La Walker Art Gallery de Liverpool présente une exposition de photographies de Paul Trevor intitulée « comme si tu n’étais jamais parti » (like you’ve never been away).
Paul Trevor, âgé alors de 27 ans, a séjourné six mois à Liverpool en 1975 dans le cadre d’un projet consistant à documenter des quartiers défavorisés de Grande Bretagne et la manière dont les gens réagissaient. Ses photos, prises principalement dans les quartiers d’Everton et de Toxteth, mettent principalement en scène des enfants, chez eux ou dans la rue ou les terrains vagues.
n 2011, il revient à Liverpool pour comprendre ce que les enfants qu’il avait photographiés sont devenus et, maintenant qu’ils ont la quarantaine, les photographier de nouveau. L’exposition au Walker est un moment de ce projet. Un livre magnifique a été édité, « Paul Trevor, like you’ve never been away », The Bluecoat Press. Ce qui frappe, c’est l’extraordinaire vitalité des enfants, leur capacité à générer de la joie dans un environnement complètement sordide. Les clichés sont esthétiquement beaux, mais constituent aussi un hymne à Liverpool, une métropole énergique ouverte sur le monde.
Depuis trente-cinq ans, les quartiers ont été rénovés, mais la population en est à sa troisième génération de chômage et le désespoir, presque absent des clichés de 1975, est peut-être plus prégnant. Le projet auquel travaille Paul Trevor sera sans doute révélateur de l’évolution des banlieues entre la misère noire d’autrefois tempérée par l’espoir d’un monde meilleur et un cadre de vie plus décent mais peut-être sans âme.
Couverture du livre de Paul Trevor : High Heights, Haigh Street, Everton, Liverpool 3, 1975.
Liverpool fait peu neuve pour séduire les touristes. Ce sont les aventures humaines entremêlées qui rendent la ville profondément attachante.
La zone des anciens docks sur la rivière Mersey sont en pleine rénovation. On réhabilite d’anciens entrepôts en brique et on les convertit en musées, en restaurants ou en boutiques ; on construit des bâtiments modernistes aux côtés des trois « grâces de Liverpool », imposants buildings construits dans les premières années du vingtième siècle (Port de Liverpool, Cunnard et Royal Liver).
La première visite est pour le musée « Beatles Story » dans les sous-sols du Dock Albert. L’endroit convient bien, car le groupe connut ses premiers succès à Liverpool au bar « The Cavern ». Mais sa taille est insuffisante pour la foule des nostalgiques qui se pressent, et cela rend la visite inconfortable. Elle est intéressante toutefois. On y découvre le lien nourricier qui attache les « Fab Four » à leur ville. Les pères de John et de George avaient travaillé sur les paquebots. Les chanteurs sont nés entre 1940 et 1943 dans une ville meurtrie par les bombardements (deux églises du centre ville n’ont pas été reconstruites à ce jour) mais aussi bouillonnante de vie. La ville est multiconfessionnelle (Liverpool, proche de l’Irlande, a toujours été une place forte du catholicisme en Angleterre), multiethnique, ouverte aux vents venus de l’Atlantique surtout s’ils sont musicaux. C’est un port, une ville de transit comme l’est l’autre cité où les Beatles se sont produits avant leur succès mondial, Hambourg.
L’autre visite qui s’impose est le musée de la marine, situé lui aussi dans le Dock Albert, dont un étage est consacré à l’esclavage. Comme Nantes, Liverpool doit sa fortune au dix-huitième siècle au trafic triangulaire : on chargeait les bateaux de marchandises demandées par les trafiquants en Afrique, on les échangeait contre des esclaves qu’on revendait de l’autre côté de l’Atlantique, et avec le produit de leur vente on achetait du coton et du sucre que l’on acheminait vers l’Europe. Il n’est pas étonnant que les armateurs de Liverpool se soient opposés énergiquement à l’abolition de l’esclavage et aient soutenu les confédérés sudistes pendant la guerre civile américaine.
Au dix-neuvième siècle, Liverpool s’impose comme le poumon de l’Empire, inspirant et soufflant hommes et marchandises, créant des routes commerciales allant jusqu’au bout du monde : le jumelage de Liverpool et Shanghai en 1999 montre que son prestige international est intact. On estime que 12 millions d’émigrants y ont embarqué pour le Nouveau Monde au dix-neuvième siècle et au début du vingtième.
La ville décline à partir de 1930. La fin des paquebots transatlantiques, le développement du transport des marchandises par conteneurs et la crise de l’industrie locale (textile) provoquent une inexorable baisse d’activité, et le centre ville perd en cinquante ans la moitié de sa population. Son histoire a été traversée de soulèvements : grande grève de 1911 matée par l’armée (il y a 100 ans), émeutes raciales de Toxteth en 1981 (il y a 30 ans), et naturellement les émeutes d’août 2011.
Liverpool, les rives de la Mersey
Elle lutte pour renaître, en particulier par le développement du tourisme. Elle a reçu des quantités de subventions depuis des dizaines d’années, ce qui vaut à ses habitants la réputation probablement imméritée d’être des assistés. Liverpool paie cher ses subventions : le précédent gouvernement a exclu son port d’appels d’offres pour être base permanente de bateaux de croisière, car les subsides reçus faussaient la concurrence.
Liverpool se prévaut de deux immenses cathédrales toutes deux construites au vingtième siècle, l’une anglicane de style gothique, l’autre catholique d’architecture moderne. Elle abrite aussi deux clubs de football et deux stades, FC Liverpool et Everton. La religion chrétienne et le culte du football font ici dans le gigantisme.
Dans The Guardian du 14 août, Peter Beaumont va à la découverte de personnes vivant dans les quartiers visés par les émeutes en Grande Bretagne. A Tottenham, il a rencontré une jeune fille de 23 ans, Cherelle Glave, qui a écrit ce poème.
« My heart turns tight like fingers grip a brick/ as hate rises like heat, while anger is the flame that tore thru the upstairs blew out sense and set mortar ablaze…/ My hope turns lax./ Today the rain lashes, so fierce, so abrupt./ And like they who came in the night there is no regard, no pre-warning for the heart, as the harder the rain the stronger the hurt in these veins, the more disappointment your chest holds till even your breath comes out cold./ This is the true meaning of acid rain./ Today the rain did not stop, and left us with no time to ask what have we become? »
Mon cœur se serre come les doigts saisissent une brique
Alors que la haine monte comme la chaleur, tandis que la colère est la flamme qui ravage les soupentes, souffle la raison et éblouit comme un éclat de mortier…
Mon espoir se relâche.
Aujourd’hui la pluie fouette, si violente, si abrupte.
Et comme ceux qui vinrent dans la nuit il n’y a pas de considération, pas d’avertissement pour le cœur et plus fort tombe la pluie, plus elle fait mal dans les veines, plus elle accumule de la déception dans la poitrine jusqu’au point où même l’air qu’on expire sort froid.
C’est le vrai sens de la pluie acide.
Aujourd’hui la pluie ne s’est pas arrêtée, elle nous laissés sans le temps de nous demander que sommes-nous devenus ?
Photo « transhumances » : graffiti à Liverpool, we are demanding sun, nous réclamons le soleil !
Dans The Guardian du 14 août, le caricaturiste Chris Riddell montre les émeutiers encapuchonnés suivre le joueur de flûte du consumérisme comme les enfants de Hamelin le flûtiste dératiseur qui les noya dans la rivière Weser. D’une manière moins imagée, « transhumances » propose à ses lecteurs un petit lexique des mots clés de la presse britannique dans son traitement des émeutes.
Broom. Le balai est devenu symbole de citoyenneté, cette citoyenneté (citizenship) que les émeutiers foulent aux pieds dans le dessin de Chris Riddell.
Community. Dans le cadre de son projet de « big society », David Cameron voudrait transférer aux communautés locales des responsabilités qui échoient aujourd’hui à l’Etat. Le problème est que de nombreux jeunes ne se sentent pas partie prenante de leur communauté. Ed Milliband, leader de l’opposition travailliste, a ainsi déclaré que « donner aux gens le sentiment d’avoir part à la société et que nous sommes une société et non deux mondes parallèles est très important. »
Cuts. L’annonce de coupes budgétaires dans les effectifs de police dans le cadre du plan d’austérité met le Gouvernement Britannique en difficulté. Les 14.000 postes supprimés correspondent plus ou moins aux renforts appelés pour ramener le calme.
Greed. Le lucre. Beaucoup d’observateurs ont rapproché l’avidité des pillards du mauvais exemple donné par les banquiers sans morale ou par les députés gonflant sans hésitation leurs notes de frais.
Hoody. Le vêtement de sport à capuchon, uniforme des émeutiers.
Katrina moment. C’est le moment inconfortable que connaissent certains politiciens britanniques, tel le maire de Londres Boris Johnson. On leur reproche d’avoir interrompu tardivement leurs vacances, comme Bush lors du cyclone Katrina.
Kneejerk reaction. Réaction-réflexe des politiciens lorsqu’ils agissent dans l’émotion du moment sans réfléchir aux conséquences. C’est un reproche fait à David Cameron lorsqu’il a annoncé son intention d’évincer des logements sociaux les familles dont un des membres aurait participé aux émeutes et aux pillages.
Looting. C’est le pillage de magasins de sport et d’électronique, mais aussi de petits commerces locaux, qui a le plus choqué l’opinion. Le dessin de Chris Riddell exprime avec force l’ivresse des pillards accédant l’espace d’un fugitif moment à l’abondance.
Pure and simple. Criminalité pure et simple, tel est le diagnostic du Premier Ministre sur les événements.
Zero tolerance. Même concept qu’en français !
Illustration The Guardian : Chris Riddell, « The pied pipe of consumerism”