Joan Baez en concert

Nous avons assisté à Oxford à l’un des concerts de la tournée européenne de Joan Baez.

 Le New Theatre d’Oxford joue ce soir à guichets fermés. La majorité de l’assistance avait quinze ans dans les années soixante dix quand la jeune chanteuse donnait une voix à la protestation contre la guerre du Vietnam. La voix de Joan Baez les a accompagnés quand ils sont devenus adultes ; ils la retrouvent inchangée au seuil de la vieillesse. Joan Baez a chanté pour Solidarność, pour Sarajevo, pour Bagdad et maintenant pour Occupy Wall Street.

 Le tour de chant dure deux heures. Joan s’accompagne elle-même à la guitare. Deux musiciens partagent avec elle la scène, un percussionniste et un multi-instrumentiste qui passe du banjo au clavier et à l’accordéon. Les chansons interprétées par Joan Baez sont enracinées dans une profonde foi religieuse et dans la protestation sociale. Ce qui les rend exaltantes, c’est la pureté cristalline d’une voix qui transporte l’auditeur d’ici-bas au royaume de l’esprit et du souffle : « the answer my friend is in the wind »…

 Parmi les chansons qui m’ont le plus marqué au cours de cette soirée, je citerais God is God de Steve Earle, la ballade de Marie Madeleine de Richard Shindell, le fameux « God on our side » de Bob Dylan et Gracias a la Vida, un formidable hymne à la vie.

 Photo The Guardian : Joan Baez en concert.

Reasons to be cheerful

Le Palace Theatre de Watford vient de présenter une étonnante production du théâtre GRAEE : « reasons to be cheerful », des raisons pour être joyeux.

 Il s’agit d’une comédie musicale construite à partir de chansons du groupe punk  Blockheads et des son compositeur Ian Dury, mort en 2000 du cancer à l’âge de 58 ans. Un groupe d’amis d’un quartier populaire d’une ville anglaise rêve d’assister au « gig » (concert géant) des Blockheads, en compagnie du père de l’un d’eux, aveugle et paralysé, qui prétend que les Tories lui ont inoculé le cancer. Hélas, le concert se joue à guichets fermés. Avec la complicité de l’ex petite amie d’un jeune fortuné, la fine équipe s’empare de billets. Mais l’expédition s’achève sur une plage, après que la voiture est tombée en en panne. Le vieil homme renoue avec les sensations de ses vacances d’enfant, au même endroit.

 Les chansons de Ian Dury, écrites pour la plupart dans les années soixante dix et quatre vingt, ont une forte connotation sexuelle (Sex, drug and Rock n’ Roll, Hit me with your rhythm stick). Elles parlent de l’humiliation des handicapés (Spasticus Autisticus) et de celle de ceux qui ne trouvent pas leur place dans la société (What a waste). Le titre de la pièce est celui d’une des chansons à succès du groupe. La plus émouvante est probablement « my old man », où Dury évoque la figure de son père, chauffeur d’autobus puis de Rolls Royce, qu’il a à peine connu.

 La troupe nous offre deux heures de musique trépidante, jouée et dansée par des acteurs étourdissants. Ce qui est véritablement unique, c’est le casting. La plupart des acteurs sont handicapés. Le chanteur John Kelly, qui a une voix magnifique, se déplace en fauteuil roulant. Stephen Collins est malentendant. Nadia Albina n’a qu’un bras et ne cherche pas à cacher son moignon. GRAEE a fait de l’accessibilité du théâtre sa raison d’être. Quand on voit l’énergie et la joie de jouer des acteurs, on admire sa magnifique réussite.

 Ian Dury avait lui-même été victime de la polio pendant son enfance et était handicapé. Il avait soutenu le GRAEE dans ses premières années. Je n’aurais probablement pas connu ou apprécié ses chansons, avec leur rythme échevelé et un texte âpre bouillonnant en cascades, sans la comédie musicale de ce soir. C’est pour moi une découverte, émouvante et forte.

 Photo de « Reasons to be cheerful ».

Aïda au Royal Albert Hall

Le Royal Albert Hall produit actuellement l’opéra « Aïda » de Giuseppe Verdi.

 Le Royal Albert Hall et l’opéra « Aïda » de Verdi sont exactement contemporains : ils datent l’un et l’autre de 1871. L’une des plus fameuses salles de spectacle au monde offre à Verdi un cadre majestueux. Pour ne rien gâcher, la sonorisation est parfaite, ce qui relève de l’exploit dans un si vaste espace.

 Le metteur en scène Stephen Medcalf a choisi de nous faire partager le regard d’une égyptologue anglaise du dix-neuvième siècle, Amelia Edwards. Ce parti pris se défend, car le livret d’Aïda a été élaboré à partir d’une histoire écrite par un autre égyptologue, le Français Auguste Mariette. Amelia supervise des fouilles archéologiques et s’imprègne si profondément de son histoire que les personnages, Aïda, fille du roi d’Ethiopie captive du roi d’Egypte, Amneris, fille de ce dernier, Radames, commandant de l’armée égyptienne, prennent vie devant elle. Le décor de ruines amplifie le drame ; la forme elliptique de l’auditorium rend les cinq mille spectateurs tout proches ; des images projetées, le Nil, le désert, les pyramides, l’amplifient.

 Cette superproduction, avec costumes inspirés de l’époque et chorégraphie moderne, pourrait verser dans le kitsch. Elle ne tombe toutefois pas dans ce travers, en partie grâce aux interprètes, les chanteurs et le Royal Philarmonic Orchestra, et surtout par la magie de l’œuvre de Verdi. Le sort des prisonniers éthiopiens à la merci du roi d’Egypte et celui de Radames, condamné pour trahison à mourir enseveli vivant dans son tombeau évoquent immédiatement la population martyre de Homs, livrée à la barbarie du tyran de Damas. Le trio final du triangle amoureux, Aïda et Radames dans la tombe, Amneris à l’air libre mais désespérée, est bouleversant.

Hommage à Klaus Nomi

Le Southbank Centre de Londres a produit le 11 février un concert de la compositrice autrichienne Olga Neuwirth, qui incluait un hommage au contre-ténor Klaus Nomi.

 Nous avions rencontré la personnalité de Klaus Nomi (1944 – 1983) dans l’exposition sur le post-modernisme. Son excès dans l’exubérance et la spectacularisation était présenté comme emblématique de l’esthétique des années soixante-dix. La compositrice autrichienne Olga Neuwirth, née en 1968, lui rend hommage avec une série de neuf chants directement inspirés de son œuvre. Ils sont interprétés au Queen Elisabeth Hall par le contre-ténor Andrew Watts et l’orchestre London Sinfonietta. On y retrouve l’esprit de Nomi, puisant son inspiration dans Purcell comme dans Marlene Dietrich et produisant une musique décalée et puissamment originale, avec l’objectif affiché de rendre le bizarre familier et vice-versa.

 Le concert s’ouvrait par « five daily miniatures », cinq courts chants inspirés de textes de Gertrude Klein. Le premier contact avec la voix d’Andrew Watts, si aigüe qu’il semble impossible qu’elle émane de son massif corps masculin, et avec le Sinfonietta Orchestra, expert dans l’art de rechercher jusque dans la mécanique d’un piano à queue des sonorités inouïes, provoque un fou-rire dans notre petit groupe, camouflé à grand peine dans les écharpes mais provoquant tout de même le regard courroucé et légitime de notre voisin.

 Le second morceau du programme était un concerto pour trompette et orchestre intitulé « …miramondo multiplo … » avec pour soliste Alistair Mackie. Comme l’hommage à Klaus Nomi, le concerto contient de multiples références, par exemple à Haendel ou Miles Davis. Mais c’est la richesse des sonorités qui frappe. En même temps qu’elle accomplissait sa formation musicale à Vienne, Olga Neuwirth étudiait l’électro-acoustique. Sa musique oscille de l’harmonieux au dissonant, comme la vie.

 La soirée consacrée par le Southbank Centre à Olga Neuwirth et, grâce à elle au souvenir de Klaus Nomi, nous a étonnés et envoûtés.

 Photo : Klaus Nomi.