Le déjeuner du quinze août

La chaine de télévision britannique BBC4 a eu la bonne idée de programmer le 14 août le film réalisé par Gianni di Gregorio « le déjeuner du 15 août ».

 « Ferragosto », le 15 août en Italie, est un jour de fermeture totale des magasins et des services publics. Il faut sortir des villes pour trouver de quoi s’approvisionner à un Autogrill au bord d’une autoroute. Gianni, quant à lui, se fait conduire en vélomoteur par son ami « le Viking » jusqu’au bord du Tibre où un pêcheur du dimanche consent à lui vendre ses prises. Car Gianni a une urgence : quatre vieilles dames sont chez lui et ont décidé à l’improviste que le déjeuner de Ferragosto serait festif !

 Gianni, un célibataire d’environ soixante ans, a pour métier de s’occuper de sa vieille mère. C’est un métier peu lucratif, car les dettes s’accumulent et le petit vin blanc consommé tout au long de la journée se paie à crédit. C’est aussi un métier épuisant, que l’on pourrait qualifier d’esclavage consenti : pas de jour de repos, cuisine, repassage, courses, lecture à haute voix… Pourtant, Gianni y met du cœur. Il exulte la bonne humeur, même si l’on sent bien qu’elle est parfois forcée.

 Le syndic de l’immeuble lui demande, en échange de l’annulation de quelques dettes, de prendre sa mère chez lui pendant le week-end du 15 août. En réalité, celle-ci arrive flanquée d’une vieille tante. L’effectif est complet lorsque le médecin de famille, à son tour, dépose sa maman avec une liste impressionnée de mets à éviter et de médicaments à avaler.

 Les premières heures de cohabitation sont difficiles, avec entre autres une bataille pour contrôler le vieux téléviseur. Mais très vite une complicité s’instaure entre les quatre vieilles femmes, qui se trouvent si bien ensemble qu’elles fêtent Ferragosto dans la joie et annoncent à Gianni qu’elles ne se sépareront plus.

 Le film est remarquable par la délicatesse du portrait des vieilles femmes, adorables, agaçantes, vraies, touchantes. Gianni di Gregorio, l’auteur et metteur en scène du film joue le rôle de Gianni, et on sent bien que le film a quelque chose d’autobiographique.

 Illustration : affiche du Déjeuner du Quinze Août en anglais.

Noces Royales

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Dans The Guardian du 30 Avril, Martin Rowson livre une délicieuse interprétation du mariage entre le Prince William et Kate Middleton, célébré la veille à Westminster devant un million de spectateurs à Londres, vingt trois millions de téléspectateurs en Grande Bretagne et plusieurs centaines de millions dans le monde.

« Ne regardez pas en bas ! » exhorte le dessin. En bas, la terre est un volcan en effervescence. Les participants à la noce s’avancent sur une passerelle suspendue dans un ciel irréel. On reconnait les jeunes mariés, la Reine et la famille royale, l’horrible petite demoiselle d’honneur boudeuse, l’Archevêque de Cantorbéry, un émir, David Cameron et George Osborne.

La particularité de cette passerelle, c’est qu’elle est constituée de langues entremêlées. A droite du dessin, on voit les commentateurs vedettes de la télévision, postés devant une forêt d’objectifs. C’est à leurs langues qu’est amarrée la passerelle.

Puissance de la caricature ! En Grande Bretagne, les noces royales ont été vécues dans la joie : joie d’un long week-end de trois jours allongé d’une journée pour l’occasion ; joie d’un cérémonial parfaitement orchestré dans ses moindres détails ; joie des vêtements somptueux, des fanfares, des couleurs, des carrosses ; joie trouble du jeu des célébrités et des stars. Ce que Martin Rowson nous dit, c’est qu’il s’agit d’un spectacle, conçu et réalisé par et pour la télévision. Ce spectacle parle aux gens parce qu’il s’enracine dans une tradition qui résonne dans leur tendre enfance, parce qu’un mariage de jeunes qui semblent s’aimer d’amour est émouvant, parce qu’il fait rêver d’une autre vie. En ce sens, les noces royales sont connectées avec la vie des gens. Mais elles sont d’abord et avant tout une production médiatique.

Illustration : The Guardian, caricature de Martine Rowson, The Guardian, 30 avril 2011.

Abraham Lincoln, saint ou pécheur

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La chaîne de télévision britannique BBC4 vient de programmer un documentaire sur la personnalité d’Abraham Lincoln : « Abraham Lincoln, saint or sinner ? ».  Il fournit un éclairage intéressant sur un moment clé de l’histoire des Etats-Unis.

Abraham Lincoln (1809 – 1865) est vénéré comme un demi-dieu aux Etats-Unis, l’émancipateur des esclaves, le père de la nation. Le candidat Barak Obama s’est souvent référé à lui pendant sa campagne pour l’élection présidentielle.

Le documentaire diffusé par BBC4 s’interroge sur la véritable personnalité de Lincoln. Des nostalgiques des Etats Confédérés lui reprochent sa brutalité dans l’écrasement de la sécession ; des historiens rappellent qu’il était convaincu de l’inégalité des races et que s’il souhaitait la disparition de l’esclavage pour des raisons économiques, il était aussi partisan de déporter les noirs dans des colonies hors des Etats-Unis ; ils lui reprochent aussi le non respect des engagements pris à l’égard des Sioux et  la répression féroce qui suivit leur révolte.

La référence aux Sioux donne une clé de la guerre de Sécession. Au milieu du dix-neuvième siècle, c’est la ruée vers l’ouest. Les émigrés arrivés dans la Nouvelle Angleterre rêvent d’acquérir une terre qu’ils puissent cultiver ; les grands propriétaires du sud ont le projet de constituer de grands domaines où ils feront travailler la main d’œuvre gratuite dont ils disposent, les esclaves. Les deux modèles sont antagonistes : l’agriculture familiale ne peut survivre si elle fait face à la concurrence de grandes exploitations esclavagistes.

Le Parti Républicain et Lincoln s’accommodent très bien de l’esclavage tant qu’il est cantonné au Sud. Ils sont en effet convaincus de l’inégalité des races, et ne voient pas d’objection à ce que les noirs soient relégués à un statut inférieur. Mais ils s’opposent à sa généralisation au Nord et son exportation à l’Ouest du continent américain pour des raisons économiques : l’esclavage fausse la concurrence.

Les Etats du Sud font sécession et créent une Confédération. La guerre qu’ils déclenchent en 1861 tourne mal pour l’Union. En tant que Commandant en Chef, Lincoln a une idée géniale : proclamer l’émancipation des esclaves. Cette manœuvre militaire a des résultats inespérés. Au sud, l’économie est désorganisée ; des milliers de noirs rejoignent l’armée Unioniste. En 1865, l’armée confédérée capitule. Lincoln est étonné par la vaillance de ses soldats noirs ; ses préjugés racistes se fissurent.

Lincoln mourut assassiné quelques mois après la capitulation des sécessionnistes, un vendredi saint : tout se conjuguait pour le faire accéder au statut de Saint. Le documentaire de BBC4 montre qu’il ne fut pas un saint, mais un homme conditionné par les préjugés de son temps qui, confronté à des circonstances exceptionnelles, sut prendre des décisions courageuses et accepter de réviser des idées reçues.

Cent ans après la déclaration d’émancipation, Martin Luther King prononça son fameux discours « I had a dream ». Le début du discours est peu connu. Il dit qu’en 1863 le gouvernement américain tira un chèque au bénéfice de ses citoyens esclaves, mais qu’il se révéla sans provision. Il réclama que la dette soit, enfin, payée.

Illustration : photo d’Abraham Lincoln.

Raconter la pierre

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La chaîne culturelle britannique BBC4 présente une série d’émissions intitulée « Romancing the Stone : The Golden Ages of British Sculpture », « Raconter la pierre, les âges d’or de la sculpture britannique ».

L’émission est réalisée et présentée par l’historien de l’art Alastair Sooke. Deux séquences m’ont particulièrement frappé.

La Cathédrale de Wells, non loin de Bath, est célèbre pour les statues qui ornent son portail ouest. On voit et on admire aujourd’hui la pierre nue. Mais lorsque la cathédrale fut construite, les statues étaient peintes de couleurs aussi flamboyantes que celles des vitraux. Les procédés numériques permettent aujourd’hui de restituer virtuellement ces teintes éclatantes. L’effet est saisissant : on se sent soudain transporté dans un univers esthétique voisin de celui des temples hindous les plus lumineux et étincelants.

La BBC nous emmène aussi visiter l’église de Ewelme, dans l’Oxfordshire. Elle conserve un gisant en marbre d’Alice de la Pole, de 1475. Elle est présentée en habits de cérémonie, les mains jointes. Ce qui est exceptionnel, c’est la statue de son cadavre, nu, décharné, tordu par la souffrance et la peur de la mort, dans le caveau sous le gisant. Il y a là comme une allégorie de la dualité de la vie des personnages riches et célèbres : sous la posture publique gît une nature rongée par l’angoisse. Le message officiel est optimiste : la foi et l’espérance ont le dessus sur la maladie et la mort. Alice a souffert, mais sa piété lui gagne une éternelle sérénité.

Illustration : Cathédrale de Wells, http://www.britannia.com/history/somerset/churches/wellscath.html. Site Internet de l’émission : http://www.bbc.co.uk/programmes/b00ydp2y