La Chine au secours de l’Euro

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La Chine a fait connaître son intention de soutenir l’Euro. Ceci la fait indiscutablement apparaître comme une puissance économique mondiale.

En novembre dernier, le Président chinois Hu Jiantao a fait un voyage officiel dans deux pays européens, la France et le Portugal. Pourquoi avoir choisi le Portugal, pays de dix millions d’habitants loin du niveau de prospérité moyen de l’Union Européenne ? L’ancienne colonie portugaise en Chine, Macau, est aujourd’hui transformée en casino géant et ne justifie probablement pas une telle attention !

La récente visite du vice premier ministre, Li Keqiang, en Espagne et dans d’autres pays européens, permet de mieux comprendre le surprenant détour par Lisbonne de son président. La Chine ne veut pas que l’Euro explose. Pour la sécurité de ses réserves en devises, elle ne veut plus les investir seulement en dollars. Elle achète d’ores et déjà des milliards d’euros de dettes des pays les plus fragiles de la zone Euro, dont le Portugal, et on estime qu’elle détient déjà 10% de l’ensemble de la dette nationale émise par l’Espagne. La Chine a besoin d’alliés dans le bras de fer qui l’oppose aux Etats-Unis, qui l’accusent de sous-évaluer systématiquement sa monnaie, le renminbi : elle présente le Portugal et l’Espagne comme ses « meilleurs amis ».

La Chine est aussi intéressée par les connexions de l’Europe avec les pays en développement. Li Keqiang a ainsi signé à Madrid un accord pour la vente de 40% du capital de la filiale du pétrolier espagnol Repsol au Brésil. La visite au Portugal s’inscrit dans la même logique. La Chine est un investisseur important en Angola et le premier importateur de biens produits au Brésil : or, les milieux d’affaires portugais sont particulièrement bien introduits dans ces deux pays.

La Chine avance ses pions sur l’échiquier économique mondial. C’est bon pour l’Euro et pour la croissance en Europe. A terme, c’est le basculement à l’est du pouvoir financier qui se confirme.

Photo : le président chinois Hu Jiantao et le premier ministre portugais José Socrátes à Lisbonne en novembre 2010.

L’Espagne, un leader des énergies renouvelables

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 Dans un article de The Guardian paru le 29 décembre, Stephen Burgen indique que l’Espagne vient, pour la première fois, d’exporter de l’énergie vers la France, et que la part des énergies renouvelables est en forte croissance.

L’Espagne importe traditionnellement de l’électricité de la France. Pour la première fois en novembre, la France a du importer de l’électricité espagnole pour compenser la baisse de production occasionnée par les grèves contre la réforme des retraites.

L’électricité espagnole est de plus en plus produite à partir d’énergies renouvelables. En 2010, la part de l’énergie hydro-électrique, éolienne et solaire représente 35% de la demande espagnole. Cela est du à des pluies abondantes et à des vents soutenus, mais aussi à l’installation de nouvelles capacités.

L’énergie éolienne s’est accrue de 18.5% en 2010 et couvre 16% de la demande, seulement 3% de moins que le nucléaire. Le solaire est en retard et ne représente que 3% de la demande, mais d’importantes capacités sont en cours d’installation.

Depuis des années, le gouvernement encourage le développement des énergies renouvelables. Cela correspond à une caractéristique géographique d’un pays où le vent et l’ensoleillement sont abondants. C’est aussi un encouragement à une industrie de pointe, à un moment où le modèle de développement fondé sur l’immobilier connaît une crise profonde.

Stephen Burgen note pourtant que le « verdissement » du réseau électrique espagnol n’a pas profité aux consommateurs, qui font face à une augmentation des prix de 9% en  2011, austérité budgétaire oblige.

Illustration : graphique de la puissance éolienne installée en Espagne, par année et cumulée. Asociación Empresarial Eólica Española, http://www.aeeolica.es

Voyage en Alcarria

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Pour rester dans l’ambiance espagnole et nous faire penser à l’été, voici une lecture du beau récit de Camilo José Cela, Viaje a la Alcarria (1946 et 1965, De Bolsillo).

En lisant « Voyage en Alcarria », j’éprouve de la jalousie. J’aimerais écrire un tel livre qui n’est pas un roman, dit son auteur, mais une géographie. Je dirais quant à moi : la chronique du passage au travers d’un pays modelé par le labeur de ses habitants, que l’on ne peut comprendre qu’au fil de rencontres simples, éphémères et vraies.

Agé de trente ans, Camilo José Cela voyagea dans l’Alcarria (provinces de Guadalajara et Cuenca), sac au dos, du 9 au 15 juin 1946, notant au passage ce qu’il observait. Bien que plusieurs fois retravaillé par la suite et stabilisé dans sa version définitive vingt ans plus tard, le texte garde une fraîcheur et une justesse exceptionnelles. S’il a pour cadre une Espagne disparue, agricole et miséreuse, il nous touche aujourd’hui encore par la beauté de la langue castillane et par la curiosité intellectuelle du voyageur qui se rend totalement disponible à ce qui vient et s’efforce de le restituer avec la plus grande objectivité possible.

A la sortie de Guadalajara, sur la route de Saragosse, un gamin rouquin l’interpelle : « me permettez-vous de vous accompagner quelques hectomètres ? » Il s’appelle Armando Mondéjar López, il a treize ans, trois frères et une sœur. Le voyageur lui demande s’ils sont tous blonds. Et le garçon lui répond : « oui, monsieur. Nous avons tous les cheveux roux, même mon père. » Dans la voix du garçon, il y a comme un vague accent de tristesse. Quand l’enfant s’en va et salue le voyageur de la main, ses cheveux brillent en plein soleil comme s’ils étaient de feu. L’enfant a de beaux cheveux lumineux, pleins de charme, mais il ne le sait pas. Et Cela écrit ce poème :

Armando Mondéjar López

Es un niño preguntón;

Tiene el pelo colorado

Del color del pimentón

(Armando Mondéjar López est un enfant questionneur ; il a la chevelure colorée de la couleur du poivron rouge).

Allumer une cigarette, faire la sieste sous un arbre en regardant le vol d’une cigogne, partager une gourde de vin ou un vermouth à la table d’une auberge, accepter l’invitation d’un muletier et faire un bout de chemin à ses côtés sur la carriole, le voyage est fait de petits riens qui donnent au temps qui fuit la densité de l’éternité.

Photo « transhumances »

Dictionnaire amoureux de l’Espagne

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Poursuivant dans la veine espagnole, voici une lecture du « Dictionnaire amoureux de l’Espagne » de Michel Del Castillo (Plon 2005).

Michel Del Castillo nous parle de la tauromachie, et cet article de son « dictionnaire amoureux » est comme la synthèse de ses réflexions passionnées sur l’Espagne.

« Victoire de l’intelligence sur les instincts les plus primitifs, la corrida est une catharsis. Les masses de Cristianos Nuevos, de marranes, d’hérétiques et de morisques avaient du pareillement déployer durant des siècles des trésors d’astuce et d’ingéniosité pour survivre : leur stratégie existentielle fut une tarea, une besogne, exigeant une attention vigilante. Ce qui se mime dans l’arène, c’est un drame collectif.

Tout comme la procédure inquisitoriale reposait sur le secret, le suspect ignorant le nom du délateur et la nature même du crime dont il était accusé, la corrida suppose l’ingénuité de l’animal dont on dit qu’il apprend, en quinze minutes, le grec et le latin, autant dire le secret de sa mort (…)

La tauromachie est le théâtre où les Espagnols vivent leurs croyances, non par l’abstraction, aussi brillante soit-elle, mais par le style (…) Il existe un humanisme de la tauromachie (…) un humanisme tragique, celui du mystique et du conquistador. Vivre, c’est se dépasser soi-même, transcender sa condition de mortel. »

Tout est dit en quelques lignes.

Après la Reconquête, l’Espagne se trouva confrontée au problème de l’assimilation d’une forte minorité juive et des musulmans autochtones attachés à leurs racines. On sait que les juifs furent expulsés en 1492 : environ les 2/3 quittèrent le pays, le reste optant pour la conversion. On les appela les « conversos » ou, plus brutalement, les « marranes » (porcs) en raison de leur aversion persistante pour cette viande. Les « morisques » furent expulsés en 1610, dans le cadre d’une gigantesque opération logistique dont la parfaite organisation n’est pas sans rappeler les trains de la déportation trois siècles plus tard en Europe Centrale.

A partir de Philippe II et de son précepteur, le cardinal archevêque de Tolède Siliceo, s’introduit le principe de la pureté raciale, la limpieza. Il devint impossible à quiconque avait dans ses veines du sang impur, juif ou maure, d’accéder à une fonction publique. Les lois raciales de Nuremberg et de Vichy avaient donc leur matrice en Espagne.

L’outil du fanatisme fut l’Inquisition, qui fonctionna de 1485 à 1820 environ. « L’Inquisition fut la première police totalitaire, modèle de celles qui, au vingtième siècle, allaient s’épanouir en Europe. Toutes auront en commun de traquer, au-delà des oppositions manifestes, les réticences, les refus cachés, les délits de pensée. Toutes aussi feront du déviant une personne nuisible dans son essence, dissimulant dans son for le plus intérieur, dans son sang ou dans son hérédité sociale, la fatalité hérétique. Toutes voudront convertir, conduire à la confession publique. Les tribunaux staliniens se penseront, comme l’Inquisition, une pédagogie révolutionnaire, un théâtre. » Les auto-da-fe duraient trois jours : le samedi était consacré à une procession et à des sermons enflammés visant à la conversion des hérétiques, le dimanche à la messe solennelle et à de nouveaux sermons, le lundi aux bûchers. La différence entre la démence stalinienne ou maoïste et celle de l’Inquisition réside dans leur durée : quelques décennies pour celles-là, plus de cinq siècles pour le fanatisme catholique espagnol.

Toute l’histoire de l’Espagne aux dix-neuvième et vingtième siècles peut se lire comme l’affrontement entre les catholiques intégristes (les Carlistes) et les partisans d’un ordre constitutionnel. Avec son coup d’Etat en 1936, Franco s’inscrivait clairement dans le premier camp. « Franco ne fut pas un politicien, un politicien professionnel investi de la mission de gouverner les hommes. Il fut un politicien espagnol, c’est-à-dire un politicien de la transcendance. Sa mission, il la concevait comme le rétablissement de l’Espagne dans ses options fondamentales : une Espagne une, grande et libre (en proportion inverse de la liberté de ses citoyens !) ». On sent combien le courant actuellement dominant au sein du Parti Populaire, refusant, malgré les urnes, toute légitimité au Gouvernement socialiste au nom de principes non négociables tels que l’unité nationale, se situe dans cette continuité.

Dans un tel contexte de répression fleurissent les mystiques (Sainte Thérèse d’Avila, Saint Jean de la Croix, Juan Luis Vivès) et les conquistadors engagés dans une aventure surhumaine dont la seule rationalité fut de financer les guerres européennes des Habsbourg. Michel Del Castillo voit dans l’œuvre de Cervantès une lecture parodique de l’héroïsme castillan.

Et il nous donne une note d’optimisme. « Par un paradoxe qui témoigne de la force et des ruses de la vie, cette tyrannie morale a aiguisé et affiné les esprits, favorisant l’expression d’un baroquisme fantastique (…) Condamnant bon nombre d’Espagnols à l’hypocrisie, l’Inquisition a sauvé le Castillan du polissage mondain, du juste milieu, du raisonnable petit-bourgeois. Folle, elle a encouragé une démence collective ; délirante, elle a permis, sans le vouloir, l’éclosion des plus beaux délires, ceux de Rojas dans la Célestine, des picaresques, de Cervantès. Ce sont les bénéfices secondaires de la névrose. Tout au long des siècles, il y a eu, en Espagne, une résistance sourde et obstinée qui s’exprimait dans une langue codée, comprise des seuls initiés. »