Fluidité

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Javier Cantera, Président du groupe de consultants en ressources humaines espagnol BLC, donne dans sa newsletter un point de vue original sur la réforme du droit du travail en Espagne.

Javier Cantera déplore l’esprit cloche-merle qui préside selon lui au débat sur la réforme du droit du travail, avec des partenaires sociaux nostalgiques du passé. Il plaide pour un changement pragmatique qui tienne compte de l’évolution de l’environnement et de l’impératif de compétitivité. La sécurité de l’emploi est-elle seulement dans la loi et non dans les capacités des personnes ? Il faut travailler sur notre façon de penser, et en particulier :

  • – Redéfinir le bonheur comme une expérience de la fluidité

  • – Démasquer les pièges de l’esprit, les siens et ceux des autres

  • – Se concentrer sur la passion pour la qualité de la vie au travail

Il faut réinventer nos zones de confort et resituer notre motivation dans « l’être » plus que dans « l’avoir ». Javier Centra cite le livre « flow » (flux, fluidité) écrit par Mihaly Csikzzentmihalyi dans les années 90. Celui-ci dit que le bonheur se trouve où l’on accepte un défi. Le bonheur surgit d’états d’expérience optimale, de ces moments où l’on se sent « possédé » par un profond sentiment de jouissance, celui d’être le propriétaire de ce que l’on fait et comment on le fait. Dans ce monde du travail, nous devons chercher à profiter des moments positifs de nos enthousiasmes. Il faut couler comme une source pour que notre esprit se plaise dans l’action professionnelle.

Javier Cantera avoue lui-même qu’il ne se voit pas à une table de négociations entre syndicats et patronats pour défendre ses thèses. Mais celles-ci rejoignent en partie celles qu’avait exposées Dominique Strauss-Kahn au cours de la précampagne pour les élections présidentielles de 2006. Il fallait, disait-il, redéfinir la sécurité du travail comme la garantie de parcours de transition et de formation entre différents emplois, au lieu du bétonnage d’acquis intangibles.

Photo « transhumances » : ruisseau au Voile de la Mariée, Salazie, Ile de la Réunion.

Magie d’un monde souterrain

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Ce texte a été écrit en 2002 à Madrid. Il a inspiré ma première encontre avec Corinne Dauger, dont « transhumances » a rendu compte de la récente exposition à Paris, « Oscillations ».

La correspondance entre les lignes 4 et 5 du métro de Madrid à la Station Diego de León a triste réputation. On emprunte un escalier à angle droit, on parcourt un interminable couloir lugubre. On tente ensuite de descendre sur le quai, lorsqu’on n’en est pas empêché par le flot contraire des voyageurs qu’une rame vient soudain de libérer.

La correspondance de Diego de León est blanche de céramique, sent le désinfectant, dilate  le temps, éprouve les nerfs. Elle se présente ainsi du moins pour qui ne sait la regarder, prendre son pouls, se mouvoir à son rythme.

Car ce monde souterrain est plein de couleurs. Hommes et femmes, blancs, indiens et noirs, s’y croisent vêtus de costumes de ville, de bermudas, de minijupes et de jeans. Une jeune beauté en pantalon moulant laisse admirer son ventre bronzé et se protège de l’improbable soleil par des lunettes de star. Une autre élégante en sari noir et blanc couvre ses cheveux d’un discret fichu. Des affiches polychromes annoncent la sortie d’un film et vantent des articles de mode.

Ce monde bruit des claquements aléatoires de pas sur le sol, de chuchotements échangés et d’éclats de rire partagés. Guitaristes, accordéonistes, flûtistes se disputent cet auditorium improvisé, et leur absence donne au silence une dimension irréelle.

Ce monde est en mouvement. En de rares et éternels moments, des passantes magnifiques habitent l’espace comme la passerelle d’un défilé de mode. Elles avancent d’un pas ondoyant et sûr, conscientes de leur séduction et insouciantes du regard d’autrui.

A la correspondance de Diego de León, le plomb se change en or, le silence en mélodie et le déplacement de masse s’ouvre sur un instant de grâce.

Illustration : Corinne Dauger, « Let them go », www.corinnedauger.com

Pressentiments

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« Jamais tu ne t’es réveillé avec la sensation de continuer à l’intérieur d’un rêve ? » Le roman de Clara Sánchez, Presentimientos (Alfaguara, 2008) nous emmène aux frontières du sommeil et du monde éveillé.

Julia et son mari Félix font route vers la côte du Levant (Espagne) pour passer une semaine de vacances avec leur fils Tito, six mois. Arrivés tard le soir, ils se rendent compte qu’ils ont oublié à Madrid le lait du petit garçon. Julia se propose pour aller en acheter à la pharmacie de garde.

Les vies de Julia et de Félix se séparent. Julia ne se souvient plus où était leur appartement, semblable à des milliers d’autres. Elle n’a de cesse de retrouver son mari et son fils. Elle tente d’appeler Félix, mais sans réponse. Elle se rend au commissariat de police, mais nul ne s’est inquiété de sa disparition. A l’hôpital, elle laisse un mot sur le tableau d’affichage, mais personne n’y donne suite. A court de ressources, elle tente d’obtenir de l’argent de la banque, mais elle se heurte à un mur d’hostilité. Elle vole de quoi manger et boire au supermarché, mais elle est repérée par les caméras de surveillance.

Félix partage son temps entre l’appartement et l’hôpital. Julia a eu un accident et est plongée dans un sommeil profond dont les médecins ne peuvent prévoir si et quand elle sortira. Il cherche le moyen de rejoindre son épouse, de la ramener au monde réel. Lui, expert en assurances habitué à une observation froide et objective du monde, comprend qu’il doit apprendre à laisser son esprit, comme celui de Julia, dériver dans les rêves.

Dans son rêve, Julia ne se laisse pas aller au désespoir. Elle n’a qu’une obsession, retrouver l’appartement qu’elle a quitté il y a maintenant plusieurs jours, c’est-à-dire sortir de l’impasse. Félix de son côté ne baisse pas les bras. Il passe toutes ses nuits au chevet de sa femme, lui parle des bons moments de son passé, tente d’aider son cerveau à contourner les circuits endommagés par l’accident et à trouver une issue.

Dans sa quête, Félix découvre que Julia a eu un amant, avant et après son mariage. Sa double vie l’a épuisée et a finalement provoqué son accident. Qu’importe, il veut la ramener à la vie, quitte à divorcer lorsqu’il lui aura donné cette preuve d’amour. Dans son rêve, Julia découvre que son amant était un malandrin et elle le tue. Elle sent l’odeur d’une merveilleuse tarte que sa mère préparait lorsqu’elle était enfant. Le parfum du gâteau sera finalement le pont entre les deux mondes.

Le livre est construit sur une alternance de chapitres, les uns écrits du point de vue de Julia, les autres du point de vue de Félix. Il nous parle de la réalité du monde rêvé, des chemins que le cerveau doit inventer pour sortir de l’inconscient, et finalement de la force de l’amour malgré tout.

Photo : couverture de « Presentimientos »

Musique contemporaine

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Kings Place, un centre culturel proche de la gare Kings Cross à Londres, consacre à la musique contemporaine une série de concerts intitulée « Out Hear » (entendre hors d’ici). Le 1er mars, le concert était donné par le Grup Instrumental de València.

« Out Hear » nous invite à « briser notre mur du son » en nous embarquant pour un voyage excitant d’aventures sonores dans les mondes de la musique contemporaine / expérimentale, la gymnastique vocale, l’improvisation, le spectacle d’avant-garde et multimédia. Cette série de concerts est organisée par Kings Place, qui est à la fois le siège londonien du quotidien The Guardian, un centre de conférences et un pôle d’art contemporain.

Dirigé par Joan Cerveró, l’ensemble instrumental de Valence (http://www.grupinstrumental.com) associe des instruments classiques, de la musique électronique et une chanteuse de Flamenco. Il joue des œuvres composées pour la plupart par de jeunes musiciens espagnols entre 1978 et 2007. Pour l’auditeur novice que je suis, elles sont dérangeantes. En apparence, l’orchestre se présente de manière tout à fait classique, avec un chef donnant le tempo, un violon, un violoncelle, une trompette, une flûte, des percussions. Mais les sons qui sortent des instruments ne répondent pas aux critères habituels : la violoncelliste utilise la caisse de son instrument comme percussion, le flûtiste fait entendre le râle de sa respiration, le percussionniste gratte la peau de son tambour. Une musique électronique restitue une ambiance sonore proche de celle d’une grande ville, parfois distincte, parfois assourdie.

Dans « pour trois couleurs de l’arc en ciel » de José Antonio Orbs, la musique est associée à des couleurs. Dans Les Sept Vies d’un Chat, de Martín Matalón, elle fournit un contrepoint à un film muet, « le chien andalou », court métrage onirique de Luis Buñuel et Salvador Dali. Dans Raís del Aire de Mauricio Sotelo, elle joue sur l’antagonisme avec un chant traditionnel, le Flamenco d’Isabel La Julve.

Rien n’est improvisé, tout est écrit, même si je peine à imaginer le langage utilisé pour transcrire de la pure recherche acoustique. Peu à peu, nous entrons dans le jeu et constatons que ces musiciens audacieux nous ont aidés, vraiment, à dépasser nos préjugés confortables, à briser notre mur du son.

(Photo Kings Place)