui permettaient à l’artiste de reproduire fidèlement jusqu’aux rides du visage. Mais son ambition, au contraire du Musée Grévin, n’était pas la ressemblance avec ses modèles. Il les choisissait délibérément quelconques. Son ambition était de saisir la personne humaine perdue et comme pétrifiée par son destin. Les personnages, des ouvriers, une femme de ménage, une meneuse de parade semblent épuisés, à bout de ressource. Figés comme au bord de la mort, ils expriment aussi le courage qu’il faut pour rester debout malgré tout.

Le catalogue de l’exposition, publié par Actes Sud, contient des textes magnifiques du philosophe et écrivain français Bruce Bégout. Voici un extrait du commentaire de Man with Walkman, œuvre réalisée par Duane Hanson en 1989.

« Un flot de graisse qui enfle, déborde de touts parts et enserre le corps rendu gourd et maladroit. L’obésité (…) est symbole d’une obésité sociale, spirituelle, charnelle qui s’affiche partout sans vergogne. (…) (Le corps) stocke trop de calories en prévision en prévision d’activités grandioses qui ne verront jamais le jour – c’est là l’aspect comique de l’obésité : le gaspillage d’une énergie sans usage (…) Comme si l’individu, prévoyant de futures pénuries se constituait des réserves à même la chair. Au cas où. (…) On comprend pourquoi, dès lors, les personnages de Hanson se figent sur place et donnent l’impression de ne plus pouvoir bouger. Le trop-plein d’énergie qu’ils ont emmagasinée les empêche de se mouvoir. Leur obésité, synonyme de pouvoir, d’abondance, de richesse, se convertit en fixité. Et à la fin, leur corps balourd cloué sur place perd tout lien avec le monde, les enfermant dans leur prison de graisse. »

Illustration : Man on mower, Duane Hanson 1995.

Magie d’un monde souterrain

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Ce texte a été écrit en 2002 à Madrid. Il a inspiré ma première encontre avec Corinne Dauger, dont « transhumances » a rendu compte de la récente exposition à Paris, « Oscillations ».

La correspondance entre les lignes 4 et 5 du métro de Madrid à la Station Diego de León a triste réputation. On emprunte un escalier à angle droit, on parcourt un interminable couloir lugubre. On tente ensuite de descendre sur le quai, lorsqu’on n’en est pas empêché par le flot contraire des voyageurs qu’une rame vient soudain de libérer.

La correspondance de Diego de León est blanche de céramique, sent le désinfectant, dilate  le temps, éprouve les nerfs. Elle se présente ainsi du moins pour qui ne sait la regarder, prendre son pouls, se mouvoir à son rythme.

Car ce monde souterrain est plein de couleurs. Hommes et femmes, blancs, indiens et noirs, s’y croisent vêtus de costumes de ville, de bermudas, de minijupes et de jeans. Une jeune beauté en pantalon moulant laisse admirer son ventre bronzé et se protège de l’improbable soleil par des lunettes de star. Une autre élégante en sari noir et blanc couvre ses cheveux d’un discret fichu. Des affiches polychromes annoncent la sortie d’un film et vantent des articles de mode.

Ce monde bruit des claquements aléatoires de pas sur le sol, de chuchotements échangés et d’éclats de rire partagés. Guitaristes, accordéonistes, flûtistes se disputent cet auditorium improvisé, et leur absence donne au silence une dimension irréelle.

Ce monde est en mouvement. En de rares et éternels moments, des passantes magnifiques habitent l’espace comme la passerelle d’un défilé de mode. Elles avancent d’un pas ondoyant et sûr, conscientes de leur séduction et insouciantes du regard d’autrui.

A la correspondance de Diego de León, le plomb se change en or, le silence en mélodie et le déplacement de masse s’ouvre sur un instant de grâce.

Illustration : Corinne Dauger, « Let them go », www.corinnedauger.com