Trésors du Paradis

Le British Museum présente jusqu’au 9 octobre une exposition intitulée : Trésors du Paradis, saints, reliques et dévotion dans l’Europe médiévale.

 Jérusalem, Compostelle, Rocamadour, Cologne, Cantorbéry… Le Moyen Âge a été traversé par une ferveur religieuse qui, à partir de la découverte de la croix du Christ par Sainte Hélène, la mère de l’empereur Constantin, s’est appuyée sur des objets intimement associés à la vie des saints qui ont sublimé cette ferveur. L’exemple le plus étonnant de cette sacralisation des objets est un morceau du cordon ombilical de Marie à Jésus exposé dans un joli reliquaire appartenant au Musée de Cluny à Paris.

 La ferveur religieuse se transforme en émotion artistique. Les objets présentés par l’exposition, le plus souvent en métaux précieux forgés et sertis de pierreries, constituent de véritables trésors, magnifiquement mis en valeur par un éclairage savamment étudié.

 L’acquisition des reliques, la construction de sanctuaires pour les accueillir et l’organisation des pèlerinages représentaient un enjeu économique important. Pour acquérir la Couronne d’Epines, Saint Louis dépensa l’équivalent de la moitié du budget annuel du royaume et fit construire un écrin de verre, la Sainte Chapelle. En Grande Bretagne, les reliques de Saint Cuthbert à Durham et de Saint Thomas Beckett à Cantorbéry attiraient des foules immenses et polarisaient une part importante de la richesse produite.

 L’exposition rappelle l’extraordinaire voyage mondial des reliques de Sainte Thérèse de Lisieux, que nous avions croisé à Tolède il y a quelques années et qui est aussi passé par Londres. Le besoin de vénérer le souvenir de célébrités, religieuses ou profanes, prend des formes diverses aujourd’hui mais reste bien vivant.

 Illustration : British Museum.

Les encapuchonnés de Hackney

Les émeutes et les scènes de pillage de Londres étonnent : la ville se présente comme un modèle de cohabitation multiethnique harmonieuse. L’entrée en scène de pillards encapuchonnés dans des quartiers déshérités comme Hackney ou Croydon oblige à regarder en face une autre réalité.

 Les étrangers vivant à Londres expriment le plus souvent un sentiment de confiance et de sécurité. Emprunter le métro la nuit est moins inquiétant qu’à Paris et de nombreuses femmes seules le font tranquillement. On ne ressent pas dans les autobus ou sur les chaussées des villes l’énervement perceptible ailleurs : habitués à la foule et aux contrariétés de transports souvent au point de rupture, les usagers ne protestent pas et ne s’insultent pas. Au marché de Camden mais aussi en de nombreuses autres localités, les odeurs, les couleurs et les langues s’associent dans un patchwork toujours changeant.

 On a l’impression d’un monde cosmopolite dans lequel les peuples du monde se mélangent. En réalité, Londres est tendue entre deux pôles, celui d’une métropole financière internationale puissamment connectée avec New York, Tokyo et Shanghai, et celui d’une constellation de banlieues internationales par leur peuplement, où pèse lourdement le chômage. Un responsable du métro de Londres disait qu’à l’est de London Bridge, à chaque station de métro de la Jubilee Line correspondaient six mois d’espérance de vie en moins. Le Londres financier et le Londres sans emploi ont chacun leur uniforme : le costume à rayures pour l’un, la veste de sport avec capuchon pour le second.

 L’un des problèmes que les autorités ont à résoudre est de trouver pour les centaines d’encapuchonnés arrêtés des places de prison. Il y a 85.000 prisonniers pour la seule Angleterre et le Pays de Galles, donc sans compter l’Ecosse et l’Irlande du Nord ; à titre de comparaison, ils vont atteindre en France le chiffre record de 65.000. La société britannique a une forte propension à enfermer ses déviants.

 C’est dans une prison invisible que les encapuchonnés se sentent enfermés, c’est de cette prison que l’excitation de la lutte contre la police, l’accès libre à des marchandises convoitées dans les magasins pillés et l’effacement provisoire des territoires de clans permettent de s’évader pour un éphémère instant.

 Dans The Guardian du  10 août, Kevin Braddock s’interroge sur la signification du capuchon (« hoody »). « David Cameron, dans un rare éclat d’intelligence de la situation, dit au Centre pour la Justice Sociale en 2006  que les hoodies étaient « un moyen de rester invisible dans la rue. Dans un environnement dangereux, la meilleure chose à faire est de baisser la tête, de se fondre dans la masse, de ne pas se faire remarquer ». Il avait raison, encore qu’il n’esquisse même pas le début d’une réflexion sur pourquoi toute une génération de jeunes choisit de se retirer sous le manteau d’invisibilité du hoody et d’échapper à la dure réalité d’un présent troublant et d’un futur de cauchemar : les coûts de la vie et de l’éducation s’envolant en spirale, un marché de l’emploi sauvage, un niveau de vie promettant d’être inférieur à celui des parents, et zéro possibilité d’accéder à la propriété d’un logement, le tout allant de pair avec la suspicion de la société dans son ensemble à l’égard des jeunes. Jeunes se cachant, effrayés d’être vus, et en même temps incarnant dans leur uniforme de tous les jours la furtive vision de tunnel qui semble définir leur perception morose et introspective du monde extérieur. C’est peut-être cela la vraie signification du capuchon.

 Photo The Guardian : émeutes à Hackney.

Banlieue londonienne

Une heure passée dans un bus entre Harrow on the Hill et West Hampstead offre une jolie tranche de vie de la banlieue londonienne.

 Durant le week-end, plusieurs lignes de métro londoniennes sont suspendues pour travaux. Je mettrai deux heures et demies ce dimanche pour me rendre de Watford au centre de Londres, dont une heure d’autobus de remplacement de Harrow on the Hill à West Hampstead.

 Dans le bus se trouve représentée la diversité des races et ethnies qui caractérise la banlieue de Londres : des Indiens et Pakistanais, des Africains, quelques Européens. Deux femmes obèses assises en face de moi parlent et rient bruyamment, entre elles et au téléphone. Deux jeunes italiennes ravissantes sont debout et la jolie musique de leur langue me rend nostalgique. Un homme noir entre au bras de son père, un homme âgé et aveugle.

 Nous longeons des milliers de maisons, chacune semblable à ses voisines, chacune avec son petit espace devant, souvent utilisé pour stationner les voitures, chacune avec son long jardin étroit du côté cour. En l’espace de quelques centaines de mètres, on passe d’un quartier aisé, façades ravalées, massifs de fleurs, rideaux aux fenêtres, à des taudis venus tels quels de l’urbanisation massive du début du vingtième siècle.

 Dans la rue principale des communes, on trouve des restaurants de multiples nationalités et, lorsqu’on s’éloigne un peu du centre, des échoppes minuscules que l’on croirait transférées de Karachi ou Nairobi.

 De retour à Watford par le train, j’assiste à un concert donné par un groupe folk d’une dizaine d’instrumentistes et chanteurs dans le kiosque à musique qui jouxte la bibliothèque municipale.

 Photo « transhumances » : maisons à Richmond