Shakespeare : mettre le monde en scène

 

A Robben Island, Mandela annote "Jules César" de Shakespeare. Photo The Guardian

Le British Museum présente jusqu’au 25 novembre une exposition intitulée « Shakespeare ; Staging the world » (mettre le monde en scène).

 La pièce la plus émouvante de l’exposition est celle présentée aux visiteurs au moment de la quitter : un recueil des œuvres complètes de Shakespeare, introduite clandestinement à Robben Island. Les prisonniers avaient souligné le passage qu’ils préféraient. Nelson Mandela avait retenu le suivant, de la pièce Jules César : “Cowards die many times before their deaths/The valiant never taste of death but once.” Les lâches meurent plusieurs fois avant leur mort / le valeureux ne goûte la mort qu’une seule fois ».

 L’exposition a pour ambition de montrer les influences qui ont modelé la personnalité et l’œuvre de Shakespeare. Elle le fait à partir d’objets tels que des cartes géographiques, des tableaux, des sculptures, des accessoires de la vie quotidienne comme cet émouvant bonnet de laine obligatoirement porté par la plèbe ou des reliques, comme le reliquaire contenant la cornée d’un jésuite martyrisé.

 Elle évoque naturellement la vie bucolique de Stratford upon Avon et du Warwickshire, le comté d’origine du dramaturge. Mais c’est surtout Londres qui se trouve au centre de l’exposition, une ville qui comptait déjà 200.000 habitants, comprenant beaucoup d’immigrants (en particulier les protestants persécutés sur le Continent) et dotée d’un quartier, Southwark, où se pratiquait la prostitution, se montraient des ours attaqués par des chiens et se produisaient des spectacles avec une grande gamme de prix où l’on mangeait et l’on buvait. Londres devenait un port international important, au moment où Francis Drake entreprenait son tour du monde : que Shakespeare ait appelé son théâtre « The Globe » n’a rien de surprenant.

 L’actualité politique est sous-jacente à beaucoup de pièces de Shakespeare, sous le long règne d’Elizabeth I (1558 -1603) puis de James I (1603 – 1662). L’incertitude sur la succession dynastique, la guerre d’Irlande, les tentatives de coups d’Etat, la féroce répression des catholiques après le complot de Guy Fawkes, tout cela fournit un ample matériau aux pièces de Shakespeare, sous le déguisement du Moyen Age ou de l’antiquité romaine. L’intervention des sorcières dans Macbeth par exemple a elle-même une connotation historique : le roi James I était persuadé que la menace de naufrage qu’il avait vécu au cours d’un passage entre la Grande Bretagne et le Danemark était dû à un sort qu’on lui avait jeté.

 Dans plusieurs salles, des vidéos montrent des acteurs jouant des scènes de Shakespeare qui font écho aux influences que présentent les objets exposés. On comprend mieux, grâce à eux, comment l’art s’est élevé sur les épaules de l’histoire.

Portrait posthume de William Shakespeare

Nowhere Boy

 

Anne Marid Duff et Aaron Johnson dans Nowhere Boy

« Nowhere  Boy », film de Sam Taylor Wood (2010) raconte l’adolescence de John Lennon de la mort de son père adoptif en 1955 au départ de Liverpool pour Hambourg cinq ans plus tard.

 « Tu n’iras nulle part », prophétise au jeune John (Aaron Johnson), plus intéressé par les revues pornographiques et le dessin que par les matières scolaires, le directeur de son collège. Le film nous montre que John, de son côté, a parfois l’impression de venir de nulle part. Il est balloté entre Julia (Anne Marie Duff), sa mère, une femme exubérante et dépressive, allumeuse invétérée, passionnée de musique et la sœur de Julia, Mimi (Kristin Scott Thomas), qui prétend inculquer à son neveu des valeurs solides. Julia a abandonné John lorsqu’il avait cinq ans, mais maintenant qu’il est adolescent, elle l’aime d’un amour frisant l’inceste. Dans un flash back, nous voyons le petit John sommé par ses parents de choisir entre papa et maman, choisissant d’abord papa pour ensuite s’accrocher à maman et être ensuite recueilli, ou « volé », par sa tante. Mimi ne supporte pas ce reproche d’avoir « volé » le petit garçon qu’elle a considéré comme son propre fils. Il se passe entre Mimi, John et Julia une scène terrible, chorégraphiée entre quatre murs, où Mimi raconte les circonstances de l’abandon. « N’hésite surtout pas à participer à la conversation » lance-t-elle, perverse, à Julia foudroyée par la honte.

 Le génie de John nait du tiraillement entre deux femmes qui inspireront pour l’une sa créativité, pour l’autre son goût pour le travail musical bien fait jusque dans les détails. Julia abandonnera une seconde fois John en mourant dans un accident de voiture.

 John rencontre Paul McCartney (Thomas Brodie Sangster), de deux ans son cadet. Paul a lui aussi perdu sa mère, mais d’un cancer ; elle est « sort of dead » (morte en quelque sorte), dit-il curieusement à John. La communauté de deuil et la communauté musicale les transforment presque instantanément en partenaires et en amis. Paul présente à John George Harrison dans un autobus. L’aventure des Beatles peut commencer.

 

Au Stade Olympique

Le tour de piste de Taoufik Makhloufi. Photo "transhumances"

J’ai eu la chance d’être l’hôte d’un groupe de clients et de courtiers pour une soirée d’athlétisme dans le Stade Olympique de Stratford, au soir de la onzième journée des Jeux.

 Pour éviter les embouteillages, nous arrivons tôt au parc olympique et avons le loisir de nous promener dans ce lieu qui, il y a quelques années, n’était qu’une zone industrielle en déshérence. Nous sommes frappés par l’immensité du lieu et de la foule qui déambule. Les installations sportives sont installées de chaque côté d’une petite rivière dont les rives sont plantées de fleurs : il s’agit du stade lui-même, mais aussi de la sculpture « Orbital » d’Anish Kapoor et Cecil Balmond, du vélodrome, du stade nautique et d’autres installations moins spectaculaires.

 C’est de nouveau l’immensité qui frappe en pénétrant dans le stade, puis l’extraordinaire sophistication de la machine à produire du spectacle sportif. Tout est réglé à la seconde près, le déroulement des épreuves – course, saut en longueur et en hauteur, lancer de disque – ainsi que les cérémonies de remise des médailles remportées la veille. Il y a des centaines de caméras, portées par des hommes, montées sur des robots reposant sur des rails ou suspendus à des câbles, accrochées aux montants de la barre du saut. Il n’y a pas une minute d’hésitation, pas l’ombre d’une confusion. Le son et les images sont parfaits. Des centaines de millions d’humains, un milliard peut-être, regardent en direct.

 Ce qui restera pour moi le moment le plus fort, et non capturé par les caméras, c’est la joie du vainqueur de l’épreuve du lancer du disque, l’Allemand Robert Harting. Le voici qui entame son tour de piste saluant la foule. Il avise les haies préparées pour le 100m féminin. Il s’offre alors un saut de haies triomphal sous les rires et les vivats de la foule ravie.

 C’est aussi le vrombissement de la foule lorsque les concurrents du 1.500m passent sous les tribunes. C’est ma joie de voir l’Algérien Taoufik Makloufi triompher.

 C’est l’explosion d’enthousiasme lorsqu’un concurrent britannique est présenté ou accomplit un exploit.

 C’est la beauté du corps d’athlètes féminines au saut en longueur et au sprint.

 Ce sont les chaussures vertes phosphorescentes de nombreux athlètes : un pied de nez de Nike au sponsor officiel, Adidas.

 C’est l’extraordinaire technique du saut en hauteur, les athlètes se lançant en arrière, passant d’abord la tête et le tronc, puis se cambrant soudain pour que passent les fesses et les jambes. On me dit que le centre de gravité de leur corps est situé à tout moment sous le niveau de la barre. J’ai du mal à le croire, mais les 2,38m réalisés par le Russe Ivan Ukhov sont si extraordinaires que je me laisse convaincre.

 C’est la gentillesse et la bonne humeur du personnel et des volontaires des Jeux Olympiques. C’est ce jeune homme juché sur une d’arbitre de tennis au bord de l’immense allée piétonne qui conduit aux transports en commun qui, protégé de la pluie par un poncho et muni d’un mégaphone, souhaite aux spectateurs ravis une bonne nuit.

Dans le Parc Olympique. Photo "transhumances".

La sculpture Orbital au sortir de la soirée d'athlétisme. Photo "transhumances"

Les Chariots de Feu

Le thème des « Chariots de Feu » est omniprésent dans les Jeux Olympiques de Londres.

 « Les Chariots de Feu » est un film écrit par Colin Welland et réalisé par Hugh Huston en 1981. La musique synthétique était signée de Vangelis. Il reçut cette année là 4 Oscars. Il ressort actuellement sur les écrans londoniens à l’occasion des Jeux Olympiques. C’est qu’il raconte le triomphe de deux athlètes britanniques aux JO de Paris en 1924 et vient opportunément enraciner l’euphorie ambiante dans un passé glorieux.

 Les Chariots de Feu, en en particulier la musique, ont été présents tout au long de la préparation des Jeux Olympiques de Londres, du voyage de la flamme tout autour du pays à la cérémonie d’ouverture. On se rappellera longtemps l’orchestre symphonique interprétant majestueusement le générique du film pendant que Rowan Atkinson (Mr Bean) joue délicieusement le rôle d’un claviste affecté à jouer une unique note et s’ennuyant à mourir.

 « Les Chariots de Feu » est loin d’être un grand film. L’histoire d’Eric Lidell, fils d’un pasteur épiscopalien écossais missionnaire en Chine et déchiré entre sa propre vocation de missionnaire et le talent que Dieu lui a donné d’être rapide, et celle d’Harold Abrahams, fils d’un banquier juif de la City et mal accepté par l’Establishment de son collège à Cambridge, ne convainc jamais vraiment.

 La reconstitution historique des JO de Paris dans le vieux stade de Colombes est intéressante, tant elle fait ressortir le contraste avec la sophistication d’aujourd’hui : les coureurs du 100m creusent eux-mêmes leurs starting-blocks dans la cendrée !

 Ce qui reste du film est la scène du générique où l’on voit un groupe d’athlètes courir sur la longue plage de St Andrews et traverser la fin du parcours du célèbre golf pour regagner leur hôtel. Pour cette scène et pour la musique de Vangelis qui l’accompagne, les Chariots de Feu est incontestablement un « film culte ».

 Le mot « les chariots de feu » fut emprunté à l’Ancien Testament par le poète William Blake et mis en musique dans l’un des choraux les plus connus de l’Eglise Anglicane : Jérusalem.

Les Chariots de Feu