Musique malienne au Barbican

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Le Mali était à l’honneur hier soir dans l’immense auditorium du Barbican à Londres.

La star du concert était le groupe Bassekou Kouyate & Ngoni Ba qui suscita l’enthousiasme par son rythme époustouflant, par la qualité et l’étrangeté du son des calebasses et des ngonis (instrument à cordes à caisse étroite) et surtout par la joie des musiciens sur scène. Leur musique est profondément enracinée dans la tradition griotte. Elle résulte aussi d’un effort pour rendre cette tradition intelligible par des auditeurs du monde « globalisé ». « Il n’existait pas de théorie musicale de base du ngoni, et les vieux griots avaient leur propre façon de se référer aux notes, dit Bassekou Kouyate. J’ai travaillé à mettre en place un cadre de sorte que les notes sont maintenant reliées aux gammes occidentales et il est possible à des personnes hors de notre monde musical d’apprendre à jouer le ngoni ».

C’est ce même travail interculturel qui m’a fasciné dans le récital de Ballaké Sissoko à la kora, (instrument à cordes de la taille d’un homme avec à sa base une caisse sphérique) et Vincent Ségal au violoncelle. J’avais acheté et aimé leur disque, « Chamber music ». Les deux hommes son assis côte à côte, Ballaké dans un boubou d’un blanc éclatant, Vincent dans un classique costume – cravate gris.

Ballaké Sissoko est issu d’une famille de griots mandingues. La conversation musicale entre les deux artistes est d’une grande délicatesse. Un thème développé par Ballaké à la kora est interprété par Vincent au violoncelle avec une couleur différente, mais fidèle jusque dans les nuances. Leur musique invite au recueillement, à la méditation de ce qui nous distingue et de cette mélodie universelle qui nous réunit.

Illustration : pochette du disque « Chamber Music ».

Concert en l’église St Paul de Deptford

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A l’invitation de Dominique Chambrin, nous avons assisté à un concert de chant choral dans la magnifique église baroque de St Paul à Deptford, près de Greenwich.

Un moyen commode de se rendre du centre de Londres à Greenwich est la ligne régulière de catamarans qui embarque à Embankment près de Westminster et passe par Tower Bridge et « La Défense » londonienne, Canary Wharf. Nous nous rendons au concert des chorales jumelées de Lewisham (près de Greenwich dans la banlieue sud de Londres) et d’Antony (dans la banlieue sud de Paris).

La première bonne surprise est l’église St Paul, construite entre 1712 et 1723 par Thomas Archer dans un style baroque italien. On y accède par un portique de colonnades corinthiennes. A l’intérieur, de grandes verrières laissent entrer la lumière. L’église a été restaurée récemment. Nous sommes accueillis par un prêtre en soutane noire, la tête couverte d’une barrette dans le plus pur style romain, bien que la paroisse soit anglicane ; il arbore une fière queue de cheval dont la liberté contraste avec l’austérité de son uniforme.

Une autre surprise est le nombre de choristes, plus de 150, qui remplissent l’espace harmonieux de l’église de leur souffle. Ils interprètent principalement des œuvres de Benjamin Britten et Gabriel Fauré, alternativement sous la direction du maître de chœur anglais et français. L’amitié franco-britannique a été célébrée le 18 juin, anniversaire de l’appel du Général de Gaulle, par le Premier Ministre britannique et le Président français. Elle s’exprime ici par la musique.

Le principal morceau est le Requiem de Fauré. Le Pie Jesu est  interprété d’une voix critalline par la jeune soprano Marie Simonnet. C’est magnifique.

Photo Wikipedia : église St Paul à Deptford.

Concert au Royal Festival Hall

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Nous avons assisté le 20 mai à un concert au Royal Festival Hall de Londres. Au programme, Bernstein, Barber et Prokofiev.

Le site du Royal Festival Hall au bord de la Tamise est remarquable. On y accède depuis la station de métro Embankment par une passerelle qui offre une vue magnifique sur la City. C’est le premier jour de vrai printemps, et la foule est nombreuse, nonchalante, heureuse. Les concerts à Londres ont en général lieu vers 19h30, ce qui permet de dîner en ville avant de reprendre sans stress le métro ou le train pour rentrer chez soi.

Le programme de ce soir est proposé par le Philarmonia Orchestra, dirigé par le jeune chef d’Orchestre ukrainien Kirill Karabits. Il interprète des œuvres de Bernstein, Barber et Prokofiev. Le moment le  plus le émouvant est le concerto pour violon op. 14 composé par Samuel Barber en 1939.

Kirill Karabits est habité par la musique, qu’il interprète sans partition. Jusqu’à l’extrémité de ses doigts, son corps exprime jusqu’à la moindre nuance, de la violente entrée en scène des percussions à la délicate ondulation d’instruments à cordes. Le violoniste Gil Shaham semble comme un ange, surhumain dans sa virtuosité et sa sensibilité, comme plongé dans une attitude contemplative.

Photo : Kirill Karabits

Pourquoi pleurons-nous les chanteurs disparus ?

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La médiatrice du journal Le Monde, Véronique Maurus, a écrit le 27 mars un article intitulé « Ferrat l’intouchable ». Elle s’interroge sur la raison de l’immense émotion suscitée par la disparition du chanteur.

 Véronique Maurus évoque deux types de réactions. Certains lecteurs déplorent le ton critique de la nécrologie rédigée par Bruno Lesprit. D’autres regrettent la – relative – discrétion du journal sur l’événement.  « Le traitement de cette disparition n’était pourtant pas anormal, s’agissant d’un artiste très populaire mais absent des studios depuis seize ans. En consacrant à Jean Ferrat une pleine page, dans une édition particulièrement dense, un lendemain d’élections, Le Monde a fait autant qu’après la mort de Claude Nougaro, en 2004, ou d’Eric Rohmer, en janvier, et plus que pour Georges Wilson, en février. (…)

Le Monde n’a donc, selon ses critères habituels, ni « sous-traité » ni « mal traité » le décès de Jean Ferrat. Pourquoi, dès lors, ce reproche global, diffus et pour le moins inhabituel d’être resté trop distancé, trop froid ? Comme si la mort, gommant d’un coup tous les accrocs d’une vie ou d’une œuvre, ne souffrait que le dithyrambe.

Les critères habituels, en l’occurrence, n’étaient peut-être pas suffisants, tant l’émotion provoquée par cette disparition dépasse la norme et la dimension d’un chanteur, même engagé. Jean Ferrat, à l’évidence, incarnait autre chose, la nostalgie d’une époque parée, dans l’imaginaire collectif, des vertus d’un âge d’or. On s’en aperçoit après coup. L’aurait-on anticipé, fallait-il pour autant entonner le chœur général des louanges en oubliant toute réserve ? Et, dans ce cas, les reproches – inverses – n’auraient-ils pas été tout aussi nombreux ? »

Pourquoi le décès de Jean Ferrat nous a-t-il davantage touché que celui de Georges Wilson ? C’est probablement parce que le théâtre nous impressionne à un moment donné, alors que les chansons nous accompagnent tout au long de notre vie, au plus profond de la mémoire : « comme au passant qui passe on reprend la chanson », chantait-il. Les belles chansons nous collent à la peau, font partie de notre identité.

Les chanteurs définissent plus que tout autre critère l’identité nationale. Les Beatles ou Bob Dylan ont une renommée mondiale. Mais la plupart des chanteurs ne sont connus que dans leur pays. Pas un mot de la disparition de Jean Ferrat dans The Guardian (Grande Bretagne). Pas un mot dans La Repubblica (Italie). Seul El País lui a consacré un bel article, signe d’une proximité culturelle entre la France et l’Espagne probablement scellée par la résistance au franquisme. Le chanteur nous touche parce que ses chansons définissent précisément qui nous sommes en tant que peuple, parmi d’autres peuples.

Je profite de cette chronique pour faire la promotion du chanteur wallon Julos Beaucarne, dont les chansons contribuent à me définir depuis trente cinq ans.

Photo : enterrement de Jean Ferrat à Antraigues sur Volane, Ardèche, le 16 mars 2010