Proms 2011

Les concerts promenade de la BBC, « Proms », constituent probablement l’événement culturel le plus important de l’été à Londres.

 Samedi 23 juillet, BBC2 programme un concert « Proms » donné quelques jours auparavant au Royal Albert Hall. L’orchestre philarmonique de Radio France dirigé par Myung-Whun Chung joue le Sacre du Printemps de Stravinsky. En première partie, le violoniste Renaud Capuçon et son frère cadet de cinq ans Gautier, violoncelliste, interprètent un concerto de Brahms. C’est un moment inoubliable. Gautier semble plus extraverti, plus flamboyant. Il est pourtant attentif au moindre mouvement de son frère, et c’est visiblement l’aîné qui mène. Leur émulation les conduit aux portes de la perfection, et bien au-delà de la simple émotion. Interviewés à leur sortie de scène, ils diront combien ils se sont sentis portés par le public, un public si nombreux qu’il semblait infini.

 J’assiste quelques jours plus tard, au Royal Albert Hall, à un concert. Un autre soliste français, le pianiste Jean-Efflem Bavouzet, interprète un concerto de Bartók. En seconde partie, le London Philarmonic Orchestra donne « Une Symphonie de Faust » de Franz Liszt, dont on célèbre le bicentenaire de la naissance. C’est une œuvre magnifique dont les trois parties tournent autour des personnages du drame de Faust : le docteur Faust lui-même, Gretchen et Méphistophélès. Lorsque ce dernier semble triompher, un ténor accompagné d’un chœur d’hommes chante un choral mystique qui marque la victoire finale de l’âme de Gretchen.

 L’immense espace du Royal Albert Hall et son organisation en une demi douzaine de niveaux de gradins et de loges pourraient condamner le lieu à la médiocrité musicale. C’est au contraire un lieu d’excellence. Au centre de l’ellipse, juste devant les musiciens, « l’arène » est réservée aux spectateurs debout. Ils sont là quelques centaines, des jeunes couples enlacés, des personnes âgées luttant contre les douleurs musculaires, la plupart debout, certains accroupis sur le sol, tous fascinés par la musique. L’arène a quelque chose de religieux. Elle évoque pour moi l’église de toile de Taizé dans les années soixante dix, lorsque la fervente communion dans l’attente d’une révélation rendait doux l’inconfort.

 Les musiciens sont excellents, comme sont excellents le chœur et le chef d’orchestre, comme le sont aussi les techniciens. J’admire le travail des cadreurs de la télévision, se faufilant avec leurs énormes caméras, choisissant la meilleure prise de vue en hauteur et en profondeur, suivant un script préétabli et anticipant les mouvements de la musique. Cette chronique, commencée à l’occasion d’une émission de télévision, s’achève par un hommage de sa capacité à se mettre au diapason de l’excellence des Proms.

 Photo The Guardian : Renaud et Gautier Capuçon au Royal Albert Hall.

Lucian Freud fait l’actualité

 

Dans The Guardian du 23 juillet, le caricaturiste Martin Rowson imagine une rétrospective du peintre Lucian Freud, qui vient de mourir, illustrant les thèmes d’actualité.

 Lucian Freud vient de mourir chez lui à Londres à l’âge de 88 ans.

 Dans la « rétrospective » que lui offre Martin Rowson, figurent les thèmes qui font l’actualité de la Grande Bretagne en ce mois de juillet : Cameron confronté au « Hackgate » (le scandale des écoutes), le Chancelier Osborne faisant subir une cure d’amaigrissement au budget britannique et le duo Sarkozy Merkel réduit à la mendicité !

 Dessin de Martin Rowson.

La foi de l’Archevêque

 

Dans The Guardian Week-End du 9 juillet, David Hare livre une interview de Rowan Williams, l’Archevêque de Cantorbéry et primat de l’Eglise Anglicane depuis huit ans.

 J’ai consacré le 16 juin un article de « transhumances » à Rowan Williams sous le titre « L’Archevêque indigné ». Son incursion dans la politique britannique, reprochant aux Conservateurs de mener une politique radicale pour laquelle nul n’avait voté et aux Travaillistes leur incapacité à définir une alternative, m’avait impressionné. David Hare décrit Rowan Williams comme un « boxeur de Dieu » n’ayant pas peur de recevoir des coups et d’en donner. Au-delà du polémiste, il nous présente un homme de foi.

 « Il ne convient pas à Dieu de sauver son peuple par des arguments », disait Saint Ambroise cité par Williams. « Oh, voyez, dit ce dernier, l’argument a pour rôle de limiter la casse. Le nombre de gens qui acquièrent la foi par un argument est vraiment plutôt faible. Mais si les gens disent des choses stupides sur la foi chrétienne, alors cela aide de dire seulement « allons, ça ne marche pas ». Il y a un miasme de suppositions : d’abord, qu’on ne peut pas avoir une vision scientifique mondiale et une foi religieuse ; deuxièmement, qu’il y a un problème insoluble autour de Dieu et de la souffrance dans le monde ; et troisièmement que tous les chrétiens sont névrotiques au sujet du sexe. Mais ces arguments ont été recyclés et refourgués plus de fois que nous avons eu de diners chauds. Et je grogne intérieurement chaque fois que je tombe sur un nouveau livre sur les raisons pour lesquelles on ne devrait pas croire en Dieu ».

 « Ce qui change les gens, c’est l’extraordinaire sentiment que les choses se mettent ensemble(…) Faire sens n’est pas un grand système théorique, mais c’est d’une certaine manière pouvoir voir les connexions et – j’ai envie ici d’utiliser l’analogie musicale – entendre les harmonies. Il est possible que tout ne soit pas cohérent dans chaque détail, mais cette harmonie est assez présente pour penser « OK, je prends le risque de m’aligner avec cela ».

 Portrait de l’Archevêque Rowan par Spencer Murphy pour The Guardian Week-End.

Notwithstanding

 

« Notwithstanding » (en français, Nonobstant) est la chronique par l’écrivain anglais Louis de Bernières de la vie d’un village du Surrey (au sud de Londres, sur la route pour Southampton) dans les années soixante dix, lorsqu’il passe doucement du statut de commune rurale à celui de grande banlieue de Londres, où affluent retraités, résidents du week-end et travailleurs qui font chaque jour le déplacement pour la capitale. Ecrit en 2009, le livre est disponible dans le format Kindle.

 « J’étais au salon du livre de Pau il y a quelques années lorsque je rencontrai un artiste français nommé Jacques. Il me dit qu’il adorait la Grande Bretagne car elle était si exotique. J ‘en restai abasourdi et lui demandai ce qu’il voulait dire par là. Il répondit que lorsqu’il allait en Allemagne, en France, en Belgique ou en Hollande, tous ces pays paraissaient semblables. Mais « la Grande Bretagne, c’est un asile immense ». A la réflexion, je me rendis compte de ce si j’avais situé tant de mes romans et des mes histoires à l’étranger, c’était parce que l’habitude m’avait empêché de voir combien mon propre pays était exotique. La Grande Bretagne est vraiment un immense asile de fous. C’est une des choses qui nous distingue parmi les nations. Nous avons une conception très flexible de la normalité. Nous somme rigides et formels sous quelques aspects, mais nous croyons au droit à l’excentricité à partir du moment où les excentricités sont suffisamment grandes. Nous ne sommes pas aussi tolérant à l’égard des petites. Malheur à vous si vous tenez votre couteau de manière incorrecte, mais bonne chance si vous portez un pagne et vivez au sommet d’un arbre. »

 Le village de Notwithstanding ne manque pas de personnages déjantés, depuis Archie qui correspond avec sa mère du jardin où il travaille à la cuisine où elle fait mijoter les plats par talkie-walkie aux religieuses du couvent qui domine le village et ont une telle confiance en la Providence que leur conduite automobile représente un danger public. Le chapitre le plus hilarant est celui où le Colonel Barkwell recevant à dîner se rend compte que le chat à qui il a fait goûter le poisson est mort : tous les convives son conduits militairement à l’hôpital pour un lavement d’estomac, avant de découvrir que, loin d’être mort d’empoisonnement, le matou avait banalement été écrasé par une voiture.

 L’humour est toujours présent dans ces « histoires d’un village anglais », mais il est souvent éclipsé par des émotions simples, celle d’un jeune garçon fier de pêcher un immense poisson, celle d’un adolescent qui n’ose déclarer son amour à la fille qu’il aime, celle du dernier paysan du village qui a cédé aux invitations de sa fille à vendre la ferme, mais reste inconsolable.

 Notwithstanding nous fait aimer les Anglais, fous, exotiques, excentriques, et si profondément humains.