Shirley Williams, une passionnée de la politique

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J’ai acheté l’autobiographie de Shirley Williams, « climbing the bookshelves » (grimper les étagères de la bibliothèque, Virago 2009) à la suite d’une recension flatteuse du quotidien The Guardian et aussi pour le souriant visage qui orne la couverture du livre et dénote sagesse et ouverture d’esprit.

Shirley Williams faite par la Reine Baronne de Crosby, circonscription dont elle fut l’élue, a fêté l’an dernier ses quatre-vingts ans. Elle raconte une vie complètement centrée sur la politique. « Plusieurs choses m’attiraient vers la politique lorsque j’étais jeune. J’étais un enfant compétitif. J’aimais le risque, me mesurer à des défis. Grimper les étagères de la bibliothèque de mon père jusqu’en haut était l’un de ces défis. Escalader des montagnes en amateur, me casser les ongles sur la roche humide en était un autre. J’étais attirée par des causes évidentes, la pauvreté et l’inégalité, des vies limitées par l’accident du lieu de naissance, du sexe ou de la couleur. Comme beaucoup d’autres futurs militants politiciens, je voulais faire du monde un meilleur endroit (…) Et puis il y avait la pure excitation de la politique – comme être au premier rang au théâtre – voir en temps réel ce qui se passait autour du monde. Dévouement, idéalisme, enthousiasme, excitation ; ce ne sont pas les mots que la plupart des gens associent aujourd’hui avec la politique ». C’est pourtant ainsi que Shirley a vécu son engagement politique.

Née en 1930 d’une famille catholique, père professeur, mère écrivain, tous deux marqués à gauche, elle passe une partie de sa scolarité aux Etats Unis en raison de la guerre. C’est d’ailleurs une caractéristique de son destin : sa vie se déroule des deux côtés de l’Atlantique, avec un premier mari Anglais et un second Américain.

Après la guerre et une première expérience professionnelle, elle se lance dans la politique dans le Parti Travailliste. Elle devient députée de la ville nouvelle de Stevenage au nord de Londres à l’âge de trente quatre ans et occupe des postes ministériels dans les Cabinets de Harold Wilson et James Callaghan de 1974 à 1979, en particulier celui de l’Education, l’un de ses thèmes favoris. En 1981, écœurée par le noyautage du Parti Travailliste par l’extrême gauche, elle participe à la fondation du Parti Social Démocrate et est de nouveau élue, à la faveur d’une élection partielle à Crosby, près de Liverpool. Elle participe ensuite à la fusion de son parti avec le Parti Libéral, devenu Libéral Démocrate. Anoblie en 1993, elle a présidé le Groupe Libéral Démocrate à la Chambre des Lords de 2001 à 2003. Elle a accepté, lors de l’accession au pouvoir de Gordon Brown, un poste de conseillère sur la prolifération nucléaire.

Etroitement associée à l’Université de Harvard, où elle a enseigné, elle a activement participé à la rédaction de constitutions dans des pays d’Europe de l’Est après la chute du mur de Berlin (projet Liberty) et s’est impliquée dans les conflits de Bosnie et du Kosovo. Elle se passionne pour l’Amérique latine après l’assassinat de l’évêque Oscar Romero au Salvador en 1980. « A cette époque, la théologie de la libération se propageait comme un feu de brousse dans une grande partie de l’Amérique latine, entraînant les Communautés Chrétiennes de Base – communautés enracinées sur le terrain – dans une redécouverte extatique de l’esprit révolutionnaire du Nouveau Testament. Ce n’était pas la Chrétienté des riches et des bien-établis. »

Son livre permet de visiter de l’intérieur l’histoire de la Grande Bretagne depuis le milieu de vingtième siècle : la guerre, et en particulier l’évacuation des civils qui, en brassant les populations, porta un coup à la division de la société en classes, le socialisme de Clement Attlee, la catastrophe de l’expédition franco-anglaise de Suez, la Dame de Fer, la guerre d’Irak. On y trouve des portraits pénétrants des acteurs de cette histoire, avec une mention spéciale pour trois Premiers Ministres dont elle salue la capacité, le courage et l’ambition, non seulement pour eux mais pour le pays : Thatcher, Blair et Brown.

La confiance en soi revient souvent dans le livre de Shirley. « Mon père m’a donné le plus grand don qu’un enfant puisse recevoir, la confiance en soi. (…) Que je sois une fille n’avait pas aucune pertinence pour ses ambitions à mon égard. Son féminisme n’était pas une construction intellectuelle. Tout simplement, il ne voyait pas de raison de penser que les femmes étaient des êtres moindres que les hommes ». C’est sur le thème de la confiance que s’achève le livre. Shirley raconte qu’elle n’a jamais postulé à un poste de leader. « Pour moi, les figures de proue en politique étaient des géants, jusqu’à ce que je découvre qu’ils étaient imparfaits et doutaient parfois d’eux-mêmes, comme moi. » Son regret dans la vie est de n’avoir pas eu, entre l’abandon par son premier mari et l’amour de son second, un partenaire qui crût en elle et la soutînt. 

La biographie de Shirley Williams est un beau témoignage d’humanité.

(Photo : couverture de l’autobiographie de Shirley Williams)

Mon papa célibataire et moi

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Dans le supplément Famille du quotidien britannique The Guardian, l’homme de télévision et romancier Peter Grimsdale écrit un bel et émouvant hommage à son père intitulé « mon papa célibataire et moi » (2 février 2010, http://www.guardian.co.uk/lifeandstyle/2010/feb/20/peter-grimsdale-single-father). En voici quelques extraits.

Mon père raccrocha le téléphone, descendit à la cuisine, me prit dans ses bras et dit « c’est l’hôpital. Maman est morte ». Et il se mit à pleurer. C’était plus alarmant que la nouvelle elle-même qui, bien que je n’eusse que neuf ans, ne me prit pas par surprise. Elle avait été malade et hors de la maison pendant longtemps.

Il reprit vite sa contenance. Il y avait mes sœurs de seize ans à prendre aussi en compte et il se mit à faire toutes ces choses qu’il faut faire quand quelqu’un meurt. Il fit ce qu’il avait toujours fait – faire des listes. Je continuai à monter un meccano avec lequel j’étais en train de jouer – une petite voiture à trois roues, que j’avais finie lorsque le curé arriva.

Il avait 51 ans et moi 9, presque la même différence d’âge qu’il y a entre moi et mon fils Lawrence. Ce n’est que maintenant, marié avec trois enfants à moi, que je comprends l’énormité de ce à quoi il fut confronté dans cet été 1964.

Ma mère avait été formée comme professeur d’arts ménagers. Elle avait fait toute la cuisine et cousu la plupart de nos vêtements et tous les rideaux. La machine à coudre était toujours sortie. Mon père était habituellement dans le garage à faire des meubles. Ils s’étaient mariés avant la guerre mais n’avaient monté leur ménage qu’en 1947, en plein creux du rationnement. Dans notre maison de Sheffield, la table de cuisine en formica, une table à manger, des chaises, un bureau, une lampe standard, la maison de poupées de mes sœurs et les landaus des poupées, mon garage de Dinky Toys et le chemin fer miniature qui se dépliait d’une bibliothèque – complétée par un tourne-disques, tout avait été fabriqué par lui (…)

Le jour où maman mourut, il nous dit « quoi que vous ressentiez, c’est bien ». « C’était si libérateur, se souvient ma sœur Jessica.  Recevoir cette permission – il n’y avait pas de jugement ». Moi aussi j’étais soulagé, car je me sentais légèrement coupable car il y avait une légère  touche d’excitation pour ce qui allait se passer ensuite.

Papa décida d’apprendre à cuisiner (…) Dix huit mois après la mort de maman, il faisait du bœuf bourguignon, son propre pâté et son propre pain. Il fit un gâteau de Noël et s’essaya même à des croissants, qu’il nous servit sur une table de camping dans le jardin – à la vue des voisins – remplissant mes sœurs d’un intense embarras. « C’est exactement la même chose que développer des photos, expliquait-il alors que ses exploits culinaires se répandaient. « temps, température et quantité ». (…)

Il n’y avait pas de discussion sur le passé. Non pas que ce fût interdit ; nous ne parlions simplement jamais de maman. C’est difficile à imaginer maintenant, mais pour la génération de papa, qui avait eu l’expérience des privations pendant la Dépression puis la guerre, s’en sortir c’était simplement continuer à se débrouiller avec les choses.

(Photo The Guardian, Peter Grimsdale aux côtés de son père)

Le Flamenco de Rafaela Carrasco

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Dans le cadre du Festival de Flamenco de Londres, la compagnie Rafaela Carrasco vient de présenter son spectacle « Vamos a tiroteo ».

Le spectacle est construit à partir d’une chanson Flamenco de 1931, « vamos a tiroteo », allons à la chasse aux palombes. C’est pourtant une interprétation résolument moderne de la tradition du Flamenco que nous propose Rafaela Carrasco. Aux traditionnelles guitares s’ajoutent un violoncelle et un piano. Il y a des innovations grinçantes, comme la Sévillane dansée par des hommes vêtus des robes traditionnellement portées par les danseuses, alors que Rafaela elle-même revêt souvent un pantalon.

Les éclairages jouent un rôle important dans le spectacle. Les danseurs glissent d’un spot de projecteur à l’autre, et l’intervalle d’ombre est à l’image du silence que Rafaela nous propose d’écouter. « Les gens ne sont pas habitués au silence du Flamenco, seulement à beaucoup de bruit. Dans le Flamenco, nous sommes habitués à beaucoup de son, beaucoup de percussion, beaucoup de cris. Et j’avais très envie de chercher le silence, de chercher le son d’une main, le son d’une tête ou d’un regard dans le silence, et même de rendre les gens un peu nerveux » (interview à flamenco-world, 17 juin 2004).

(Photo Rafaela Carrasco, wwew.rafaelacarrasco.com)

Brighton Beach Memoirs

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Le Palace Theatre de Watford donne « Brighton Beach Memoirs », une pièce de Neil Simon. Largement autobiographique, elle raconte deux jours d’une famille juive de New York en 1937.

Eugen M. Jerome, 14 ans, pense qu’il n’est jamais assez tôt pour écrire ses mémoires. Il nous prend donc à témoin de son journal intime. Sa famille est composée de sept personnes. Jack Jerome, le père d’Eugen, sa mère Kate, son grand frère Stanley ; Blanche Norton, sœur de Kate et veuve depuis six ans et ses deux filles Nora et Laurie. Tout ce petit monde vit à l’étroit dans un logement de quatre pièces de Brighton Beach, un quartier de New York, et à l’étroit dans un budget où chaque dollar compte.

Oppressée par la promiscuité et la pauvreté, la famille entre en crise. Soudain, elle est en proie à un vertige centrifuge. Nora se voit proposer un rôle dans un spectacle à Broadway ; Blanche se prépare à sortir avec le Monsieur d’en face, bien qu’il soit Irlandais et catholique ; Stanley, honteux d’avoir perdu son salaire au poker, veut s’engager dans l’armée ; Jack, frappé par une crise cardiaque, se retire dans sa chambre.  Au final, chacun renonce, bon gré ou mal gré, à ses rêves d’évasion et revient au bercail où au fond il se sent aimé. Et des cousins polonais, une famille de quatre enfants qui a réussi à fuir la menace du nazisme, annoncent qu’ils prennent le paquebot pour New York et demandent l’hospitalité.

Le jeune Ryan Sampson joue un Eugen drôle et touchant, toujours convainquant.

(Photo du Watford Observer : Stephen Boxer dans le rôle de Jack et Ryan Sampson dans celui de Eugen, au cours d’une répétition)