Splendide isolement

La municipalité de Bishops Stortford, gérée par les Conservateurs, vient d’écrire aux maires de Villiers sur Marne, en France, et Friedberg, en Allemagne, pour mettre fin au jumelage avec leurs communes.

 Officiellement, ce n’est pas l’euroscepticisme qui guide cette mesure, mais un manque d’intérêt. Il est vrai que je le constate dans ma commune, Watford, située comme Bishops Stortford dans le Hertfordshire mais gérée par les Libéraux : bien que jumelée avec pas moins de cinq communes, dont Nanterre (France) et Mayence (Allemagne), aucune activité n’a été enregistrée depuis 2009 à ce titre.

 Il reste que le manque d’intérêt va de pair avec une croissante défiance à l’égard du continent et la tentation du retour à un splendide isolement. Les jumelages se sont développés après la seconde guerre mondiale, le plus emblématique d’entre eux étant celui de Coventry avec Dresde et Stalingrad. La dynamique semble maintenant inversée.

 Interrogé par Luke Harding, journaliste au Guardian, Michael Keller, maire de Friedberg, dit qu’il n’était pas surpris. « Le jumelage commença pour nous en 1965. Ceux qui s’y impliquèrent avaient fait personnellement l’expérience de la catastrophe de la seconde guerre mondiale. Ce n’est plus aussi pertinent aujourd’hui. Le monde a changé. Je soupçonne que l’euroscepticisme anglais a joué aussi un rôle. J’aurais préféré que nous mettions fin au jumelage par une grande fête plutôt que simplement par une lettre ».

 Les édiles de Bishops Stortford n’ont visiblement pas la largeur de vue et l’humour de leurs collègues de Friedberg. Aux jeux olympiques de la mesquinerie, ils auraient leurs chances.

 Photo « The Guardian »

Exposition Edward Burra à Chichester

La Pallant House Gallery de Chichester présente jusqu’au 21 février 2012 une passionnante exposition des œuvres d’Edward Burra.

 Edward Burra (1905 – 1976) est peu connu en France. Il a pourtant été proche du mouvement surréaliste et sa peinture est puissamment originale. Il avait été pour moi la révélation de la récente exposition Watercolour (aquarelle) à la Tate Britain.

 La technique de Burra, c’est l’aquarelle. Il a souffert toute sa vie d’anémie et d’arthrite, ce qui lui rendait plus difficile l’accès à des peintures plus physiques. Mais il a su porter l’aquarelle au rang de grand art.

 Burra est un fils de la petite bourgeoisie d’une petite ville du Kent, Rye. Le petit bourgeois conçut une véritable passion pour la mauvaise vie : prostituées, danseuses des Folies Bergères, trafiquants, ivrognes. Lorsque, bloqué par la guerre, il dessine des paysages d’Angleterre, c’est une nature scarifiée de pylônes et de tunnels qu’il représente, avec des camions et des grues comme des objets doués d’une force surnaturelle.

 Profondément attaché à sa ville comme à un port d’attache, Burra fut un grand voyageur. Il visita et peignit le Mexique, Harlem, Toulon et Marseille. Il fut témoin de la guerre civile espagnole et y consacra des toiles remplies de violence et d’horreur. Il voyagea aussi par procuration, en regardant avec avidité des films et en s’inspirant de photographies pour peindre des spectacles de rue qu’il n’avait pas lui-même rencontrés.

 Les tableaux de Burra portent presque tous une contradiction : ils expriment une sorte de nonchalance tranquille mais sont aussi traversés de tension et d’anxiété. Qu’il s’agisse de paysages, de scènes de rue ou d’allégories, le spectateur reçoit un flot d’énergie dont la source est un profond amour pour la vie et pour l’humanité, mais aussi un sentiment de l’absurdité des choses et des êtres.

 Il y a 25 ans, la Tate Britain consacrait une rétrospective à Edward Burra. L’exposition de 70 œuvres à la Pallant House Gallery est la première en un quart de siècle. Il faut s’y précipiter, en espérant qu’un événement de ce type ait lieu en France, le plus vite possible.

 Illustration : The Straw Man, 1963, l’une des œuvres exposées à la Pallant House Gallery de Chichester

Pallant House Gallery à Chichester

Installé dans une demeure du 18ième siècle dans la petite ville de Chichester, non loin de Portsmouth, le musée de Pallant House n’abrite actuellement pas moins de trois expositions.

 J’ai déjà eu l’occasion de décrire l’étonnante cathédrale de Chichester, qui abrite plusieurs œuvres d’art remarquables du vingtième siècle : une tapisserie de John Piper, un vitrail de Marc Chagall, une peinture de Graham Sutherland (l’apparition de Jésus ressuscité à Marie Madeleine) et un tableau mural de Hans Feisbusch près du baptistère (le baptême de Jésus).

 C’est à Hans Feisbusch (1898 – 1998) que Pallant House consacre l’une des expositions. Juif allemand, Feisbusch fuit le nazisme en 1933 et émigra en Angleterre. La lithographie « mère et enfant se noyant », de 1935, exprime le désespoir de l’artiste submergé par les événements tragiques en Europe.

 Une autre exposition a pour titre « Bloomsbury and beyond », « Bloomsbury et au-delà ». C’est au groupe de Bloomsbury, auquel « transhumances » a récemment consacré plusieurs chroniques, qu’elle se réfère. Pour la première fois, la collection du Bulgare Mattei Radev est présentée au public. La relation au groupe de Bloomsbury passe par l’associé de Radev, Eddy Sackville-West (1901 – 1965), dont la femme Vita était une amie intime de Virginia Woolf. La collection inclut des œuvres de peintres britanniques du vingtième siècle, comme Duncan Grant, Winifred  Nicholson ou Graham Sutherland, mais surtout de peintres actifs en France, dont Modigliani, Picasso et Léger.

 Enfin, Pallant House présente une rétrospective d’Edward Burra en 70 tableaux. « Transhumances » y consacrera prochainement une chronique.

 Pour les amateurs de la peinture du vingtième siècle, une visite à Pallant House Gallery s’impose (Feisbusch jusqu’au 8 janvier 2012, Collection Radev jusqu’au 22 janvier, Burra jusqu’au 21 février)

 Illustration : « mère et enfant se noyant », Hans Feisbusch 1935, Pallant House Gallery.

Industry Dinner 2011

J’ai évoqué en novembre 2009 dans « transhumances » l’Industry Dinner annuel des compagnies et des courtiers spécialisés en assurance-crédit. L’édition 2011 avait une signification particulière pour moi : la succursale de Coface au Royaume Uni était chargée de l’organisation de cette réunion très attendue.

 Il n’existe rien de semblable dans d’autres pays : les compagnies d’assurance spécialistes de l’assurance-crédit au Royaume Uni et les courtiers se réunissent pour un dîner de gala. Pour les membres du personnel, participer à l’Industry Dinner est perçu comme une promotion. Il y a une forte pression pour accroître d’année en année le nombre des participants : ils sont près de 400 cette année. Nous avons choisi comme lieu du dîner un « big top » (chapiteau) installé au cœur du quartier londonien de Bloomsbury, où se déroulent des événements aussi différents que des tournois de boxe ou des repas de Noël.

 L’événement commence à 19h par un apéritif pendant lequel les participants retrouvent leurs anciens collègues. Dans beaucoup de pays, dont la France, on tend à faire sa carrière dans la même compagnie d’assurance-crédit, et passer de l’une à l’autre est mal vu. Au Royaume Uni, passer d’une compagnie à un broker (courtier) ou à une compagnie concurrente est une pratique normale. Chacun arrive à l’Industry Dinner avec le plaisir de rencontrer des dizaines de personnes avec qui il a travaillé à un moment ou à un autre de sa carrière.

 Le dîner comporte trois figures obligatoires : le discours du patron de l’entité qui organise, un numéro d’humoristes et une vente aux enchères pour une « Charity » (œuvre de bienveillance). Pour animer la soirée, nous avons invité Garry Richardson, un peu l’équivalent de ce qu’est en France Nelson Montfort. Garry a interviewé à l’improviste Bill Clinton un jour de pluie à Wimbledon sur sa pratique du tennis et Nelson Mandela sur la boxe. Aujourd’hui, après quelques anecdotes sur son métier à la radio et à la télévision, il interview une célébrité du cricket, Phil Tufnell. Les deux se livrent à un duel d’humour sportif qui enchante l’auditoire. La Charity est « SkillForce » : des retraités de l’armée britannique, âgés en général de 30 à 40 ans, se reconvertissent dans le soutien scolaire à des jeunes de 14 à 16 ans en difficulté. Plusieurs sociétés présentes ce soir ont offert des lots. Leur mise aux enchères rapportera plus de 15.000 sterlings pour l’association.

 La soirée se clôture au choix par le disco ou le bar. La bière coule à flots. Les inhibitions tombent. Un grand gaillard serre longuement dans ses bras des collègues d’autrefois et pleure sur le temps passé. La dure loi de la concurrence se dilue dans l’alcool et de nombreux secrets habituellement bien gardés circulent dans l’euphorie de ce moment spécial. Comme au football se crée un véritable « mercato » dans lequel demandes et offres d’emploi s’échangent en trinquant à la santé de l’assurance-crédit et des cautions.

 Il y a une vraie diversité et beaucoup de passion dans ce métier. C’est ce que j’ai voulu évoquer dans une parabole adaptée d’une blague française qui, dans sa version originale, mettait aux prises des anciens de l’X, d’HEC et de l’ENA. « Ce week-end, j’ai passé quelques heures au bord de la mer avec trois amis. Le premier était un assureur-crédit intelligent ; le second, un courtier habile ; le troisième, un brillant fonctionnaire, un des inventeurs du « credit insurance top-up scheme » (un schéma de complément d’assurance-crédit mis en place par le gouvernement Brown pendant la crise et qui n’eut pas de succès). Nous étions proches d’un phare. Les trois amis décidèrent de faire un pari : le vainqueur serait celui qui serait capable de donner la hauteur exacte du phare.

 L’assureur-crédit intelligent appela son actuaire au téléphone. Ils utilisèrent leur expérience de pertes avérées, les scores de solvabilité, la perte maximum probable et construisirent un algorithme compliqué. Le résultat fut d’une étonnante précision : 33 mètres et 23 centimètres de hauteur.

 Le courtier habile eut une approche différente, basée sur le contact humain et sur le partage d’une Guinness. Il rendit visite au gardien du phare, parla de ses ancêtres et du golf à St Andrews et lui demanda incidemment la hauteur de son lieu de travail : il mesure 109 pieds et 7 pouces, répondit le gardien de phare.

 Le brillant fonctionnaire ne se sentit pas du tout embarrassé par la performance de ses amis. Sa Majesté, dit-il, me commande d’émettre un décret : le phare doit avoir 50 mètres de hauteur ! »

 Photo : un dîner de gala au Bloomsbury Big Top.