Soul Play

100311_soul_play_kate_flatt.1268429207.jpg

Le Palace Theatre de Watford vient de produire une chorégraphie de Kate Flatt, « Soul Play »,  jeu de l’âme.

Rares sont les œuvres théâtrales qui parlent d’après la mort. On se souvient de « huis clos » de Jean-Paul Sartre ou de « hôtel des deux mondes » d’Eric Emmanuel Schmitt. L’œuvre de la chorégraphe Kate Flatt commence à l’instant où un jeune homme, dont nous ne saurons pas le nom, vient de se jeter sous un train. Il se retrouve seul dans un univers sombre. Il essaie de se raccrocher à des choses simples de sa vie d’avant, une sacoche, des pièces de monnaie. Mais il est passé de l’autre côté, irrémédiablement.

Une vieille femme, clopinant comme une sorcière, installe près de lui sa chaise et quelques objets personnels. L’homme essaie d’engager un dialogue avec elle, mais elle ne répond pas. Etes-vous Polonaise ? Ou bien Lithuanienne ? Peu à peu la femme s’anime, et on se rend compte que du diable de sorcière émerge un ange, aérien, léger, communiquant par le langage du corps. L’homme s’exaspère de ne pouvoir entrer en relation par la parole. Il rumine toutes les rancœurs, toutes les frustrations qui l’ont conduit au suicide, il bouscule la femme, on sent qu’il voudrait la tuer. La femme insiste, virevolte autour de lui et peu à peu l’entraine. Le lourdaud se met doucement au diapason du corps en mouvement de sa partenaire, il se fait plus léger. Lorsqu’il est mûr, elle l’entraîne doucement. Il peut disparaître, serein pour toujours, de la scène.

Ce jeu de l’âme annulant par la danse l’écrasement d’une vie ratée a quelque chose de sublime. Les mots sont chargés d’angoisse et de solitude ; le mouvement des corps apporte la rédemption. La pièce, qui dure environ trois quarts d’heure, fait partie d’un projet soutenu par le Peace Hospice, une maison de retraite de Watford. Après la représentation, la metteuse en scène Kate Flatt, la danseuse Joy Constantinides et le comédien Sam Curtis, et une professionnelle du Peace Hospice chargée de l’accompagnement psychologique des pensionnaires, sont venus dialoguer avec les quelques dizaines de spectateurs. Ils expliquèrent que la pièce est née du besoin des personnes âgées d’exprimer ce qu’elles ressentent face à la mort de personnes qui leur sont chères. Elle s’inspire d’un jeu scénique mis en scène par les habitants d’un village de Transylvanie (Roumanie) entre le décès et l’enterrement, simulant les noces du défunt avec la mort.

Une spectatrice demanda pourquoi le comédien jouait pieds nus. Kate Flatt expliqua que dans certains pays, comme au Japon, les personnes résolues à se donner la mort se déchaussent. Je pense aux manuels d’El Qaida, qui prescrivaient au contraire aux pilotes du 11 septembre de nouer scrupuleusement leurs souliers.

Un spectateur dit qu’il avait fait lui-même une tentative de suicide et que la pièce lee bouleversait.

(Photo : www.kateflatt.com)

Le London Eye fête ses dix ans

100310_london_eye.1268260787.JPG

 Le London Eye, l’immense grande roue installée au bord de la Tamise à Londres, fête ses dix ans.

Le London Eye a été inauguré le 9 mars 2000 pour la célébration du millénium. Haut de 135 mètres, pesant 2.100 tonnes, il a opéré 45.000 révolutions, emporté 36 millions de passagers et servi de site à 433 mariages en dix ans.

La vue qu’il offre de Londres, de Westminster à la City, est magnifique. Prévu initialement pour fonctionner cinq ans, il devrait durer au moins jusqu’en 2025. On peut penser que l’attendra alors le sort de la Tour Eiffel, et qu’il sera très difficile de démonter ce monument qui fait d’ores et déjà partie de l’identité londonienne.

(Photo « transhumances » : le London Eye depuis une cabine)

Paul Nash

  

100308_paul_nash_landcape_of_the_vernal_equinox.1268084805.jpg

 

La Dullwich Picture Gallery, dans la banlieue sud de Londres, propose une exposition intitulée « Paul Nash, les éléments ».

La galerie de peinture Dullwich a été construite par l’architecte John Sloane en 1811 pour accueillir une collection permanente de peintures de grands maîtres européens des dix-septième et dix-huitième siècles. On y trouve des Murillo, des Rubens, des Rembrandt entre autres.

La galerie accueille jusqu’au 9 mai une exposition consacrée à l’un des plus grands peintres paysagers britanniques, Paul Nash (1889 – 1946). Le magazine Time Out lui a consacré un bel article signé par Ossian Ward (http://www.timeout.com/london/art/event/79655/paul-nash).

Paul Nash a été peintre officiel pendant les deux guerres mondiales. L’une des ses peintures, « nous fabriquons un nouveau monde », évoque l’horreur du champ de bataille d’Ypres, avec ses arbres déchiquetés se découpant dans un paysage sombre et glauque. L’inspiration est proche de celle d’Otto Dix. Quelque vingt cinq ans plus tard, « Totes Meer », Mer Morte, représente un cimetière de bombardiers allemands abattus par l’artillerie britannique par un clair de lune, et de l’amas de ferrailles c’est une impression de calme qui se déprend.

Bien que ne s’étant jamais assumé comme surréaliste, l’œuvre de Nash entre les deux guerres subit leur influence. Il y a, dit Ossian Ward, d’étranges vues intérieures / extérieures montrant le plafond comme ciel, les murs comme forêt et le sol comme mer, visions par Nash de paysages disjoints situés derrière lui et reflétés par un miroir.

J’ai en particulier aimé l’une des dernières de ses toiles, « Paysage de l’équinoxe d’hiver », daté de 1943. C’est elle qui illustre cet article (source Time Out).

Disconnect

100302_disconnect1.1267956017.jpg

Le Royal Court Theatre de Londres donne jusqu’au 20 mars « Disconnect », une pièce de Anupama Chandrasekhar, jeune dramaturge basée à Chennai en Inde. Elle met en scène une équipe d’opérateurs d’un call centre de Chennai affectés au recouvrement de créances privées dans l’Illinois.

Le premier personnage à entrer en scène est une manager, Jyothi. « OK, je suis Jyothi, en vérité. Les gens m’appellent Sharon (rires). J’étais Jennifer pour les appels entrants et Michelle pour les appels sortants. Mais j’ai toujours voulu être Kate, comme Winslet. Ou Hudson. » Dès le début, le ton est donné. Les personnages sont indiens, mais leurs interlocuteurs au bout du fil sont des débiteurs américains et à force de se faire passer pour leurs voisins et de contrefaire leur accent, ils finissent par laisser pénétrer le rêve américain au tréfonds de leur âme.

Jyothi reçoit dans son bureau un superviseur d’environ 45 ans, Avinash. Elle lui explique que selon tous les critères d’évaluation, A- aptitude, B- attitude, C- performance, D- engagement, il tombe dans la catégorie des employés à basse performance. Puisqu’il ne réussit pas à New York, il est muté à une région moins stressante : l’Illinois. Où est l’Illinois ? demande Avinash. Au quatrième étage, répond Jyothi Sharon.

La nouvelle équipe d’Avinash est composée de trois jeunes Indiens : Vidya, alias Vicki Lewis ; Giri, alias Gary Evans ; Rohan, alias Ross Adams. Ils travaillent de nuit, quand il fait jour à Chicago, et, contrefaisant l’accent américain, prétendent qu’ils appellent de Buffalo. Leur salaire est fonction d’objectifs de sommes recouvrées presque inatteignables. Ils doivent suivre à la lettre un script détaillé. Mais ils doivent aussi s’adapter aux situations et aux personnalités qu’ils rencontrent au bout du fil : les débiteurs ont divorcé, ont perdu leur emploi, ou ont tout simplement perdu la tête, cédant pour un moment à une frénésie de consommation dont ils n’ont pas les moyens. Tous les moyens sont bons, cajolerie, flatterie, menace : « vous avez fait une promesse. C’est le moment de la tenir. Voulez-vous que vos fils sachent que vous êtes un menteur et un tricheur ? Parce que si vous ne payez pas, c’est ce que vous êtes. Arrêtez de pleurer. Soyez quelqu’un dont vos fils seront fiers », dit Vidya à un débiteur, Harry Coltrane. Coltrane se suicidera une heure plus tard, plongeant Vidya dans une crise personnelle et professionnelle.

Giri s’est lui aussi endetté, à l’image des débiteurs qu’il poursuit. Sa vie dépend de son bonus. Ross finance par son travail les études de son frère à l’étranger et rêve d’émigrer. Il fantasme sur une débitrice de Chicago, Sara, imaginant qu’il entre avec elle dans une relation extra-professionnelle qui lui permettra de fuir Chennai. Usurpant l’identifiant du superviseur, il annule sa dette. Mais Sara, loin de lui en savoir gré, poursuit la compagnie en justice pour harcèlement. Insensible à la catastrophe, Ross, licencié de l’entreprise et menacé de poursuites pénales, contemple dans la nuit la décharge voisine du call centre et y voit Chicago, ses buildings et ses lumières.

Peu de livres ou de scénarios évoquent la vie professionnelle d’aujourd’hui. « Disconnect » d’Anupama Chandrasekhar est une exception. Magnifiquement jouée, intelligemment mise en scène malgré un espace exigu, sa pièce nous offre un bon moment de théâtre.

(Photo The Times : Nikesh Patel dans le rôle de Ross et Ayesha Dharker dans celui de Vidya)