Vanessa et Virginia

Vanessa and Virginia, de Susan Sellers (Two Ravens Press, 2008) raconte l’attachement passionnel et la rivalité destructrice de Vanessa et Virginia Stephen, devenues par leur mariage Vanessa Bell (1879 – 1961) et Virginia Woolf (1882 – 1941).

 « Transhumances » a consacré une chronique à Charleston, la maison de campagne du groupe de Bloomsbury, ce groupe d’amis intellectuels de haute volée qui incluait, outre les deux soeurs, le peintre Duncan Grant, l’économiste John Maynard Keynes ou le critique d’art Roger Fry. Susan Sellers nous fait pénétrer dans l’intimité du groupe de Bloomsbury. Son roman est écrit à la première personne par Vanessa Bell, qui fut en effet la cheville ouvrière du groupe jusqu’à sa mort. Il est centré sur la relation entre les deux sœurs, sur la supériorité que Virginia faisait souvent cruellement peser sur sa sœur et sur l’appui qu’elle mendiait auprès d’elle lorsque rôdait la dépression.

 Soutien de famille après la mort de sa mère, la belle et mélancolique Julia Stephen, Vanessa prend son envol après le décès de son père et celui de son jeune frère Thoby. Elle devient une femme et une artiste libre, épanouie dans son art et dans son corps de femme.  Elle épouse un écrivain, Clive Bell, dont elle a deux garçons, Julian et Quentin. L’infidélité de Clive, qui a une affaire avec Virginia entre autres maîtresses, crée peu à peu un vide qu’elle comble par une relation intense avec Duncan Grant, avec qui elle partage la passion de la peinture. Duncan est un homosexuel affirmé, mais sera le père du troisième enfant de Vanessa, Angelica. Comme le mariage de Vanessa et de Clive n’a jamais été dissous, Angelica sera réputée enfant de Clive. Elle ne saura la vérité sur sa filiation qu’à l’âge adulte.

 La rivalité de Vanessa et Virginia s’insinue jusque dans le scénario de leur mort. Une nuit, accablée de désespoir par l’éloignement de Duncan, Vanessa pénètre dans les eaux froides de la rivière Ouse, près de Charleston et de Lewes. Au dernier moment, elle se débat et regagne la rive. Virginia lui fait jurer de ne pas recommencer. Quelques années plus tard, Vanessa, écrasée de douleur par la mort de son fils Julian sur le front républicain de la guerre civile espagnole, dit à Virginia qu’elle ne peut plus continuer dans la vie et qu’elle s’estime dégagée de son serment. Le lendemain, Virginia descend dans la rivière Ouse les poches pleines de pierres. Elle a volé à Vanessa jusqu’à son suicide. Vanessa, aînée de trois ans de Virginia, lui survivra vingt ans.

 Le roman de Susan Sellers est constitué d’une multitude de tableaux de la vie des deux sœurs, qui ensemble constituent un portrait vivant de deux personnalités formidables. Si le livre fait parler Vanessa la peintre et non Virginia l’écrivaine, ce n’est pas par hasard. Sellers voit l’histoire de sœurs Stephen avec un regard de peintre. Elle s’attarde longuement sur la technique picturale de Vanessa. Celle-ci peint un artiste debout et une femme agenouillée travaillant à ses côtés. « Comme je m’écarte de la toile pour inspecter mon travail, je remarque quelque chose d’extraordinaire. Malgré mon intention de mettre l’artiste au premier plan, c’est le fond rayé et la luminosité de la femme agenouillée qui attirent l’œil. J’étudie ma peinture plus attentivement. Alors que l’artiste est sombre, plombé, la femme irradie la vie. Elle est dans son élément quand elle peint. Les tons de son chemisier, l’éclat orange sur sa bottine sont en harmonie avec la vibrante toile de fond. Je me rends compte de ce que j’ai fait quelque chose de rare. J’ai peint une femme qui est heureuse. »

 Illustration : portrait de Virginia Woolf par Vanessa Bell, 1912, National Portrait Gallery

Guy Fawkes est de retour

Comme chaque année, la « Guy Fawkes night » a donné lieu à des réjouissances populaires : de gigantesques bûchers ont été allumés, et dans chaque village, chaque ville et chaque quartier du Royaume Uni ont été tirés des feux d’artifice.

 La célébration de l’échec du complot catholique de Guy Fawkes en 1605, démasqué alors qu’il s’apprêtait à faire exploser la Chambre des Lords pour assassiner le roi James 1er, n’a plus depuis longtemps le caractère d’une manifestation en faveur de l’anglicanisme qu’elle a revêtu pendant plus de deux siècles.

 Guy Fawkes est de retour. Les militants de « Occupy the City », qui campent sur le parvis de la Cathédrale Saint Paul, portent volontiers des masques du célèbre conspirateur. Il est devenu le symbole d’une révolte que nombre des participants aux fêtes pyrotechniques célébrant son échec approuvent dans leur cœur.

 Photo « The Guardian » : militants de « Occupy the City » portant des masques de Guy Fawkes.

45% des Britanniques veulent sortir de l’Union Européenne

Le Premier Ministre Britannique David Cameron a vu son autorité contestée le 24 octobre quand 80 députés du Parti Conservateur ont voté une motion réclamant un référendum sur la participation de la Grande Bretagne à l’Union Européenne. La décision du premier ministre grec de soumettre à référendum les accords récemment trouvés à Bruxelles donne à ce débat britannique une actualité nouvelle.

 Le référendum aurait demandé aux citoyens s’ils souhaitaient que la Grande Bretagne sorte de l’Union Européenne, y reste en renégociant les termes de son adhésion ou y reste dans les conditions actuelles. Un tel référendum aurait toutes chances d’entraîner la sortie de la Grande Bretagne de l’Union Européenne, non seulement parce que les partisans de l’Europe se diviseraient entre la seconde et la troisième position, mais tout simplement parce que l’opinion bascule vers une franche opposition à l’Union Européenne.

 Selon un sondage ICM publié par The Guardian le 25 octobre, 70% des Britanniques souhaitent un référendum. S’il était organisé, 49% demanderaient la sortie de leur pays de l’Union, contre 41 % qui souhaiteraient y rester. Les anti-européens sont plus certains de leur choix que les pro-européens : ils sont 34% à être sûrs de voter contre l’Europe si le référendum était organisé ; les pro-européens ne sont sûrs de leur vote qu’à 23%. Un point positif toutefois, d’un point de vue pro-européen : les jeunes de 18 à 24 ans ne sont que 28% à vouloir quitter l’Union, alors que les 65 ans et plus sont 63%.

 La défiance des Britanniques est évidemment alimentée par la crise de l’Euro et la difficile gouvernance de l’Union. Mais ce qui s’est passé au Parlement britannique illustre le problème majeur du projet européen : son déficit démocratique. Le Premier Ministre Cameron a du agir de la carotte et du bâton pour juguler les ardeurs des députés rebelles et empêcher, provisoirement, la propagation de l’incendie.

 En France, la sortie de l’Union Européenne est un thème d’extrême droite et d’extrême gauche et n’est pas sur l’agenda des partis représentés au Parlement. Mais les 54% de non au référendum de 2005 sur la Constitution Européenne dénotent aussi un divorce entre les élites et les citoyens ordinaires, alors même que la Constitution s’attaquait au problème de la légitimité démocratique de l’Union.

 La crise favorise la fuite en avant vers plus d’intégration économique, budgétaire et fiscale en l’absence d’un mécanisme transnational de contrôle démocratique. Le « couple franco-allemand », « Merkozy » comme on l’appelle, joue comme un rouleau compresseur qui ne s’embarrasse guère de considération pour les leaders des autres pays, pour ne pas parler de leurs opinions publiques.

 Jürgen Habermas, dans une tribune publiée par Le Monde le 25 octobre, « rendons l’Europe plus démocratique », appelle à la remise en chantier de la « légalisation démocratique » de l’Union Européenne. Il n’en donne pas la recette, ajoutant seulement que ce chantier passe par la réduction des inégalités entre les Etats membres.

La question soulevée par Habermas, celle de la démocratisation du projet européen, vient d’être spectaculairement mise à la une de l’actualité par la décision du premier ministre grec de soumettre au référendum l’accord trouvé à Bruxelles sur l’annulation de la moitié de la dette du pays en contrepartie d’une nouvelle dose d’austérité. A court terme, sa volte-face ouvre une période de danger et d’instabilité. Mais il faut probablement en passer là pour que l’Europe redevienne un projet porté par les citoyens européens, dans les bons comme dans les mauvais jours. 

 Photo « The Guardian », Nick Clegg, David Cameron et William Hague aux Communes le 24 octobre pour s’opposer à une motion demandant un référendum sur l’Union Européenne.

Jésus aurait pu naître dans le campement des « indignés » londoniens

Le Chanoine Chancelier de la Cathédrale Saint Paul à Londres, Giles Fraser, vient de démissionner de ses fonctions alors que les autorités ecclésiastiques songent de plus en plus à faire décamper par la force les protestataires du parvis où ils ont installé leurs tentes il y a deux semaines.

 Giles Fraser a accordé une interview au journaliste du Guardian Alan Rusbridger. Il oppose la Cathédrale Saint Paul au personnage de Saint Paul. « La cathédrale Saint Paul est excellente pour magnifier la grandeur et l’altérité de Dieu. Vous pouvez y faire des sermons fantastiques sur la création, le mystère, l’altérité, la grandeur. Mais le point fort de Christopher Wren (l’architecte de la cathédrale, seconde moitié du dix-septième siècle) n’était pas Jésus né dans une étable, cette sorte d’église qui existe pour les pauvres et les marginalisés.

 (…) Dans un sens, le campement (des indignés) met en question l’église sur le problème de l’Incarnation : Dieu, qui est grand et tout puissant, nait dans une étable, sous une tente. Vous savez, Saint Paul était un faiseur de tentes. Si vous regardez autour de vous et vous essayez de recréer où Jésus serait né, moi je peux m’imaginer Jésus né dans le campement. »

 (…) « L’argent, c’est le problème moral numéro un de la Bible, et telle que va l’église d’Angleterre, on pourrait croire que c’est le sexe. Combien de sermons entend-on au sujet de l’argent ? Très peu. »

 Autrefois socialiste, Fraser ne croit plus que le capitalisme soit intrinsèquement immoral. Mais il croit que « Jésus est très clair sur le fait que l’amour de l’argent est la source de tout mal… Jésus veut élargir notre vision du monde au-delà du simple shopping. »

 Les derniers jours ont été éprouvants pour Giles Fraser. « C’est dans ces périodes de stress que vous ne lisez pas la Bible, c’est la Bible qui vous lit ; et quelque fois elle n’a pas besoin de trop de sauce interprétative ».

 Photo The Guardian : Giles Fraser sur le parvis de Saint Paul.