L’école primaire vue d’Angleterre

 

The Guardian du 8 septembre publie un réquisitoire d’Emily Barr sur le système scolaire français.

Emily et son mari ont vécu cinq ans en France, dans un village au bord de la mer avec un spot de surf. « Beaucoup de nos amis à Brighton étaient enlisés et paniqués dans la recherche de la meilleure école pour leurs enfants, alors que tout le monde savait que le système d’éducation français était parmi les meilleurs du monde. Il était académiquement rigoureux, sérieux, séculier, laïque. Il est possible que nous ayons été un tantinet présomptueux. Cinq ans plus tard, nous sommes revenus au Royaume Uni, anxieux de faire entrer nos enfants dans une bonne école primaire, de les envoyer quelque part sans l’esprit « réussissez ou vous êtes de la merde. » A ce moment-là, je voulais seulement que mon fils Gabe aille dans une école où quelqu’un remarquerait si les enfants sont heureux ou non et s’en soucierait. »

Les ennuis de Gabe ont commencé à l’école primaire, alors que la maternelle n’a pas d’égale au monde. « L’école en France n’a pas de réunions, pas de théâtre, pas de musique, pas de clubs. Il y a un divertissement de Noël vaguement improvisé. Les enfants traversent le système et en émergent avec un corpus de savoir, et tout le reste est laissé aux parents. » Il y a une grande différence entre les enseignants formés au Royaume Uni ou aux Etats Unis et en France. Les premiers s’engagent dans la relation avec la classe, enseignent de manière créative, encouragent la discussion et évaluent de manière positive ; les seconds (à quelques exceptions près) ont tendance à faire un cours au lieu d’enseigner et à évaluer avec une dureté et une négativité terrifiantes ».

Emmy reconnait les défauts du système scolaire britannique. La bousculade pour inscrire ses enfants dans les meilleures écoles ferait horreur à un observateur français. Le système anglais instille une mentalité du « les autres et nous » qui va dans le sens du système de classes si prégnant dans le pays. Il reste que sa critique du système français, qu’elle a vécu de l’intérieur, est largement pertinente : l’école en France est une machine à fabriquer du succès et fabriquer de l’échec. Elle sélectionne les élites et laisse de nombreux laissés pour compte, écœurés et doutant d’eux-mêmes.

Photo du film « Etre et avoir » de Nicolas Philibert (2002), une parabole de la chance que, parfois, l’école primaire laïque peut offrir aux enfants.

Postpositions

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Les postpositions sont le sel de la langue anglaise.

Tous les étudiants de la langue anglaise connaissent l’importance des postpositions, ces particules invariables qui se placent après un verbe et en changent le sens : « to look at someone », c’est regarder quelqu’un, « to look after someone », c’est le chercher.

En anglais, la créativité se niche souvent dans les postpositions. En associant un verbe avec une postposition dans une configuration unique, on réussit à exprimer en peu de mots une idée qui, en Français, requiert une longue explication. Voici un titre de The Guardian du 17 août : « woman suspected of killing husband is talked down from hill ». Le début de la phrase ne pose pas de difficulté en français : il s’agit d’une femme suspectée d’avoir tué son mari. Le reste est plus difficile : on lui a parlé (talk) de manière à ce qu’elle consente à descendre (down) d’une falaise (cliff) et renonce à se suicider en se jetant dans le vide.

L’efficacité de cette phrase est stupéfiante. Une anthologie des postpositions en dirait plus de la culture britannique que des traités de sociologie.

Un mot de la falaise en question : il s’agit de Beachy Head, à l’ouest d’Eastbourne sur la côte sud de l’Angleterre, dont le vertigineux aplomb attire les candidats au suicide de tout le pays. Les jours d’affluence, des aumôniers patrouillent pour les dissuader. En équipe avec la police, ils ont réussi à convaincre Sally Challen, 56 ans, de ne pas se jeter dans le vide dans le remords d’avoir tué son mari : « des agents de police et les aumôniers ont réussi à accompagner une femme de 56 ans du Surrey jusqu’en lieu sûr depuis le bord de la falaise de Beachy Head, après avoir parlé avec elle plus de trois heures dimanche après-midi », dit un communiqué de la police.

Photo « transhumances » : Beachy Head

Shirley Williams juge la Coalition

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« Transhumances » a publié le 28 février la recension de l’autobiographie de Shirley Williams, qui après une carrière dans le Parti Travailliste participa à la création du Parti Social Démocrate, devenu Libéral Démocrate après la fusion avec les Libéraux. Que pense-t-elle de la Coalition des Libéraux Démocrates avec les Conservateurs ?

Le quotidien The Guardian propose une interview de Shirley Williams dans son numéro du 14 août. Agée de 80 ans maintenant, celle-ci est membre à vie de la Chambre des Lords et ne semble pas près de se retirer. Elle n’avait jamais imaginé le scénario d’une alliance avec l’ennemi Conservateur. Après les élections législatives qui n’avaient pas donné de majorité absolue à David Cameron, elle aurait préféré une alliance avec les Travaillistes, ou du moins un soutien aux Conservateurs sans participation au Gouvernement.

Elle pense que la Coalition a une action positive dans le domaine des libertés civiles, notamment en ouvrant une enquête sur les tortures dont l’armée britannique s’est rendue coupable dans sa « lutte contre le terrorisme » ou en renonçant au projet d’une carte d’identité. Elle relève avec humour qu’il y a une forte convergence aussi dans le domaine des prisons : Conservateurs et Libéraux Démocrates veulent développer les peines de substitution et réduire le nombre de détenus. La motivation des derniers est idéologique. Celle des premiers est pragmatique : un prisonnier coûte 35.000 livres sterlings par an à l’Etat et au contribuable !

Elle a trois points majeurs de désaccord avec la Coalition et mettra tout son poids dans la balance à la Chambre des Lords pour infléchir les textes de loi. Il s’agit du projet d’autoriser les parents à créer des « académies », écoles non soumises au contrôle de l’Etat ; la redéfinition du NHS, le Service National de Santé ; et la construction pour 20 milliards de livres du remplacement des sous-marins nucléaires Trident.

Elle conseille au leader Libéral Démocrate Nick Clegg d’écouter attentivement ce que le Parti a à lui dire. Elle prédit que la prochaine conférence Lib Dem sera assez animée !

Photo « The Guardian » : Shirley Williams.

Le système de santé britannique s’exporte

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Le National Health Service (NHS) est encouragé à vendre ses services à de riches malades étrangers et à se développer hors des frontières britanniques.

Depuis le gouvernement travailliste Attlee au lendemain de la seconde guerre mondiale, le système de santé britannique est public et gratuit. Le personnel de santé est salarié de l’Etat. L’attachement des britanniques à ce système étonne les français. Il tient certainement au miracle que représenta à ses débuts l’accès de tous à la santé ; il s’explique peut-être aussi par le fait que, dans la société si hiérarchisée du Royaume Uni, c’est sans doute le seul système qui grarantisse un accès égal pour tous ; son image a aussi profité des investissements importants réalisés lorsque le parti travailliste était au pouvoir. Toujours est-il que le NHS a été écarté par le Parti Conservateur du champ des coupes budgétaires massives, signe qu’il serait politiquement dommageable de toucher à ce symbole.

Toutefois, le Secrétaire à la Santé Andrew Lansley vient d’annoncer une mesure qui changera significativement le profil du NHS. Les « trusts » du NHS ne seront désormais plus limités dans les sommes qu’ils pourront facturer à des clients privés, ainsi que l’écrivent Randeep Ramesh et Rachel Williams dans The Guardian le 2 août.

Le mouvement a commencé. L’hôpital Christie de Manchester, le plus grand centre anticancéreux en Europe, vient de signer un accord avec le plus grand groupe hospitalier du monde, l’Américain HCA. La clientèle recherchée est celle des riches de Russie ou du Moyen Orient. Un nouvel hôpital, privé, va être construit à Christie, ce qui entrainera le triplement des recettes privées. L’hôpital ophtalmologique de Moorfield à Londres a créé un hôpital à Dubaï et envisage d’en ouvrir un autre à Abu Dhabi. Il réalise 13 millions de sterlings de chiffre d’affaires avec des clients étrangers.

Ce mouvement est loin de faire l’unanimité. On craint que des ressources soient dérivées vers la satisfaction des clients privés et que recommencent les files d’attente pour bénéficier d’une opération. On craint aussi que les Trusts se fassent concurrence les uns aux autres, sans compter la concurrence croissante des hôpitaux indiens. D’autres toutefois se demandent si l’internationalisation des hôpitaux britanniques ne se produit pas trop tard, alors que les Etats-Unis, l’Allemagne, la Malaisie ou l’Inde ont pris de l’avance.

Photo : équipe de soignants dédiée aux clients privés à l’hôpital Christie de Manchester, tirée du site Internet de l’hôpital.