Gordon Brown à Buckingham Palace

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Marina Hyde, journaliste du quotidien The Guardian a consacré une délicieuse chronique à la visite du Premier Ministre Gordon Brown à la Reine Elizabeth II le 6 avril à Buckingham Palace pour lui demander de bien vouloir dissoudre le Parlement :
http://www.guardian.co.uk/politics/2010/apr/06/marina-hyde-gordon-brown-queen-election

“Seuls les Britanniques peuvent combiner un monarque, un premier ministre, une élection et un palais de 775 pièces et, à partir d’un homme pressé sortant d’un parking, créer un événement dramatique et fastueux » (…)

« Que vient faire ici Gordon Brown, demande un touriste venu assister à la relève de la garde ? Bien sûr, il pourrait demander grâce pour quelques crimes passibles de décapitation ; mais aujourd’hui, il convoque une élection, c’est pourquoi il doit demander à la Reine qu’elle veuille bien dissoudre le Parlement. Pensez-vous qu’elle dira oui ? Si elle avait refusé la requête, cela aurait certainement animé la journée. Mais finalement, elle accepta « très gentiment », selon les paroles de Brown. Un soulagement pour le Premier Ministre, mais pour ces touristes électoraux occasionnels, dont la culture de l’Establishment britannique les conduirait logiquement à attendre qu’Helen Mirren apparaisse au balcon pour faire une annonce formelle, l’événement déçut par son opacité. »

Marina Hyde décrit le ballet d’hélicoptères, ceux de la télévision et celui de la Reine venue de Windsor. Elle évoque les milliers de photographies prises par des touristes dans l’espoir que l’un des clichés au moins cadre la « Brownmobile ». Elle mentionne une touriste espagnole déçue qu’Angela Merkel ne soit pas dans le véhicule. « Pardonnez-nous Madame, mais nous ne pouvons travailler qu’avec ce que nous avons. Ce que vous et les autres emporterez avec vous, c’est que vous étiez là lorsqu’un homme que vous étiez incapable de nommer a demandé à la Reine une grâce ou quelque chose comme cela. Et vous conviendrez que ce genre de souvenir n’a pas de prix. »

(Photo du film « The Queen », Helen Mirren dans le rôle d’Elizabeth II)

Libérez des prisonniers !

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Dans son numéro du 1er avril 2010, et sous la plume d’Amelia Hill, le président du comité des libérations conditionnelles d’Angleterre et du Pays de Galles, Sir David Latham, s’insurge contre la tendance générale à réclamer des peines plus longues.

La prise de position du « Chair of the Parole Board for England and Wales » fait suite à une violente campagne dans les tabloïds britanniques à la suite du retour en prison de Jon Venables, condamné alors qu’il était mineur pour le meurtre d’un petit garçon. Les journaux demandent des peines plus longues et s’opposent aux libérations conditionnelles.

« Nos taux de libération se sont réduits ces dernières années d’une manière dont on peut penser qu’il s’agit d’une réaction exagérée du public à la perspective de la récidive par des prisonniers libérés. En réalité, le taux de récidive sérieuse par des prisonniers libérés n’est que de 1 à 2 %, un niveau qui est resté stable depuis de nombreuses années. Le risque est que des cas difficiles, comme celui de Venables, finissent par produire de mauvaises lois (…)

La société doit se rendre compte de ce qu’on ne peut créer un monde sans risque. Ce que la société doit définir, c’est le niveau de risque qu’elle est prête à accepter. Je suis préoccupé parce que la société dans laquelle nous vivons devient trop réfractaire au risque (…) La conséquence est que l’on permet que de vraies injustices se produisent. A moins que la société se prépare à prendre une attitude plus sophistiquée à l’égard du risque posé par les prisonniers libérés sur parole, le système pénal continuera à incarcérer des personnes qui ne commettraient plus jamais de crimes si elles étaient libérées, pendant beaucoup plus d’années que leur condamnation par le tribunal. »

Il faut dire que la justice britannique pratique un système de « peines recommandées » qui peuvent être allongées par le juge d’application des peines. Un système dont rêvent beaucoup de conservateurs français ! Le 7 octobre 2009, The Guardian s’est ainsi fait l’écho du cas de Ben Gunn, qui avait tué un ami à l’âge de 14 ans. Ben est en prison depuis 30 ans maintenant, 20 ans de plus que la peine recommandée. Animateur d’un  syndicat de prisonnier qui vient d’obtenir de haute lutte le droit de vote pour les détenus, il est considéré comme asocial par l’administration pénitentiaire qui le maintient sous les verrous. Il tient un blog indirectement : interdit d’accès à Internet, il poste ses chroniques que tes amis chargent sur le Net : http://prisonerben.blogspot.com/.

(Illustration du Guardian : portrait de Ben Gunn par un codétenu)

Syndic de faillites

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Le supplément « Work » du quotidien The Guardian a consacré le 27 mars une page au portrait d’un administrateur de faillites, Steve Woods.

Steve Woods est à la tête de le l’équipe de redressement d’entreprises (corporate recovery) du cabinet comptable Mazars, qui compte une centaine de personnes réparties sur le territoire britannique. Il est syndic de faillites (insolvency practitioner). Il intervient parfois en amont de la faillite elle-même pour conseiller une entreprise en difficulté et si possible l’aider à trouver un repreneur. Mais le plus souvent, il arrive brutalement dans l’entreprise lorsque, mise en demeure par ses créanciers, elle s’est avérée incapable de payer ses dettes et que le juge l’a placée sous administration. En Grande Bretagne, la procédure ne prend que quelques heures.

Voici quelques extraits de l’article de Leo Benedictus dans The Guardian, sous le titre « noble sauvage ».

Il n’y a là rien de personnel, mais personne ne veut vraiment travailler avec Steve Wood. Parce que, lorsque cet homme d’âge moyen, affichant une confiance tranquille, arrive dans vos bureaux en costume cravate, cela signifie que vous acceptez quelque chose : que le jeu est presque fini.

« Quelquefois vous percevez un soulagement tangible qu’il y a quelqu’un pour aider à s’attaquer au problème », dit Wood, regardant calmement de l’autre côté d’une longue table de conseil dans son vieux bureau à Birmingham. « Mais invariablement, notre relation avec l’entreprise commence d’une manière relativement froide ».

Se penchant en arrière sur son siège en cuir, il parle sans ressentiment et semble totalement chez lui dans le rôle de l’invité malvenu dans le monde du business. Cependant, aux yeux de beaucoup de personnes inquiètes pour leur emploi, cette stabilité et ce caractère raisonnable, qui sont pourtant si nécessaires, peuvent aussi avoir une saveur de reproche. Wood n’a pas cela en tête, naturellement, mais lorsqu’une entreprise qui bat de l’aile l’appelle pour qu’il lui rende la santé en licenciant, en réduisant les dépenses ou en la vendant, il sait que son premier travail est de remonter le moral. « Nous devons changer cette relation. Nous devons la rendre positive très vite. Et il est très inhabituel de ne pas y arriver d’une manière ou une autre. »

Le  syndic de faillites est par nature sans cesse confronté à des situations de crise. « Vous êtes confronté à des personnes réelles qui traversent la période la plus traumatisante qu’ils aient jamais vécue. Leur monde s’effondre ; leur affaire est sur le point de s’écrouler ; leur vie tient à un fil… aussi, quand cela marche, c’est un vrai nouveau départ(…) Vous pouvez être techniquement excellent pour ce travail. Mais si vous ne pouvez pas entrer en relation avec les personnes avec qui vous êtes confronté, si vous ne savez pas construire un degré d’empathie, alors rien de ce que vous pouvez proposer ne peut marcher. »

Comment se comporte-t-il lorsqu’il s’agit d’annoncer à quelqu’un que son poste est supprimé ? « Les premières fois que vous le faites, c’est très difficile. La seule façon, c’est d’être complètement ouvert. Je n’ai pas de script pour cela. Je ne pense pas que je devrais en avoir. Il faut juste se mettre en situation et leur dire ce qui se passe. » A-t’il eu parfois envie de rester en contact ? « Ca ne marche pas vraiment comme ça, sourit-il. Parce que, même si cela finit d’une manière positive, ils préfèreraient ne pas être passés par là. Il a un rire sardonique. Ce n’est pas un club ! ».

Photo Journal du Dimanche, 22 décembre 2008, faillite de la chaine de grands magasins Woolworths, 30.000 salariés licenciés.

http://www.guardian.co.uk/money/2010/mar/27/insolvency-administrator-working-life

Le syndrome du panda géant

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Dans le supplément G2 du quotidien The Guardian du 23 mars, Aditya Chalcabortty compare l’économie britannique à un panda géant, égaré dans un cul de sac de l’évolution.

Le panda géant, par son extrême difficulté à se nourrir et à se reproduire, est un exemple d’un phénomène nommé « path dependance », l’emprisonnement dans un chemin sans issue. Cet animal se trouve pris dans un cul de sac de l’évolution et il est trop tard pour qu’il puisse faire marche arrière.

Un autre exemple est le clavier d’ordinateur. « La disposition QWERTY (en français AZERTY) n’a pas été conçue pour rendre la dactylographie plus rapide, mais exactement le contraire. Comme l’indique Paul David, le parrain de la théorie du « path dependance », les touches des machines à écrire du milieu du 19ième siècle s’emmêlaient si on les frappait trop vite, de sorte que l’on espaça les touches les plus fréquemment utilisées afin de ralentir les dactylos. Les mécaniciens de Remington promurent ensuite la lettre R au sommet, ce qui fit que se retrouvèrent sur le premier rang toutes les touches nécessaires pour que les vendeurs désireux d’impressionner les clients puissent rapidement « picorer » la marque « TYPE WRITER ». Même après que le problème mécanique fut résolu, le clavier QWERTY devint le standard pour les producteurs et les clients. Un bouquet de facteurs hasardeux se combina ainsi pour faire d’un clavier inconfortable et inefficace la norme de l’industrie. »

Quel est le rapport entre le panda géant et l’économie britannique ? Comme le panda, celle-ci se retrouve dans une situation de « path dependance » : la domination par la Cité de Londres. La City a fait pression pendant des années sur le pouvoir politique pour qu’il défende une livre forte, ce qui était bon pour l’industrie financière mais provoqua pendant les années Blair la disparition de plus d’un million d’emplois industriels.

Contrairement au panda, l’économie peut remonter le cours d’un chemin évolutionniste sans issue. Mais, dit Aditya Chalcabortty, cela prendra beaucoup de temps et beaucoup d’effort.

(Photo http://photos.last-video.com)